La lutte contre ces violences doit devenir une "
priorité de politique publique et pénale", plaident les auteurs de ce rapport intitulé "
Porno: l'enfer du décor".
Depuis l'apparition des grandes plateformes internet comme "
Pornhub" ou "
Xvideos" au milieu des années 2000, la diffusion du porno est devenue "
massive" selon les sénateurs. Ils exhortent le gouvernement à agir.
TV5MONDE : Vous dénoncez les violences dans les scènes de films pornographiques, que préconisez-vous pour y mettre fin ? Annick Billon, Sénatrice : Il est tout d’abord nécessaire de notifier que la volonté des rapporteurs est d’imposer le sujet de la pornographie dans le débat public. Jusqu’à présent, aucun travail parlementaire ne s’était penché sur l’industrie de la pornographie et aucune politique publique ne couvre cette problématique.
Il existe un viol conjugal tout comme il existe des viols, des agressions sexuelles dans la pornographie.Annick Billon, sénatrice, rapporteure de la mission d'information.
Aujourd’hui il est nécessaire de créer une prise de conscience générale. Il faut que nous réalisions dès à présent que "
oui" il existe des viols "
aussi" dans la pornographie.
Longtemps cette idée n’a pas réussi à s’imposer. De la même manière que l’a longtemps nié le "
viol conjugal" en affirmant "
ils sont en couple, il n’y a pas de viol conjugal", le viol ou les agressions sexuelles dans la pornographie n’ont pas été considérés. Or, il existe un viol conjugal tout comme il existe des viols, des agressions sexuelles dans la pornographie.
Si des femmes ont pu, au départ, donner un consentement, ce consentement a pu être obtenu par contrainte, par soumission chimique ou par un premier viol de soumission. Dans ces cas précis, il faut pouvoir accueillir la parole des victimes.
À partir du moment ou un producteur ou un réalisateur demande qu'il y ait une agression sexuelle ou un viol, cela doit être condamnable par la justice.Annick Billon, sénatrice, rapporteure de la mission d'information.
Ce que nous proposons c’est de créer un délit d’infraction à une incitation pénale dans le cas d’un viol ou d’une agression dans le milieu de la pornographie. Cela signifie qu’à partir du moment ou un producteur ou un réalisateur demande à ce qu’il y ait une agression sexuelle ou un viol, cela doit être condamnable par la justice sans que l’on dise "
il n’y a pas de problème c’est du porno".
La difficulté aujourd’hui, c’est que sous couvert de pornographie tout est accepté, les viols, les agressions sexuelles, des actes de barbarie ou de tortures… Or "non", il n’y a aucune raison que tout ce qui est interdit dans la société puisse être autorisé dans la pornographie.
Les agents de l’ARCOM doivent avoir la possibilité de surveiller et de retirer toutes vidéos de viols ou d'agressions sexuelles rapidement sans avoir recourt à un huissier.Annick Billon, sénatrice, rapporteure de la mission d'information.
Il faut que les gens comprennent que les actes dans ces films ne sont pas simulés. Les hurlements ne sont pas simulés, les pleurs, le sang n’est pas simulé et il y a de véritables actes de barbarie. Cette pornographie est majoritaire sur les réseaux sociaux. Elle représente 90% des productions.
Nous devons donc avoir la possibilité de retirer toutes les vidéos qui sont aujourd’hui des agressions sexuelles et des viols. Les agents de l’ARCOM doivent être assermentés. Ils doivent avoir la possibilité de surveiller et de retirer toutes vidéos de viols ou d'agressions sexuelles rapidement sans avoir recourt à un huissier. Ils doivent avoir la possibilité également d’imposer des sanctions administratives de la même manière que l’on gère les propos haineux ou l’apologie du terrorisme sur les réseaux.
