Pologne : le bras de fer des agriculteurs contre le pétrolier Chevron

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Pologne : le bras de fer des agriculteurs contre le pétrolier Chevron
Les agriculteurs de Zurawlow ont investi le site de Chevron entre voisins, en famille, et à grand renfort de tracteurs - ©Andrzej Bak Revolt Cinema
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C'est le scénario de David contre Goliath, version gaz de schiste, qui se joue depuis un mois sous l'oeil des caméras. A Zurawlow, dans le sud-est de la Pologne, les agriculteurs occupent un site convoité par l'industriel Chevron. Objectif : empêcher la prospection de gaz au beau milieu de leurs cultures.
Un mois... Ce mercredi 3 juillet, voici un mois que Wieslaw Gryn, l'un des plus gros agriculteurs polonais, occupe les terres de Zurawlow sans avoir encore été délogé par la police. Avec d'autres fermiers de la région, il campe en lisière des champs pour bloquer l'accès au géant pétrolier américain Chevron (lien en anglais), qui envisage d'investir la zone, pressentie propice à l'exploration de gaz de schiste.
"Nous croyons que nous pouvons gagner", confie le paysan par téléphone. Avec ses amis, il a installé tentes, coin cuisine, tracteurs et banderoles au seuil de la zone convoitée. Rassemblés sous la bannière "Occupy Chevron", les paysans se relaient jour et nuit pour empêcher les camions de l'industriel d'entrer sur les terres en danger. Ils s'arrangent, disent-ils, pour être en permanence une vingtaine sur place. En cas de besoin, ils ont la possibilité d'actionner une sirène pour alerter des renforts. 
Si leur organisation est si bien rodée, c'est parce qu'il y a un an et demi, les paysans de Zurawlow ont déjà chassé Chevron une première fois. Le réalisateur Lech Kowalski, présent sur place et fervent opposant à l'exploration de gaz de schiste, en a même fait un documentaire, La malédiction du gaz de schiste. On y découvre notamment qu'à force de s'informer, les paysans sont désormais plus experts en fracturation hydraulique que nombre d'universitaires. "Ils craignent pour leur environnement, leur santé, la qualité de l'eau..." exprime l'auteur joint par téléphone. 
Sur place, l'image filmée est omniprésente. Une caméra en direct permet aux internautes de partager l'attente des agriculteurs. En face, un cameraman de Chevron filme toutes les activités du site, y compris les interviews téléphoniques des manifestants avec les journalistes (voir vidéo ci-contre). Une présence qui agace les militants.
"Chez nous, il n'y a pas de barrière autour des champs"
Pour les agriculteurs, il s'agit avant tout d'empêcher la pose d'une clôture autour de la zone de prospection. "En Pologne, il n'y a pas de barrière autour des champs. Mais Chevron veut en installer une autour du site", affirme Lech Kowalski. Cela fait, l'industriel pourrait entreprendre tous les travaux nécessaires pour explorer le sous-sol de Zurawlow. La firme pétrolière n'est pourtant pas propriétaire des lieux. "Elle loue la zone à quatre fermiers, selon des termes tenus secrets. Le bail est de quarante ans", décrit le réalisateur.
Face aux accusations d'illégalité portées par les opposants au projet de l'entreprise, la porte-parole de Chevron Pologne, Grazyna Bukowska, assurait à l'AFP le 12 juin dernier : "Nous sommes au courant de cette action de protestation. Chevron dispose de toutes les autorisations nécessaires pour commencer les travaux de Zurawlow. Nous installons une clôture pour délimiter le terrain que nous avons pris en bail." 
Chaque année, la Pologne importe de Russie les deux tiers de sa consommation de gaz. Elle entend donc investir dans la prospection et l'exploitation de gaz de schiste, à hauteur de 12,5 milliards d'euros d'ici à 2020. Par exemple à Ksiezomierz, un village situé à une centaine de kilomètres de Zurawlow. Le curé du village y a même béni les installations (lien en français) du pétrolier américain.
Pologne : le bras de fer des agriculteurs contre le pétrolier Chevron
©Andrzej Bak Revolt Cinema
Police et réseaux sociaux
Alors face à l'indéfectible motivation des agriculteurs, les autorités locales ont signé un ordre d'expulsion au 1er juillet. Le 3 juillet au matin, la police n'est toujours pas là. "Nous ne savons pas si elle viendra," commente Lech Kowalski. Comme le montre le journal de bord disponible sur le blog des opposants à la société pétrolière, les forces de l'ordre sont déjà souvent sur place. "Aujourd’hui on a assisté à une véritable provocation de la police initiée par Chevron. La compagnie pétrolière accuse les paysans de lui avoir volé le groupe électrogène (utilisé notamment pour communiquer avec l’extérieur)," lit-on par exemple en date du 12 juin. Ou le lendemain : "La police a débarqué en fin de journée pour demander aux paysans d’évacuer les tracteurs qui encombrent un peu le passage. Les paysans ont simplement refusé. Les policiers sont repartis en disant merci."
En attendant d'être délogés par les forces de l'ordre, les opposants à la prospection géologique diffusent en continu des informations depuis Zurawlow sur les réseaux sociaux. Twitter, Facebook Tumblr et Youtube sont mis à contribution. "Nous cherchons des soutiens, exprime Wieslaw Gryn. Nous faisons appel aux médias de tous les pays pour qu'ils viennent ici voir ce qui se passe".
Un soutien au-delà des frontières Fin juin, des députés européens ont écrit au Premier ministre Donald Tusk et au ministre de l'Environnement Marcin Korolec en soutien aux paysans (lien en anglais). Mais cette lutte trouve un écho particulier en France, en proie ces derniers temps à d'importants débats sur l'autorisation de l'exploration de gaz de schiste dans l'Hexagone. Les associations militantes Stop au gaz de schiste et No Fracking France relaient les revendications des fermiers. Le député européen et militant écologiste José Bové a fait de même sur son blog : "Je vous apporte tout mon soutien. Je demande aux autorités locales de prendre les mesures nécessaires pour conduire au retrait de Chevron."
Fort de la médiatisation et du soutien au combat des agriculteurs de Zurawlow, Lech Kowalski prévient qu'en cas d'évacuation par les forces de l'ordre, ils savent déjà quoi faire. Mais ça, "c'est secret. Parce que c'est stratégique".

Les fermiers filment leurs actions...

Pour les journalistes qui ne peuvent venir sur place, de nombreuses vidéos montrent les actions des fermiers - empêcher le déchargement d'un camion en dépit de la présence de forces de sécurité de l'industriel, par exemple :