Plan de relance : pourquoi l'UE emprunte pour la première fois sur les marchés financiers

Les premiers versements du plan de relance européen à 750 milliards d'euros doivent parvenir dès ce mois de juillet à plus d'une dizaine des 27 États membres. Ce soutien financier pour pallier la crise économique causée par le Covid-19 est nécessaire, mais quelles conséquences peut-il avoir ? Entretien avec Henri Sterdyniak, économiste à l'OFCE.
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Plan de relance NextGenerationEU
Le plan de relance européen NextGenreationEU pourrait atteindre 750 milliards d'euros. Les premiers versements partiels aux États doivent débuter en juillet 2021.
(Illustration : iStock / Rafmaster)
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Le plan de relance européen est une première dans l'Union. Jamais un système équivalent de redistribution n'avait été mis en place, ni le principe d'une dette commune. Les versements des subventions aux États commenceront donc dès juillet, jusqu'à concurrence de 13% de la somme finale pour cette première échéance.

Chaque État membre devait transmettre avant le 30 avril son "plan national pour la reprise et la résilience" à la Commission européenne. Le Portugal avait ouvert la voie dès le 22 avril, suivi de la France, de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Espagne quelques jours plus tard. Mais de nombreux États membres ont accusé des retards. Au 23 juin 2021, 23 plans nationaux ont été remis à l’exécutif européen. Désormais, seuls Malte, l’Estonie, les Pays-Bas et la Bulgarie manquent encore à l’appel.

Il y a l'idée que les pays qui ont réduit leurs investissements —  en raison des contraintes budgétaires — puissent desserrer ces contraintes grâce à ces 750 milliards.

Henri Sterdyniak, économiste à l'OFCE

Ce financement est très à part dans l'histoire économique de la zone puisque les pays toucheront des sommes correspondant à leurs besoins — indépendantes de leurs poids économique — et certaines règles dans les dépenses devront être respectées. Par exemple, 37% de l'aide versée à chaque État devront être consacrés à la "lutte contre le changement climatique". Des investissements dans le numérique sont aussi exigés.

Comment le plan de relance européen est-il financé ? 

— 390 milliards sont des subventions allouées aux États par des emprunts de la Commission
— 360 milliards sont des prêts que les États peuvent contracter (ou non) via la Commission

Ce financement est pour la première fois effectué par la Commission européenne, sur les marchés financiers. Ce mécanisme de relance a été nommé NextGenerationEU. Pour financer NextGenerationEU, la Commission, au nom de l’Union européenne, emprunte sur les marchés à des taux plus favorables que ceux dont auraient pu bénéficier de nombreux États membres et redistribue les montants. Soit sous forme de subventions, soit sous forme de prêts. (Consulter la page de de l'Union européenne : Plan de relance pour l’Europe).

L'emprunt global NextGenerationUE pourra être remboursé jusqu’en 2058.

En parallèle de ce plan de relance temporaire, un mécanisme de financement pluriannuel (CFP) 2021-2027 a été créé. Le CFP est doté de 1080 milliards d'euros.

Mais qu'attendre exactement de cette relance — temporaire et potentielle — de 750 milliards ? Sera-t-elle suffisante pour relancer l'économie européenne, avec quelles conséquences sur les dettes publiques, les budgets des États, l'inflation ? Entretien avec Henri Sterdyniak, économiste à l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), spécialiste des questions européennes et monétaires.

TV5MONDE : Quels effets à court et moyen terme peut-on attendre des prêts et des subventions alloués aux 27 et à quelle échéance ?

Henri Sterdyniak
Henri Sterdyniak est économiste, chercheur affilié à l'OFCE et spécialiste des questions européennes et monétaires.

Henri Sterdyniak, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques : Les effets attendus sont que les États membres pratiquent des politiques dites d'investissements. Dans la transition écologique, dans la transition numérique, dans la transition sociale. L'Union attend que ces investissements aient un effet de relance pour les années 2021, 2022, 2023. Il y a l'idée que l'Union européenne a besoin de se relever après la crise du Covid mais aussi que les pays qui ont réduit leurs investissements — en raison des contraintes budgétaires — puissent desserrer ces contraintes grâce à ces 750 milliards.

TV5MONDE : Pourquoi le secteur de la santé n'est-il pas pris en compte dans ce plan de relance, alors que c'est une épidémie qui a ravagé l'économie ?

Henri Sterdyniak : La santé, pour une grande partie, c'est du fonctionnement. Il y a d'autre part une sorte d'idéologie technologique qui consiste à expliquer que l'on va sortir de la situation difficile dans laquelle nous sommes plongés par la compétitivité et l'innovation, dont l'Europe manque. Ce sont donc le numérique et la transition écologique qui passent au premier plan.

