Fil d'Ariane
L'État français a été condamné ce mercredi 4 août à payer 10 millions d'euros pour ne pas avoir suffisamment renforcé son dispositif contre la pollution de l'air. Du jamais vu dans cette affaire emblématique à la fois sanitaire et environnementale. Un tournant dans l'application du droit environnemental ?
On devine la basilique du Sacré Coeur, en haut de la colline de Montmartre, alors que Paris traverse un gros de pic de pollution le 7 décembre 2016.
Nous sommes en 2015 et l'association Les Amis de la Terre dépose une plainte contre l'Etat. Celle-ci réclame des mesures permettant de ramener les concentrations en particules fines et en dioxyde d'azote sous les seuils fixés par l'Union européenne. Six ans après, le Conseil d'État sanctionne le gouvernement à une amende de 10 millions d'euros. Jamais le gouvernement n'a été condamné à une telle somme auparavant. Entretien avec Louis Cofflard, avocat de l'association des Amis de la Terre.
(Re)voir: Environnement : à partir d'aujourd'hui, l'humanité vit à crédit
TV5MONDE : Quelle a été votre réaction à l'annonce de la sanction de l'Etat?
Louis Cofflard, avocat : On est très satisfait que le Conseil d'État nous ait suivis dans notre argumentation considérant que l'année 2020 n'était pas très représentative, en raison de la crise sanitaire et des confinements successifs. Cependant, c'était une décision attendue car malheureusement, cela fait plusieurs années que l'instance judiciaire prévient que cette condamnation risque de tomber.
Nous avions déjà gagné en 2017. Le juge avait alors lancé un premier avertissement à l’État.
Louis Cofflard, avocat de l'association des Amis de la Terre.
Nous avions déjà gagné en 2017. Le juge avait alors lancé un premier avertissement à l’État. Le 10 juillet 2020, le Conseil d'État avait condamné le gouvernement a payer 10 millions d'euros pour chaque semestre où sa décision- de réduire les taux de pollution- ne serait pas respecté. Une amende d'un montant élevé s'imposait. Cette décision concerne la santé de tout un pays, mais aussi la protection de l'environnement.
(Re)voir : Environnement : "l'Affaire du Siècle", source d'inspiration en Europe ?
TV5MONDE : Quels sont les manquements concrets de l'État dans cette affaire?
Louis Cofflard, avocat : La France n'a pas révisé ses plans en application de la directive européenne, dans laquelle figure les mesures qui permettent de baisser les concentrations de polluants. Cela se traduit par exemple par des mesures pour réduire les émissions liées à la circulation des voitures ou des transports.
La pollution de l'air en France c'est 40 000 à 60 000 décès par en France
Louis Cofflard, avocat de l'association des Amis de la Terre.
Les Amis de la terre avaient commencé à s'intéresser à cette problématique dès 2006. Ils se reportaient aux chiffres officiels des associations qui s'assurent de la qualité de l’air. Ces derniers montraient qu’il y avait des concentrations de particules fines et de dioxyde d'azote très élevés à Paris et ailleurs en France. Le bilan annuel de la qualité de l'air du ministère de la transition écologique prouvait aussi qu'on ne respectait pas les seuils.
(Re)lire : Environnement : quelle stratégie globale en matière de réchauffement climatique ?
On compte aussi de nombreuses études épidémiologiques démontrant l'aggravation de la morbidité liée à une exposition répétée à la pollution de l'air. Cela se traduit parfois par des morts prématurés. On parle de 40 000 à 60 000 décès par en France, c’est considérable! Cette pollution engendre aussi des maladies très graves qui peuvent aller de l'aggravation de crise d'asthme à des malades cardio-vasculaires ou pulmonaires voire des cancers. Une affectation sur la fécondité et sur les femmes enceintes a aussi été observée.
TV5MONDE : Cette sanction consiste-t-elle en un pas en avant vers la judiciarisation des atteintes à l'environnement?
Louis Cofflard, avocat : C'est le seul fondement légal qui permet d'obtenir une réparation. Nous souhaitons vraiment que le gouvernement se saisisse de cette décision pour accélérer sa mise en conformité avec le droit européen. Plutôt que de faire des arbitrages mous dans lesquels on essaie de contenter tout le monde, il faudrait prendre le taureau par les cornes. C’est aussi le sens d'une démocratie de base. Dans un État de droit, quand il y a une décision de justice, il faut la respecter.
(Re)voir : Environnement : quels droits pour les générations futures ?
Jusqu'ici on est face à une très mauvaise volonté de la part du gouvernement, concernant à la fois l'application de la directive européenne mais aussi des décisions de justice du Conseil d'Etat. C'est très grave, parce qu'on cherche à protéger le contribuable français. Contrairement à ce qu'on peut dire, l'amende ne va pas coûter au contribuable dans un premier temps.
Les 10 millions d'euros vont être réaffectés à des administrations en charge de la qualité de l'air. Ce n'est pas une perte sèche pour l'usage public. En l'occurence, si l'Etat continue de violer la directive, il pourrait s'agir d'un montant bien plus élevé.
Ce n'est pas normal que l'on soit dans une situation d'infraction permanente. Après, on ne pourra jamais forcer un gouvernement à faire ce qu'il ne veut pas, parce qu'il n'y a que les contraintes financières qui existent. Mais au bout d'un moment, c'est sa crédibilité qui est en jeu. Est-ce qu'il veut continuer à ne pas respecter l'État de droit? S'exposer à des amendes européennes? Jeter sur lui le discrédit total par rapport à ses engagements internationaux? Je n'espère pas, mais c'est en ce sens qu'une décision de justice peut faire progresser l'application des lois européennes et françaises.