Fil d'Ariane
Disons-le, dans l'univers Pokémon, il n'y a pas grand chose qui puisse retenir l'attention d'un adulte sain de corps et indemne d'esprit.
Le graphisme des bestioles évoque d'avantage le dessin d'un alcoolique en période de sevrage que d'un hommage à Renoir. Les traits des personnages sont aigus, leurs yeux disproportionnés, leurs rictus sont étranges. Et que dire de leurs noms ! Dans la famille Pokémon, on trouve Carapuce, Salamèche, Pikachu, Goupix... autant d'identités qui semblent échappées du grimoire d'un sorcier farceur.
Impossible de les citer tous : la tribu compte 740 espèces ! De même, sauf à vouloir courir le risque d'attraper une méningite aigüe, il faut renoncer à comprendre les règles du jeu. Trop tordues.
Cependant, toutes les moqueries du monde n'empêcheront pas cette évidence : les Pokémon ont conquis le monde. Les cartes ont envahi les cours de récréation, les préoccupations de nos enfants... sans oublier d'assécher le portefeuilles des parents. Pokémon Go s'impose aujourd'hui de façon foudroyante et un peu inquiétante aussi. Et les adultes sont les cibles. Avant de revenir sur cette nouvelle addiction mondiale, évoquons les origines du phénomène planétaire, remontons à la source de l'aventure Pokémon.
Elle commence au Japon en 1995.
Satoshi Tajiri a 34 ans quand il crée le jeu Pokémon. Fils d'un vendeur chez Nissan, le bonhomme passe sa vie devant son ordinateur à jouer aux Space Invaders, l'un des premiers jeux vidéo des années 1970-1980. Il a également fondé, à l'âge de 17 ans, un fanzine Game Freak, consacré au jeu vidéo.
La virtualité lui offre des plaisirs et une qualité d'émotion qu'il ne retrouve pas sur les bancs de l'école. Son autre passion, parallèlement aux jeux vidéos, ce sont les insectes qu'il collectionne. Satoshi est un "otaku", terme qui désigne celles et ceux qui privilégient le virtuel à la réalité.
Technologie et insectes sont son obsession. Il va utiliser les possibilités de la première pour donner vie aux seconds, sous forme de créatures imaginaires.
La société Nintendo, approchée, se laisse séduire. Consécration suprême, un article dans le magazine Time, où il confiera : " Les enfants jouent à l’intérieur de leur maison désormais, et beaucoup ont oublié la capture d’insectes. De même que moi. Quand je faisais des jeux, quelque chose a fait tilt et j’ai décidé de faire un jeu avec ce concept. Tout ce que je faisais en tant qu’enfant était en quelque sorte réuni en une chose : c’est ce qu’est “Pokémon ?”"
Une première série télévisée accouche laborieusement. Elle mettra 6 ans à voir le jour. Un scandale assurera sa promotion. En 1997, 700 enfants font un malaise en regardant la série télévisée. La faute aux innombrables flashes de lumières qui ponctuent le rythme endiablé de chaque épisode. Nintendo corrigera la chose et saura tirer tout le bénéfice d'une telle publicité inattendue.
Les Pokémon prennent la relève du Tamagotchi, ce poussin virtuel dans son écran à cristaux liquides dont il fallait s'occuper sinon il dépérissait. L'immense succès des
Pokémon s'explique par le culte du kawaii ("mignon" ) très vivace dans l'archipel. Peluches, images, babioles, la jeunesse nippone raffole de ces monstres gentils, "de poche" qui vont bientôt imprégner l'univers des mangas, c'est-à-dire de la (bande dessinée). En 1999, le journaliste Philippe Pons expliquait dans les colonnes du journal Le Monde : "Les gentils monstres ne sont pas étrangers à l'univers imaginaire traditionnel nippon : c'est le cas du Kappa, par exemple, l'esprit malin des rivières, qui présente des similitudes morphologiques lointaines avec certains Pokémon. Ceux-ci sont enfin très japonais par les valeurs qu'ils véhiculent, dont certaines ont été élevées au rang d'archétype de l'identité nationale : une certaine gentillesse dans les rapports humains, le sens de la responsabilité et de l'entraide, l'humilité, la loyauté et le respect mutuel dans la relation maître-élève. Dans l'univers de Tajiri, les catastrophes se produisent uniquement lorsque les dresseurs, c'est-à-dire les humains, faillissent à leurs devoirs."
La folie Pokémon s'empare du monde d'une manière fulgurante. Dès l'année suivante, en 2000, si le jeu vidéo génère un chiffre d'affaires mondial de 1,5 milliard de dollars, les produits dérivés pèsent le triple, soit 4,5 milliards de dollars ! Plus de 4 000 produits différents sous le thème Pokémon sont alors en vente dans le monde. La folie Pokémon est sans limite. 5 ans plus tard, les Pokémon donnent naissance à un parc de loisirs, à Nagoya. Les visiteurs se comptent en millions.
Les monstres gentils et méchants pondent des oeufs en or. Les cartouches de jeu s'arrachent. Elles nourrissent les consoles Nintendo GameCube ou GameBoy Advance. On trouve aussi des pâtes, des bandes dessinées et même des chaussures Pokémon ! En à peine dix ans, les Pokémon ont généré un chiffre d'affaires de 30 milliards de dollars à travers le monde.
Qui dit mieux ?
Le mieux, le plus juteux, est peut être maintenant.
Lancé le 7 juillet aux États-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande, le jeu de réalité augmentée a conquis en un jour plus d'utilisateurs aux États-Unis que Tinder sur Android. La nouveauté tient à un phénomène d'addiction quasi immédiat.
Il faut dire que le principe du jeu est séduisant.
Il s'agit d'un jeu de piste virtuel. Nintendo profite des outils de géolocalisation de votre smartphone et de son appareil photo. À l'approche d'un Pokémon, votre
This week in a single photograph pic.twitter.com/rSVjboWwf4
— Eric Hu (@_EricHu) 9 juillet 2016
téléphone reçoit une notification et la caméra s'enclenche, faisant apparaître le monstre dans le cadre. Une révolution ludique ! Vous, le dresseur de Pokémon, n'évoluez plus dans un univers fictif mais dans un véritable environnement : le vôtre ! Mais gare aux dérapages.
Le 10 juillet, à Forest Gove, dans l'Oregon, un jeune homme de 22 ans venait de voir apparaître un Pokémon dans le magasin dans lequel il était venu acheter des chips et une canette de bière. Chance ? Non, malchance ! Il reçu en même temps un coup de poignard de la part d'un individu alors qu'il jouait à "Pokémon Go" sur son téléphone. Impossible de décrire son agresseur aux policiers. Pas vu, pas le temps. Le joueur a même refusé d'être secouru, préférant poursuivre sa partie !
En France, officiellement, Pokemon Go n'est pas encore disponible mais des confrères journalistes, ces grands gentils, ont tout de même publié quelques astuces pour goûter au dernier-né de chez Nintendo. Celles et ceux qui n'entendent rien aux bidouillages de leur smartphone attendront la sortie officielle en Europe. Elle devrait être annoncée cet été.
Go ?