Pour les subventions, l'argent est donné par la Commission qui est chargée du remboursement. (…) Les 750 milliards sont peut-être un peu fictifs si les prêts ne sont pas demandés

Henri Sterdyniak, économiste à l'OFCE

Des secteurs comme l'éducation, la santé ou la famille ne sont effectivement pas pris en compte dans ce programme de relance. Malgré tout, il devait y avoir des sommes relativement importantes qui devaient être allouées à une agence européenne de la santé qui aurait eu pour tâche de coordonner les réponses à la pandémie. Mais cette somme a été réduite au moment des négociations au Conseil européen. Le problème c'est que l'Europe n'est pas responsable des politiques de santé, donc les États ont défendu leur pré carré.

TV5MONDE : Quelles différence y-a-t-il entre les subventions et les prêts accordés aux États par la Commission  ?

Henri Sterdyniak : Pour les subventions, l'argent est donné par la Commission qui est chargée du remboursement. Alors que les emprunts, c'est à chaque État d'en faire la demande s'il le souhaite et c'est chaque État qui est chargé du remboursement de son prêt. Donc les prêts n'apportent rien aux pays suffisamment puissants pour s'endetter sans problème. Le seul avantage des prêts du plan de relance est pour les pays qui subissent des écarts de taux d'intérêts importants, qui en passant par la Commission peuvent se financer à un taux un peu plus bas.

Il y a en réalité le choix entre deux théories. La première est que ces subventions empruntées par la Commission ne seront peut-être jamais remboursées.

Henri Sterdyniak, économiste à l'OFCE

Mais il n'est pas du tout certain que les grands pays utilisent les prêts, donc les 750 milliards sont peut-être un peu fictifs si les prêts ne sont pas demandés. Il faut se rappeler qu'en 2020 il avait été proposé par l'Union européenne de prêter jusqu'à 2% du PIB aux pays qui le souhaitaient. Aucun n'avait été candidat.

TV5MONDE : La Commission européenne emprunte sur les marchés au nom des États, mais comment vont être remboursés les 390 milliards de subventions et sous quels délais ?

Henri Sterdyniak : On ne sait pas. Cela doit être remboursé au plus tard en 2058, mais pour savoir comment ce remboursement va être effectué, il y a en réalité le choix entre deux théories. La première est que ces subventions empruntées par la Commission ne seront peut-être jamais remboursées. Cela pourrait être identique à ce que font les États, c'est-à-dire que la Commission va s'endetter en permanence, ce qui permettrait à la Commission de développer une politique budgétaire permanente.

Il n'y a aucun risque de crise de la dette (…) Le risque d'inflation est limité parce qu'il est peu probable que les ménages se précipitent pour acheter.

Henri Sterdyniak, économiste à l'OFCE

La deuxième théorie, qui a été écrite, est que la Commission va lever des impôts pour financer ce remboursement. Il y a un impôt sur les plastiques non recyclables qui est prévu, il est question d'un impôt sur les transactions financières, une partie de l'impôt sur les grandes entreprises numériques. La taxe carbone aux frontières a aussi été envisagée. Ce serait ces types de ressources futures qui serviraient à rembourser, mais elles n'existent pas encore. Pour ma part je penche plutôt pour la première théorie.

TV5MONDE : Quel effet ce plan peut-il avoir sur les dettes publiques, l'inflation ? Doit-on s'attendre de nouveau à une austérité budgétaire en Europe une fois l'économie relancée ?

Henri Sterdyniak : Il ne se passera pas grand chose au niveau de l'emprunt lui-même, puisque c'est la première fois que l'Union européenne emprunte. Il n'y a donc aucun risque de crise de la dette. Ce qu'il peut se passer, c'est que l'année prochaine, dans certains pays où les ménages ont accumulé beaucoup d'épargne, ils se préciptent pour consommer. Du coup cela génèrerait de l'inflation et l'on dira que le plan de relance vient trop tard, puisqu'il y a déjà de la croissance. Mais c'est un risque limité parce qu'il est peu probable que les ménages se précipitent pour acheter, compte tenu du choc psychologique subi par l'ensemble des ménages avec l'épidémie.

Le grand enjeu est de faire ce plan de relance mais sans faire de plan d'austérité pour le reste des dépenses publiques.

Par ailleurs, le plan de relance concerne surtout le secteur des biens d'équipements plutôt que ceux des biens de consommation. Le risque inflationniste est donc très limité. L'autre avantage est que cela répartit le risque, avec l'Italie par exemple dont on craint qu'elle n'augmente sa dette déjà trop trop forte. Dans le cas du plan de relance par les subventions il n'y a pas à craindre que ce pays n'augmente sa dette. Du point de vue des marchés c'est très satisfaisant. Mais l'argent arrive très tard. Des pays comme la France ont déjà dépensé. La France n'a pas attendu les 40 milliards du plan de relance pour dépenser. Le risque, c'est qu'en 2022 les partisans de l'austérité se réveillent et disent "attention il faut respecter les critères de Maastricht, donc retrouver 60% de dette". Et là ce sera la catastrophe, parce que l'Italie, la France, l'Espagne, la Belgique, la Grèce, ne peuvent pas se lancer dans des politiques visant à retrouver 60% de dette. Le grand enjeu est de faire ce plan de relance mais sans  faire de plan d'austérité pour le reste des dépenses publiques.