Polémique au Canada où le groupe Méta coupe l'accès aux médias en pleine saison des feux

Depuis le 1er août, Meta - propriétaire de Facebook et d'Instagram - bloque l'accès aux contenus d'actualité de médias sur ses plateformes. Cette décision a été prise en riposte à une loi relative à l'information en ligne votée en juin par le gouvernement canadien. Cette situation pénalise les Canadiens qui fuient les incendies et dont le seul accès à l'information passe par leur téléphone mobile.
 

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Photo d'illustration. Une personne se tient devant une enseigne Meta à l'extérieur du siège social de l'entreprise à Menlo Park. Californie, États-Unis -  mardi 7 mars 2023. 

AP/Jeff Chiu
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"C'est dangereux". Comme des milliers de Canadiens, Kelsey Worth a dû évacuer sa ville menacée par un gigantesque incendie de forêt. Une fuite rendue compliquée par l'impossibilité de trouver des informations fiables sur Facebook, qu'elle utilise habituellement pour s'informer. 

“C'était incroyablement difficile de trouver l'information, de savoir si l'évacuation avait été ordonnée ou pas", raconte à l'AFP cette résidente de Yellowknife, principale ville des Territoires du Nord-Ouest. "Et en situation d'urgence, le temps presse. Et personne n'arrive à départager le vrai du faux" sur les médias sociaux, s'insurge cette employée d'un concessionnaire, âgée de 35 ans.

Les flammes du feu de forêt de Donnie Creek brûlent le long d'une crête au nord de Fort St. John, en Colombie-Britannique, le dimanche 2 juillet 2023.

Les flammes du feu de forêt de Donnie Creek brûlent le long d'une crête au nord de Fort St. John, en Colombie-Britannique, le dimanche 2 juillet 2023.

(AP Photo/Noah Berger)

Bras de fer 

 La multinationale américaine et le gouvernement canadien sont engagés dans un véritable bras de fer depuis le vote de la loi C-18, inspirée d'un modèle australien datant de 2021. La loi canadienne va obliger les géants du numérique à conclure des accords commerciaux équitables avec les médias locaux sur les contenus diffusés sur leurs plateformes, sous peine de devoir recourir à un arbitrage contraignant. 

Ils préfèrent laisser les personnes en danger plutôt que de faire leur juste part pour appuyer la démocratie et le journalisme local.

Justin Trudeau, Premier ministre du Canada

Mais avant même l'entrée en vigueur de la loi, Meta a choisi le blocage, arguant que "les médias d'information partagent volontairement du contenu sur Facebook et Instagram pour accroître leur lectorat". 

Face à l'état d'urgence provoqué par les incendies - de loin la pire saison des feux que le Canada n'ait jamais connu - le Premier ministre Justin Trudeau a vertement critiqué Meta. Le dirigeant accuse l'entreprise de faire passer ses profits avant la sécurité des citoyens. "Ils préfèrent laisser les personnes en danger plutôt que de faire leur juste part pour appuyer la démocratie et le journalisme local", a-t-il déclaré cette semaine, parlant d'une décision "épouvantable", qui crée beaucoup de "frustrations". 

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Pénurie médiatique 

Depuis 2008, plus de 450 médias d'information canadiens ont fermé leurs portes, d'après le ministère du Patrimoine. La nouvelle législation pourrait permettre aux médias canadiens de recevoir environ 330 millions de dollars canadiens (226 millions d'euros) par an, selon un rapport parlementaire publié en octobre 2022. 

Meta pourrait lever temporairement son blocage dans le but de préserver des vies humaines.

Ollie Williams, directeur de la station de radio nordique Cabin Radio

"Meta pourrait lever temporairement son blocage dans le but de préserver des vies humaines et ne subirait aucune pénalité financière car la législation n'est pas encore entrée en vigueur", explique à l'AFP Ollie Williams, directeur de la station de radio nordique Cabin Radio, qualifiant ce blocage de "stupide et dangereux".

Lui et son homologue Nicolas Servel, directeur de Radio Taïga, ont noté que beaucoup d'internautes ont fait preuve de "malice" pour contourner le blocage. Ils ont "trouvé d'autres moyens de partager" ces informations vérifiées, explique M. Servel, notamment en faisant des captures d'écran des sites d'information et en les relayant ensuite sur leurs profils personnels. Résultat : Cabin Radio par exemple a vu son trafic en provenance de Facebook "baisser en continu", ce qui est "une bonne chose", selon Ollie Williams, car le nombre de visiteurs directs sur le site n'a lui "fait qu'augmenter". 

“Choix humanitaire” 

Le diffuseur public CBC/Radio-Canada a lui interpellé la direction de Meta cette semaine, évoquant une "question de vie ou de mort". "Je vous prie de faire le choix humanitaire qui s'impose et de lever immédiatement le blocage (...) pour les communautés menacées par les feux", écrivait mardi la PDG Catherine Tait. 

C'est un enjeu de sécurité publique et de sécurité nationale.

Patrick White, professeur de journalisme à l'Université du Québec à Montréal (UQAM)

À cela, Meta - qui n'a pas répondu aux demandes d'entretien de l'AFP - a opposé une fin de non-recevoir, précisant avoir activé en réponse aux feux la fonction "contrôle de sécurité" sur Facebook, permettant à ses usagers de signaler à leurs proches être en lieu sûr. 

Selon Patrick White, professeur de journalisme à l'Université du Québec à Montréal (UQAM), cette attitude de Meta s'apparente à celle d'un "mauvais citoyen". "C'est un enjeu de sécurité publique et de sécurité nationale", explique-t-il, se disant néanmoins "optimiste" pour un éventuel règlement entre le gouvernement canadien et les géants du web.