Philippines : Rodrigo Duterte, le président tueur ?

Un tueur repenti  affirme devant une commission sénatoriale que le président philippin, quand il était maire, a lui-même tué un enquêteur du ministère de la Justice. Le tueur soutient que Rodrigo Duterte était aussi à la tête d'un escadron de la mort responsable de la mort d'un millier de personnes. Scandale. L'organisation Human Rights Watch réclame l'ouverture d'une enquête de l'ONU.
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rodrigo duterte tribune
Le président philippin Rodrigo Duterte lors de son premier discours à la nation le 25 juillet 2016.
©AP Photo/Bullit Marquez
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Cette fois, il ne s'agit pas d'une outrance verbale, dont Rodrigo Duterte sait les secrets. L'affaire est autrement plus sérieuse

Un homme se présentant comme un "tueur repenti" a raconté devant une commission sénatoriale jeudi que le président philippin avait lui-même tué un enquêteur du ministère de la Justice.

Edgar Matobato a également expliqué qu'il faisait partie d'un escadron de la mort qui avait tué un millier de personnes, délinquants et opposants, sur ordre de Rodrigo Duterte, 71 ans, à Davao, la ville du sud de l'archipel dont il était le maire.

"Il s'agit d'accusations graves et nous les prenons au sérieux, nous les examinons", a déclaré Mark Toner, porte-parole du département d'État américain.
 

On ne peut attendre du président Duterte qu'il enquête sur lui-même. Il est donc crucial que les Nations unies soient chargées de mener de tels efforts"

Brad Adams, directeur pour l'Asie de l'organisation Human Rights Watch
 

Le président philippin ne s'est toujours pas exprimé sur les accusations du "repenti". Le ministre de la Justice Vitaliano Aguirre a qualifié son témoignage de "mensonges" et "d'inventions".

Edcel Lagman, membre de la Chambre des représentants, a appelé Duterte vendredi à désigner une commission indépendante pour "établir les identités des auteurs de même que celles des victimes".

Le sort qui sera réservé au témoin reste incertain. Le président du Sénat Aquilino Pimentel, un allié de Duterte, a refusé de lui fournir une protection.

"Il n'y a rien qui montre que sa vie ou sa sécurité soient menacées", a-t-il déclaré, sans rire, à l'Agence France Presse.

Rodrigo Duterte, "The Punisher"


On dit de Rodrigo Duterte qu'il est la version philippine de Donald Trump. L'hebdomadaire Time magazine le surnomme "The punisher", en référence au personnage de fiction américain qui préfère se venger en tuant ses ennemis plutôt que de les livrer à la justice.

Fils d'un célèbre avocat, gouverneur de la province de Davao, et d'une mère enseignante, il est reçu à l'examen du barreau en 1972, à Manille. Il sera ensuite journaliste de télévision et de radio à Davao dans les années 1980. C'est l'occasion pour lui d'animer une émission où les auditeurs ont la parole. Il prendra bonne note des préoccupations de ses concitoyens (violences, trafics de drogues, tueries entre groupes armées) et saura s'en servir au moment  des promesses électorales.

Vous, les dealers, les braqueurs et les vauriens, vous feriez mieux de partir. Parce que je vais vous tuer. 

Rodrigo Duterte

Élu le 9 mai 2016, Rodrigo Duterte, 71 ans, est le 16e président des Philippines. Avant cette date, qui connaissait cet homme ? Maire de Davao entre 2001 et 2010, la plus grande ville des Philippines, Rodrigo Duterte s'est imposé comme un homme nouveau dans ses propos, violent dans son action et imprévisible dans ses méthodes.

Lors de la campagne présidentielle, il déclare : "Vous, les dealers, les braqueurs et les vauriens, vous feriez mieux de partir. Parce que je vais vous tuer." Et l'homme tient ses promesses !

Selon un décompte de la chaîne philippine ABS-CBN,
entre le 10 mai et le 15 juillet 2016, 408 personnes "liées à la drogue " ont été abattues par les forces de l'ordre ou des milices. Lors de son discours sur l'état de la nation, il se félicite de la guerre antidrogue qu'il mène. Ses fonctionnaires avancent des chiffres surprenant : 3 600 arrestations et 120 000 personnes se sont rendues d'elles-mêmes aux autorités depuis le mois de juillet !

