Pénurie de carburant en France : les raisons de la crise

Près d’un tiers des stations-services en France sont actuellement privées d’un ou plusieurs carburants. Le gouvernement se refuse pour autant de parler de « pénurie » et préfère mentionner des « tensions ».

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Un signe "hors service" à la pompe d'une station-essence de Saint Jean de Luz, au sud de la France, le 12 octobre 2022.
AP/Bob Edme
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Trois heures. C’est le temps que des milliers d’automobilistes français ont attendu pour pouvoir approvisionner leur voiture en carburant ces derniers jours.
Les stations-service qui disposent d’essence se font de plus en plus rares. En Île-de-France, près de la moitié en manquent. À l’échelle du pays, c’est près d’un tiers.

Pourquoi les stations-service sont-elles à sec ?

Le manque de carburant a commencé à toucher les stations-essence de la firme TotalEnergies dès la fin du mois de septembre. L’une des raisons, selon le groupe, serait « la baisse des prix » de 20 centimes d'euros par litre décidée par TotalEnergies, qui a entraîné « une affluence importante ». À cela, s’ajoute une remise supplémentaire de 30 centimes, financée, elle, par l’État et qui doit être appliquée jusqu’à la fin de l’année. Ces ristournes sur le carburant auraient alors provoqué une forte hausse de la demande.

Par ailleurs, un mouvement de grève des salariés des raffineries et dépôt de carburant de TotalEnergies et d’Esso-ExxonMobil est venu ayssi fortement ralentir les livraisons à la pompe. Les grévistes de TotalEnergies réclament une hausse des salaires de 10 %, contre les 3,5% négociés en début d’année, le géant pétrolier ayant notamment engrangé 10,6 milliards de dollars de bénéfice au premier semestre 2022.

Du côté de ExxonMobil (Esso), les syndicats Force Ouvrière et Confédération Générale du Travail demande une hausse de 7,5 % des salaires hors promotion et hors ancienneté, ainsi qu’une prime de 6 000 euros pour la redistribution des profits. Le pétrolier américain a réalisé un bénéfice net de 17,9 milliards de dollars au deuxième trimestre 2022 au niveau mondial.

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Des conducteurs attendent à la station-service à Bayonne, dans le sub-ouest de la France, le 11 octobre 2022.
AP/Bob Edme

Où en est le mouvement ?

Les salariés de six des sept raffineries de France ont voté mercredi 12 octobre au matin la poursuite de la grève. Cependant, face à la situation tendue que rencontre les usagers, le gouvernement a annoncé la réquisition des personnels du groupe Esso-ExxonMobil pour débloquer les dépôts de carburants. Un accord salarial conclu par deux organisations syndicales, majoritaires à l’échelle du groupe légitimerait un arrêt des revendications selon le gouvernement.

« Le dialogue social, c’est avancer, dès lors qu’une majorité s’est dégagée. Ce ne sont pas des accords a minima. Les annonces de la direction sont significatives. Dès lors, j’ai demandé aux préfets d’engager, comme le permet la loi, la procédure de réquisition des personnels indispensables au fonctionnement des dépôts de cette entreprise » à Gravenchon (Seine-Maritime) et Fos-sur-mer (Bouches-du-Rhône), a déclaré la Première ministre, Elisabeth Borne.

En cas de réquisition, "on ira devant les tribunaux pour les faire annuler", a averti le syndicat CGT d'Esso-ExxonMobil qui a dénoncé "une remise en cause du droit de grève".

Chez TotalEnergies, la grève dure depuis deux semaines. Dans l'ensemble des sites, la grève a été reconduite avec "quasiment 100% de grévistes parmi les opérateurs", a indiqué le coordinateur CGT. Le groupe TotalEnergies a, lui, annoncé convier les syndicats représentatifs qui "ne participent pas au mouvement de grève" à une réunion de "concertations et d'échanges".

Quand est-ce que le gouvernement peut faire valoir son droit à réquisitionner du personnel ?

La base juridique de la réquisition est établie dans le Code de la défense et dans le Code général des collectivités territoriales. Le second texte de loi autorise le préfet, qui représente l’État à l’échelle d’une région ou d’un département, à « réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service » jusqu’à ce que « l’atteinte à l’ordre public ait pris fin ou que les conditions de son maintien soient assurées ».

Des huissiers de justice, accompagnés par les forces de l’ordre font alors appliquer la mesure. Les salariés qui refuseraient leur réquisition risquent jusqu’à six mois d'emprisonnement et une amende de 10 000 euros.

Quelles sont les répercussions de ces pénuries ? 

Sur les réseaux sociaux, les vidéos de files d’attentes sont relayées parfois des milliers de fois. Dans cet enregistrement, un conducteur remonte une file de plusieurs centaines de mètres d’automobilistes souhaitant faire le plein dans la région nord-ouest parisienne.

D’autres extraits montrent aussi des scènes de fortes tensions entre utilisateurs qui doublent la file, ou qui, en plus de leur réservoir, remplissent des bidons afin de faire des stocks.
Le prix des carburants a aussi augmenté : le sans plomb 95 est passé de 1,59 centimes d’euros (augmentation de +7,3 centimes) et le gazole a atteint le 1,80 euros (soit une augmentation de +10,8 centimes).

Certaines professions dépendant de leur véhicule déplorent fortement cette situation, comme les infirmiers libéraux, qui s'inquiètent de ne plus pouvoir visiter leurs patients et de mettre en danger leur santé.