Plainte de l'Afrique du Sud : la Cour internationale de justice ordonne à Israël d'empêcher tout acte de génocide à Gaza

Dans son ordonnance du vendredi 26 janvier au sujet de la plainte de l'Afrique du Sud contre Israël, la Cour de Justice de la Haye ordonne à Israël de tout faire pour empêcher tout acte de génocide dans la bande Gaza contre le peuple palestinien. Cette décision de la justice internationale a un impact retentissant.

 

 

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CIJ 12 janvier

Audience à la Cour internationale de Justice dans la plainte de l'Afrique du Sud contre Israël, La Haye aux Pays-Bas, 12 janvier 2024.

AP Photo/Patrick Post
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La plus haute juridiction de l'ONU a appelé vendredi Israël à faire tout son possible pour empêcher tout acte de génocide dans la bande de Gaza, en rendant une décision très attendue.

Israël doit tout faire pour "empêcher la commission de tous actes entrant dans le champ d'application" de la Convention sur le génocide, a déclaré la Cour internationale de justice (CIJ), qui siège à La Haye.

Qui juge l'affaire à la CIJ de La Haye ?

Dans l'affaire de la plainte de l'Afrique du Sud contre Israël, les 15 juges de la Cour internationale de Justice (CIJ) sont rejoints par un juge spécialement nommé par Pretoria et un autre par Tel Aviv. Le premier est Dikgang Moseneke, 76 ans, l'un des plus hauts juges à la retraite d'Afrique du Sud qui a lutté contre l'apartheid et joué un rôle clé dans la transition du pays vers la démocratie. Le second est Aharon Barak, 87 ans, un survivant de l'Holocauste né en Lituanie en 1936 et devenu juge en chef de la Cour suprême d'Israël. Les décisions juridiquement contraignantes du tribunal sont prises à la majorité simple, mais il n'a aucun moyen de les faire appliquer.

L'Afrique du Sud défend le droit international

L'Afrique du Sud avait saisi le mois dernier en urgence la juridiction, arguant qu'Israël violait la Convention des Nations unies sur le génocide, signée en 1948 à la suite de l'Holocauste.

"L'Afrique du Sud fait ce que ne fait pas l'Union européenne, ce que ne font pas les États-Unis, les grandes puisssances qui invoquent le droit international quand cela les arrange, au nom de leurs intérêts", souligne sur le plateau du Journal de TV5MONDE Edwy Plenel, président et cofondateur de Médiapart.

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Edwy Plenel, président et cofondateur de Médiapart, Journal Afrique de TV5MONDE du 14 janvier 2024.

Les ordonnances de la CIJ, qui tranche les différends entre pays, sont juridiquement contraignantes et sans appel. Cependant, elle n'a aucun moyen pour les faire appliquer. Elle a, par exemple, ordonné à la Russie de suspendre son invasion de l'Ukraine.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déjà laissé entendre qu'il ne se sentirait pas obligé de suivre une ordonnance de la CIJ.

"Personne ne nous arrêtera, ni La Haye, ni l'Axe du Mal, ni personne d'autre", a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse le 14 janvier.

Pourquoi la CIJ ne se prononce pas sur l'existence d'un génocide 

Pretoria souhaitait que la CIJ émette des "mesures provisoires", des ordonnances d'urgence pour protéger les Palestiniens de Gaza contre d'éventuelles violations de la convention.

"Les avocats sud-africains cherchent à prouver qu'il y a un processus qui pourrait prendre un caractère génocidaire vu les prémisses, les intentions, la violence indiscriminée, la violence massive, parce que l'on a détruit les logements de 1,7 million de personnes qui ne pourront même pas retourner chez eux. Donc si cela est établi, on peut juridiquement sur cette base demandée des mesures conservatoires", explique l'éditorialiste de TV5MONDE Slimane Zeghidour sur le plateau du Journal Afrique 

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En quoi consistent les mesures conservatoires demandées par l'Afrique du Sud ? Les explications de Slimane Zeghidour, éditorialiste à TV5MONDE, Journal Afrique de TV5MONDE du 14 janvier 2024.

La cour n'a statue que sur la demande de mesures d'urgence de l'Afrique du Sud, et non sur la question fondamentale de savoir si Israël commet réellement un génocide – ceci pourrait prendre des années.

La décision de la CIJ contre Israël pourrait augmenter la pression politique sur le pays et servir de prétexte à des sanctions.