Des scènes pornographiques de plus en plus violentes et non simulés
L’industrie de la pornographie représente aujourd’hui 25 % du trafic web dans le monde. Au sein de ce "business massif et mondialisé", 90 % des scènes pornographiques comportent de la violence, selon les informations fournies par ce rapport.
"Les violences sexuelles, physiques et verbales sont massivement répandues dans le porno et revêtent un caractère systémique. Elles ne sont pas simulées mais bien réelles pour les femmes filmées", rapporte les experts.
Les internautes ont accès à des contenus de plus en plus violents. S’ils ne sont pas forcément les plus recherchés, ces contenus sont cependant très vite proposés sur la page principale des sites ou dans l’onglet "vidéos les plus regardées", d’après les informations collectées par les sénateurs.
En outre, selon les auditions d’experts au Sénat, en cas d’accoutumance à la pornographie les consommateurs se dirigent vers des contenus de plus en plus violents.
TV5MONDE : Très concrètement comment souhaitez-vous imposer une vérification de l’âge des utilisateurs sur les plateformes ? Il y a différents outils pour protéger les mineurs. Le premier est l’écran noir. Durant nos six mois de travail, nous avons découvert qu’un certain nombre d’adolescents sont exposés à la pornographie involontairement. Nous souhaitons donc qu’avant la pornographie il y ait un écran noir.
Ensuite concernant la vérification de l’âge, il n’est pas acceptable de laisser la situation en l’état. Aujourd’hui sur ces sites il suffit d’un clic indiquant "
j’ai 18 ans" pour avoir accès aux millions de vidéos disponibles.
À voir : L'Unicef accusée d'encourager la pornographie ?
L’idée est donc d’externaliser le contrôle de la vérification de l’âge. Il faudrait mettre en place un système de double anonymat, c’est-à-dire un intermédiaire entre le site est l’internaute de telle sorte à protéger les données personnelles de l’utilisateur tout en vérifiant son âge.
Cette vérification pourrait se faire de différentes façons. En Grande-Bretagne par exemple, une identification par carte bancaire est imaginée. Cette solution pose toutefois des problèmes quant à la préservation des données et ne me semble pas possible à mettre en place.
Nous proposons d’améliorer le système parental aujourd’hui non optimal.Annick Billon, sénatrice, rapporteure de la mission d'information.
D’autres solutions, d’autres technologies se développent. Nous pouvons par exemple penser notamment à des technologies de reconnaissance faciales instantanées pour accéder à ces sites. D’autres solutions sont proposées par la CNIL et pourraient être utilisé à l’avenir.
Nous savons par exemple aujourd’hui qu’une recherche sur 5 sur un smartphone concerne une vidéo à caractère sexuel. Donc systématiquement à partir du moment où un abonnement est souscrit pour un mineur il y a une possibilité d’activer le système parental. Nous proposons donc d’améliorer ce système aujourd’hui non optimal.
2.3 millions de mineurs par mois sur les sites "pour adultes".
En principe, en France l’article 227-24 du Code pénal interdit l’accès à la pornographie aux mineurs. Pourtant, 2/3 des enfants de moins de 15 ans et 1/3 des moins de 12 ans auraient déjà eu accès à des images pornographiques, selon une étude de l’institut de sondage Opinionway parue en 2018 et relayé par le rapport.
Au total, 2,3 millions de mineurs (dont 1.2 âgés de moins de 15 ans) se rendent chaque mois sur un site pornographique.
Les conséquences de cette exposition massive des mineurs à la pornographie sont "nombreuses" et "inquiétantes", selon les auteurs du rapport. Il pourrait s’agir entre autres de "Traumatismes, troubles du sommeil, (hyper) sexualisation précoce ou développement de conduites à risque ou violentes..."
TV5MONDE : Vous voulez faire connaitre aux adolescents les ressources accessibles pour répondre à leurs questions en matière de sexualité. Quels sont les ressources aujourd’hui disponibles ?Dans une loi baptisée "
Loi Aubry" qui date de 2001, il y a des séances d’éducation sexuelle par an et par niveau. Ces séances pourtant obligatoires ne sont pas, peu ou mal dispensées dans les établissements scolaires. Autrement dit, la loi n’est pas respectée et n’est pas appliquée.