Le pape François traité de "fils de pute"

Rodrigo Duterte est un sanguin.
En novembre 2015, lors de la venue du pape François, il se retrouve bloqué dans un embouteillage monstre autour de Manille. Il éructe : "Il nous a fallu cinq heures pour aller de l'hôtel à l'aéroport. J'ai demandé qui on attendait. Ils ont dit que c'était le pape, je voulais l'appeler. Le pape, fils de pute, rentre chez toi. Ne viens plus en visite."

Aux Philippines, 85 % de la population est catholique. Tant pis. Le souverain pontife n'avait rien à faire sur son chemin !

Rodrigo Duterte
Rodrigo Duterte :  "Vous, les dealers, les braqueurs et les vauriens, vous feriez mieux de partir. Parce que je vais vous tuer. "
©AP Photo/Aaron Favila




 

Avec une égale délicatesse, il réagit abruptement au viol d'une religieuse australienne commis en 1989. Il est alors en campagne pour l'élection présidentielle quand il déclare devant une assemblée rigolarde : "J'ai vu son visage et je me suis dit 'Putain, quel dommage ! Ils l'ont violée, ils ont tous attendu leur tour. J'étais en colère qu'ils l'aient violée, mais elle était si belle. Je me suis dit "le maire aurait pu passer en premier."
Tempête. 

Les associations de défense des droits des femmes s'étranglent d'indignation. Jejomar Binay, vice-président, et rival de Duterte à l'élection déclare : "Vous êtes un maniaque dérangé qui ne respecte pas les femmes et ne mérite pas d’être président".

Rodrigo Duterte sera quand même élu à la tête de l'archipel avec près de 39% des voix.

enfants Philippines
Manille, le  mercredi 8 Juin, 2016. Rafle d'enfants philippins à l'intérieur d'un poste de police après avoir été appréhendé pour avoir violé le couvre-feu instauré pour les mineurs à Manille
(AP photo / Aaron Favila)

A la tête des escadrons de la mort

Sa grande fierté, ce sont les escadrons de la mort (les Davao Death Squad) qu'il a mis en place dans les années 1990, quand il était maire de Davao. Il ne se cache pas d'avoir participé à certaines traques de narcotrafiquants.

L'ONG Human Rights Watch comptera au moins 1000 personnes tuées au cours de ces expéditions punitives dont des enfants et des petits délinquants. Aux arrestations, il préfère les exécutions sommaires. 

Quelques mois auparavant, il avait déclaré : " Si vous exercez une activité illégale dans ma ville, si vous êtes un criminel ou un syndicat qui s'en prend aux innocents, tant que je suis maire, vous êtes une cible légitime d'assassinat ".

Tout en nuance, l' "homme fort de Davao" assure qu'il tuera qu'il encore des dizaines de milliers de personnes qui viendront "engraisser les poissons de la baie de Manille" s'il était élu président et, parce que rien ne l'arrête, il évoque la possibilité de se gracier lui-même pour les meurtres de masse qu'il a commis.

 

Confiance des électeurs

Dans un même temps, il gagne la confiance de ses électeurs, impressionnés par les résultats obtenus pour diminuer l'insécurité et son ambition d'éradiquer la pauvreté.

Il achète une dizaine d'ambulances, impose l'interdiction de vendre, de servir, de boire et de consommer des boissons alcoolisées de 01h00 à 08h00 chaque matin. Il crée de nombreux centres de désintoxication ouverts 24h sur 24 et promet une prime pour chaque drogué qui accepte d'arrêter son addiction.

Parmi les chantiers qu'il s'est promis de réussir : la poursuite du processus de paix avec les groupes armés musulmans, réduire les disparités entre classes sociales et faire baisser la criminalité dans son pays. Cette dernière promesse est mal engagée : le dirigeant philippin a promis des primes à tous ceux qui "abattraient" des narcotrafiquants.

Philippines chiffre
Les Philippins semblent tout lui pardonner, ses outrances comme ses multiples dérapages. Il a pour lui un bilan économique très favorable, celui de Bénigno Aquino, son prédécesseur. Le taux de croissance annuelle de 6,2 % et depuis sa victoire en mai, la bourse de Manille a progressé de 12 %.

Dans son premier discours à la nation, outre l'annonce d'un cessez-le-feu avec la rébellion communiste, Rodrigo Duterte vient d'évoquer une baisse d’impôts généralisée. L'opposition serre les dents. Quand on lui demande quel est son modèle politique, il répond le président Marcos, le dictateur au pouvoir aux Philippines de 1972 à 1986. Mauvais présage ?