La guerre à Gaza a éclaté lorsque le Hamas a lancé une attaque sans précédent le 7 octobre, qui a fait environ 1.140 morts en Israël, pour la plupart des civils, selon un décompte de l'AFP basé sur des chiffres officiels.

Israël a répondu par une campagne militaire incessante qui a tué au moins 25,700 personnes, pour la plupart des femmes et des enfants, selon le ministère de la Santé dirigé par le Hamas à Gaza.

Les arguments des avocats de l'Afrique du Sud

L'Afrique du Sud peut poursuivre Israël devant la CIJ puisque les deux pays ont signé la Convention sur le génocide.

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Les arguments développés par un des avocats sud-africains lors de l'audience à la Cour de Justice de La Haye.

Lors d'audiences mi-janvier, Pretoria a reconnu le "poids particulier de la responsabilité" d'accuser Israël de génocide.

Mais les avocats de l'Afrique du Sud ont affirmé que la campagne de bombardements d'Israël visait à "la destruction de la vie des Palestiniens" et avait poussé le peuple "au bord de la famine".

"Les génocides ne sont jamais déclarés à l'avance, mais cette cour bénéficie des 13 dernières semaines de preuves qui montrent de manière incontestable un modèle de comportement et d'intention qui justifie une allégation plausible d'actes génocidaires", a déclaré l'avocate Adila Hassim.

Les arguments des avocats d'Israël

Israël a rétorqué qu'il ne cherchait pas à détruire le peuple palestinien et a rejeté les accusations sud-africaines comme un "tableau factuel et juridique totalement dénaturé" des événements à Gaza.

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Une avocate d'Israël devant la CIJ de La Haye.

"Israël est engagé dans une guerre de défense contre le Hamas, pas contre le peuple palestinien", a déclaré l'avocat Tal Becker.

Dans ces circonstances, "il ne saurait y avoir une accusation plus fausse ou plus malveillante que l'accusation de génocide contre Israël", a-t-il encore déclaré.

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Un des avocats israéliens devant la CIJ de La Haye.

Un test pour la justice internationale

La décision de la CIJ est considérée comme un test important pour la justice internationale. Avant même le verdict, de nombreux pays avaient déjà pris parti pour l'une des deux parties.

Les États-Unis avaient déjà rejeté la requête de l'Afrique du Sud. Reste que malgré le désaccord avec Pretoria, le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken a affirmé, la veille du verdict de la CIJ, la volonté des Etats-UInis de continuer de travailler avec l'Afrique du Sud.

"De toute évidence, notre relation avec l'Afrique du Sud est d'une importante vitale et c'est une relation très étendue et très profonde qui couvre de nombreux domaines", a-t-il expliqué à des journalistes dans la capitale angolaise. "Quand nous avons un désaccord sur un sujet en particulier, cela n'enlève rien au travail important que nous menons de concert", a-t-il assuré lors d'une tournée en Afrique qui ne comprend pas d'étape en Afrique du Sud.

Par la voix de son ministre des Affaires étrangères Stéphane Séjourné, la France rejettait l'accusation de génocide contre Israël. « Accuser l’État juif de génocide, c’est franchir un seuil moral. On ne peut exploiter la notion de génocide à des fins politiques », a déclaré devant l'Assemblée nationale Stéphane Séjourné le 17 janvier. De même, le Royaume-Uni soutient Israël et qualifie d'injustifiées les accusations de l'Afrique du Sud.

L'Allemagne avait pour sa part déclaré qu'elle interviendrait en tant que tierce partie aux côtés d'Israël lorsque la juridiction examinera l'affaire de génocide sur le fond. La déclaration de Berlin avait suscité une critique cinglante de la part de la Namibie, pays d'Afrique australe et ex-colonie allemande, selon laquelle Pretoria a porté une accusation "moralement juste".

Le président namibien Hage Geingob avait dénoncé "l'incapacité de l'Allemagne à tirer les leçons de sa terrible histoire". En 2021, l'Allemagne avait reconnu pour la première fois avoir commis un génocide en Namibie au début du 20e siècle contre les peuples Herero et Nama pendant la colonisation allemande.

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Pour le président et cofondateur de Médiapart Edwy Plenel, la plainte de l'Afrique du Sud contre Israël devant la CIJ marque un renversement géopolitique historique, Journal Afrique de TV5MONDE du 14 janvier 2024.