Lorsque ces cours expliquent l’anatomie de l’homme et de la femme à des enfants de troisième exposés à la pornographie depuis leurs huit ans, on n’est complétement à côté de la plaque.Annick Billon, sénatrice, rapporteure de la mission d'information.
On va devoir mettre au programme ces cours qui figurent dans la loi. Il faut toutefois veiller à adapter ces cours au public visé. Lorsque ces cours expliquent l’anatomie de l’homme et de la femme à des enfants de troisième exposés à la pornographie depuis leurs huit ans, on n’est complétement à côté de la plaque.
Il faut adapter les enseignements, il faut des espaces d’écoute et de parole. C’est le rôle de la médecine scolaire qui doit permettre d’accueillir la parole de ces adolescents et jeunes adultes de manière efficace. Aujourd’hui cette médecine n’a pas les moyens d’assumer ses missions en raison d’un manque de médecins scolaires.
Je pense par exemple que peu de parents sont au fait "d’Onlyfan", réseau social sur lequel des adolescentes se mettent en photo et gagnent pas mal d’argent.Annick Billon, sénatrice, rapporteure de la mission d'information.
Enfin, une éducation au numérique est nécessaire. Le développement de la pornographie aujourd’hui est, bien entendu, lié au smartphone. Il faut éduquer au numérique ces enfants mais aussi leurs parents.
Ces derniers sont souvent moins à l’aise que ne le sont les plus jeunes sur les outils numériques. Je pense par exemple que peu de parents sont au fait d’Onlyfan, réseau social sur lequel des adolescentes se mettent en photo et gagnent pas mal d’argent.
TV5MONDE : Lors de votre enquête, vous êtes-vous renseignée sur le fonctionnement des industries de la pornographie à l’étranger ? Existe-t-il des pays plus exemplaires que d’autres ?Dans la mesure où la pornographie n’est plus une affaire de sexe mais une affaire d’argent, évidemment l’industrie est répartie à l’international. Les spécialistes derrières la pornographie ne sont plus des professionnels du sexe mais des professionnels de la finance.
Cette industrie se base dans des paradis fiscaux, les tournages s’effectuent dans le Nord des États-Unis ou dans des pays de l’Est de l’Europe. L’industrie de la pornographie n’a pas de frontière ce qui explique une massification de la production et de la diffusion.
Je pense que le fait que nos travaux soient relayés dans la presse internationale depuis deux jours, démontre que c’est un sujet qui dépasse de loin le territoire national.Annick Billon, sénatrice, rapporteure de la mission d'information.
Aujourd’hui il n’y a pas de "
bonne solution" puisque l’industrie est déjà partout. Il y a des pays qui font moins que d'autres pour réglementer. Par exemple, plus les règles de tournages se durcissent en Amérique du Nord, plus les tournages s’exportent dans les pays de l’Est de l’Europe.
Je pense que le fait que nos travaux soient relayés dans la presse internationale depuis deux jours, démontre que c’est un sujet qui dépasse de loin le territoire national.
TV5MONDE : Quand est-ce que les mesures proposées dans ce rapport sont-elles susceptibles d’entrer en vigueur ? Pour l’heure il n’y a jamais eu de politique publique sur ce sujet. Nous allons donc présenter ce rapport au gouvernement, tenter d’avancer sur nos propositions.
Souvent sur ce type de sujet, c’est la société qui fait bouger les choses avant la législation.Annick Billon, sénatrice, rapporteure de la mission d'information.
Souvent sur ce type de sujet, c’est la société qui fait bouger les choses avant la législation et la réglementation. Compte tenu de l’écho médiatique de ce rapport, je pense qu’il y aura un avant et un après les travaux du sénat.