
Résister. Tenir. Surtout, restés soudés.
A Conga, près Cajamarca, dans le nord du pays, les communautés autochtones continuent leur combat. Elles se battent pacifiquement contre ce gigantesque projet minier de 5 milliards de dollars qui dévaste leur terre riche en or et en cuivre.
Les dégâts sont déjà là : ressources hydriques polluées au mercure et au cyanure, familles désunies, violences policières.
Jamais sans doute l'expression pot de terre contre pot de fer n'a semblé plus appropriée pour évoquer ce combat.
D'un côté, deux groupes nord-américains puissants, Southern Copper et Newmont Mining. De l'autre, une coordination paysanne qui refuse cette exploitation massive et irrespectueuse de leur environnement.
Ces chantiers du consortium Yanacocha sont en altitude, à près de 3500 mètres, où naissent les sources. "Pour le malheur des paysans qui y vivent, cette zone d'altitude d'où provient l'eau est aussi là où se trouve l'or, disséminée en fines particules dans la roche. Ce qui s'y passe a une répercussion immédiate sur l'eau en contrebas. L'eau et l'or sont liés, et inséparables" expliquait dès 2011 Reinhard Seifert, un ingénieur allemand, conseiller d'un front d'activistes antiminiers.
L’entreprise minière Yanacocha pratique l’extraction de l’or à ciel ouvert à Cajamarca, à 850 km de Lima. La terre extraite est ensuite lixiviée au cyanure, provoquant la contamination des rivières.
Pour mener à bien ces prospections, le chantier doit sacrifier quatre lacs-réservoirs et en reconstruire quatre autres, artificiels. En attendant, l'eau manque aux robinets de Cajamarca et quand elle y coule, à peine quelques heures par jour, elle sent le souffre et s'avère impropre à la consommation.
Mais la résistance s'organise. Elle parvient quelquefois, sinon à arrêter, du moins à ralentir la bonne marche des travaux miniers.
Au Pérou, il y a actuellement 212 conflits sociaux répertoriés, dont 155 considérés comme actifs et 57 autres comme "endormis". Tous relèvent de problèmes socio-environnementaux.
C'est que les enjeux pour l'économie du pays sont immenses.
Au Pérou, le secteur minier pèse 11 % du PIB et 20 % des recettes fiscales. Il représente 60 % des exportations ! Le pays n'a pas les moyens d'abandonner une pareille manne.
Publié fin 2014, un rapport de l’Observatoire des conflits miniers faisait état de près de 26 millions d’hectares de concessions minières, soit 20,42 % de la surface du Pérou !
Mais les exploitations minières continuent de se faire sans réelle consultation des communautés autochtones vivant sur ces terres. Elles n'entendent pas laisser violer sans réagir La Pachamama, la déesse-terre, considérée comme un être vivant et généreuse de tous ces bienfaits nourriciers.
La violence qui en découle est encouragée par une impunité insolente.
Le 3 et 4 juillet 2012, cinq paysans ont ainsi perdu la vie au cours des affrontements avec la police. L'enquête à été classée sans suite. Idem pour Cleofé Neyra, paysanne et Présidente de l’Ammupa, une association de protection des hauts plateaux autour de Huancabamba (région de Piura, dans le nord du pays). Son combat contre Rio Blanco, un projet minier de 1,5 milliard de dollars du groupe chinois Zijin Mining lui a couté très cher. Séquestrée, torturée et violée avec quatre autres activistes, ces femmes ont porté plainte en justice, qui a répondu par un non-lieu. "Pour imposer ces projets, l'Etat à même déclaré l'état d'urgence et a poursuivi les membres des communautés paysannes qui s'y sont opposés. L'Etat péruvien a autorisé l'usage de la force pour réprimer le mouvement de contestation du projet" précise Michel Forst, rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme.
Le quotidien est fait de menaces, d'intimidation et de harcèlement pour celles et ceux qui osent entrer en résistance contre ces projets miniers.
César Estrada, Porte-parole communautaire autochtone et membre du Réseau de communicants indigènes du Pérou (REDCIP) en sait quelque chose.
Le 27 septembre 2016, un inconnu l'a physiquement agressé dans les rues de Cajamarca alors qu'il rentrait chez lui. Le défenseur a immédiatement prévenu la police. Lorsque les policiers sont arrivés, ils ont refusé d'enregistrer sa plainte.
Ce défenseur des droits humains du Pérou, Prix Martine Anstett 2015, a été l'un des premiers à s'opposer à ces projets miniers et à la voracité dévastatrice. Il a survécu à une tentative d’assassinat en septembre 2015 et continue de faire l’objet de nombreuses menaces, attaques et campagnes de stigmatisation.
Michel Forst explique : "Des hommes et des femmes luttent, comme César Estrada, pour que leur terre, leur identité, pour que leur tradition, leur mode de vie ne soient pas réduits à néant, niés par la réalité économique et certains, dans le monde, payent de leur vie cet engagement. Ils ne s'opposent pas au développement en soi, contrairement à ce que l'on essaie de faire croire, mais ils s'opposent à une forme de développement irresponsable, caractérisé par des décisions brutales prises par des entreprises avides de profits et des gouvernements qui sont souvent corrompus".
Et parmi les moyens de pression pour faire taire les opposants, il y a le harcèlement judiciaire.
Accusé d’irrégularités financières ainsi que d’avoir kidnappé une femme d’affaires de Yanacocha en décembre 2013, le dossier de César Estrada, faute de preuves et de témoins crédibles, vient de changer de nature. L'activiste est désormais mis en cause pour répondre du délit d'extorsion. Il risque jusqu'à 10 ans de prison. Verdict le 26 juillet prochain.
Resister. Tenir. Surtout, restés soudés.
Les communautés autochtones continuent leur combat.