Fil d'Ariane
Le gouvernement a lancé un plan de soutien à la filière hydrogène avec l'ambition de faire de la France un "leader mondial" de cette technologie encore émergente, mais présentant de nombreux atouts pour la transition énergétique.
"L'hydrogène peut devenir une solution majeure pour notre mix énergétique de demain", a défendu le ministre de la Transition écologique et solidaire et porteur du plan, Nicolas Hulot.
Doté d'un financement de 100 millions d'euros - piloté par l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) - pour accompagner les premiers déploiements, il met la priorité sur la production d'hydrogène "vert", la mobilité et le stockage d'énergie dans les zones isolées (outremer notamment), là où des avancées sont possibles plus rapidement.
Ce gaz, surtout utilisé aujourd'hui dans l'industrie, permettant de stocker de l'électricité, peut aussi servir de carburant dans les véhicules électriques équipés de piles à combustibles.
L'objectif est d'atteindre 5 000 véhicules en circulation d'ici 2023, contre un peu plus de 250 actuellement, et d'installer 100 stations de recharge contre une vingtaine aujourd'hui. Puis d'arriver jusqu'à 52 000 véhicules en 2028, surtout des utilitaires (taxis, engins de chantiers, etc.) et des véhicules lourds (bus, cars, camions, etc.).
Fédérant les acteurs de cette nouvelle filière, et ayant collaboré à une étude prospective sur le sujet avec le cabinet américain McKinsey, l'Association française pour l'hydrogène et les piles à combustibles (AFHYPAC) salue ce "signal fort" lancé par Nicolas Hulot, tout en reconnaissant un petit manque de réactivité.
Le président de l'AFHYPAC, Philippe Boucly, a répondu à nos questions :
La France n'a-t-elle pas tardé à prendre le train de l'hydrogène ?
Philippe Boucly : La France a tardé à se montrer. Mais ce que je constate c'est qu'on a un grand nombre de pépites, de sociétés qui sont au premier rang mondial que ce soit dans les réservoirs à contenir de l'hydrogène ou dans les piles à combustible. Si vous voulez me faire dire qu'en termes de déclaration officielle, la France a tardé, je vous l'accorde. En revanche, les industriels français sont dans le coup.
En France, comme ailleurs dans le monde, n'y a-t-il pas toujours eu beaucoup de lobbies, notamment dans les énergies fossiles, pour freiner sur cette question ?
P.B. : Il faut voir que ce sont des technologies nouvelles qui sont chères. Elles pâtissent donc de l'existence de technologies plus anciennes qui sont amorties. J'aime bien cette phrase d'un professeur de l'Ecole des Mines de Paris : "ce n'est pas parce qu'une technologie est la plus efficiente qu'on la choisit, mais c'est parce qu'on la choisit qu'elle devient plus efficiente". Et c'est bien le sujet d'aujourd'hui : s'engager dans un Plan Hydrogène pour développer cette filière et faire en sorte que les technologies soient moins chères et se démocratisent. Je salue donc ce jour qui est un grand jour. C'est la première fois qu'un gouvernement français prend un engagement de ce type. C'est un jalon majeur qui fixe un cap, un cadre et des objectifs. Avec des moyens financiers.
Ce Plan sera doté d'un financement de 100 millions d'euros. Est-ce suffisant pour répondre aux enjeux ?
P.B. : 100 millions d'euros la première année ! Le Ministre a été très clair pour 2019. Il a annoncé qu'il allait s'efforcer à ce que cette dotation soit de 100 millions d'euros chaque année.
Vous avez évoqué dans votre étude prospective de début avril 2018 "Développons l'Hydrogène pour l'économie française" des chiffres plus ambitieux.
P.B. : On a lancé cette étude au moment où le ministre à confié la mission de rédiger ce plan au CEA (Commissariat à l'Energie Atomique et aux énergies alternatives) et à la DGEC (Direction Générale Energie Climat). L'étude évoque un chiffre de 8 à 10 milliards d'euros d'investissements nécessaires d'ici 2030, donc une moyenne de 650 millions par an.
Donc bien au-delà des 100 millions de financement annuel présentés.
P.B. : D'abord à l'échelle de la France, c'est relativement peu. 650 millions : cela représente 2,5% de ce que la France a investi dans la décarbonation en 2016. Et, quand on demande un soutien public, ce sont des subventions mais ce n'est pas à l'Etat de faire tout le travail. C'est aussi aux industriels de se mobiliser et d'investir. Dans cette étude, les industriels déclarent que, si le cadre industriel et réglementaire est instauré, ils sont prêts à augmenter leurs investissements dans la filière, voire à les tripler. Il est hors de question de demander à l'Etat d'investir la totalité. Ce n'est pas l'approche des industriels, lesquels veulent un cadre favorable qui leur donne de la visibilité et leur permette d'investir en prenant le risque, car c'est une filière émergente avec des surcoûts. Ils demandent donc à l'Etat de couvrir une partie de ces surcoûts. Et c'est cela le sens de l'argent public demandé.
Combien coûte la fabrication d'un véhicule à hydrogène aujourd'hui ?
P.B. : Je ne nie pas qu'il y a des surcoûts car c'est quasiment artisanal encore. La plus grande flotte de véhicules à hydrogène d'Europe se trouve en France et elle ne représente que 250 véhicules. La pile à combustible coûte très cher. Elle vaut 250 euros du kilowatt. Dans une Mirai (véhicule hydrogène de Toyota) par exemple, il y a entre 25 000 et 30 000 euros de pile. Juste la pile ! Pareil pour les réservoirs, encore chers mais quand les équipementiers vont s'y mettre, les coûts vont baisser.
Les voitures à hydrogène seront-elles plus faciles à déployer que les voitures électriques ?
P.B. : Avoir déjà des véhicules électriques, c'est un premier pas. Lors de la dernière Assemblée Générale de PSA, le président Carlos Tavarès a annoncé qu'il allait intensifier son action sur l'hydrogène et sortir des choses dès l'an prochain. Même les constructeurs français qui n'apparaissent pas très actifs suivent attentivement ce qui se passe dans le secteur. Les technologies sont au point. Il faut mobiliser les énergies. On va devoir construire des écosystèmes territoriaux hydrogène dans une approche systémique globale. En développant des sources d'hydrogène cela servira à décarboner certains secteurs, mais aussi à équilibrer les réseaux électriques. L'électrolyseur est un consommateur flexible qu'on peut actionner à la demande.
La France ne reste-t-elle pas à la traîne comparée à la Chine, au Japon, à la Corée, à l'Allemagne et aux Etats-Unis ?
P.B. : Les équipementiers français sont au premier rang dans ces technologies comme Faurecia, Michelin et Plastic Omnium. Au Japon, Toyota, le précurseur, a un rythme de production annuel de 3 000 véhicules par an seulement. Il va multiplier ce chiffre par 10 en 2020 pour le porter à 30 000. L'avance en Asie n'est pas fantastique et en Europe, non plus. Renault avec Nissan n'aura pas de problème pour coller au peloton.
Le Plan Hydrogène français prévoit de déployer 100 stations de recharge - contre 20 aujourd'hui- et plus de 5 000 véhicules en circulation en 2023. Que pensez-vous de ces objectifs ?
P.B. : Nous avions tablé sur 10 000 véhicules dans notre étude avec McKinsey, mais nous n'avions pas différencié les bus des véhicules utilitaires légers. Donc c'est équivalent en ordre de grandeur. Concernant les stations, nous avions évoqué un chiffre de 140. Les objectifs paraissent réalistes. En Allemagne par exemple, ils avaient affichés 400 stations en 2023, or ils reviennent sur leurs ambitions et prévoient désormais 100 stations en 2020. Et ils en sont aujourd'hui à 40 stations. Nous à 20. L'Allemagne n'a pas eu la même approche que la France au plan de la mobilité. Les Allemands ont développé une infrastructure de recharge pensant que les véhicules viendraient. Mais avec le temps, les véhicules ne viennent pas et des stations de recharge à hydrogène ont été obligées de fermer. En France, l'attitude a été plus pragmatique. Nous sommes donc dans le peloton. Nous attendons d'autres annonces pour avoir plus de visibilité.
Quelle est l'urgence aujourd'hui ?
P.B. : Je vois une double urgence. La qualité de l'air de plusieurs zones, comme la zone de Fos près de Marseille, est extrêmement mauvaise. L'urgence est aussi industrielle. Car si rien n'était fait aujourd'hui, la France risquerait d'être dépassée et à terme et elle pourrait acheter ses technologies ailleurs. Mais les grands groupes se mobilisent aujourd'hui (Air Liquide, Engie, EDF, Total, Alstom, Michelin, Faurecia, Plastic Omnium...) ainsi que des PME-PMI françaises dynamiques. On va vers plus d'électromobilité, c'est à dire vers une électrification de la mobilité.
Qu'est ce que l'AFHYPAC ?
Créée en 2011, l'AFHYPAC, l'Association française pour l'hydrogène et les piles à combustibles, fédère l'ensemble des entreprises (grandes et petites), des instituts de recherche, des Pôles de Compétitivité, des collectivités, des associations régionales et des personnes physiques qui souhaitent promouvoir les technologies de l'hydrogène et des piles à combustible et créer une véritable filière "Hydrogène" en France.
L'AFHYPAC est l'interlocuteur de la filière auprès des pouvoirs publics et des acteurs institutionnels . Elle communique sur les enjeux de la filière et participe à la représentation de la filière dans les instances internationales.
L'AFHYPAC s'efforce de faire connaitre les atouts du vecteur Hydrogène comme soutien à l'intégration des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique français : conversion en hydrogène par électrolyse de l'électricité excédentaire. Cet hydrogène peut être stocké dans le réseau de gaz naturel, valorisé comme matière première ou dans des piles à combustible pour la mobilité, ou encore pour produire du méthane de synthèse.
Ancien Directeur général de GRTgaz et premier vice-président de l’association depuis 2013, Philippe Boucly (Polytechnique) a été élu président de l'AFHYPAC en décembre 2017.