Portugal : la privatisation de la télévision publique fait débat

Faut-il privatiser la radio et la télévision publique au nom du redressement des finances ? Le sujet fait débat au Portugal. Mais annoncé depuis des mois, sans cesse reporté, le projet mal ficelé est au point mort. Et la perspective d'un rachat par un groupe angolais fait grincer quelques dents.
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Portugal : la privatisation de la télévision publique fait débat
Le siège de la RTP, radio télévision publique portugaise.
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Privatisera ou pas ? Partiellement ou totalement ? Depuis août 2012 et l’intention affichée du gouvernement de vendre RTP, la télévision publique, le Portugal a les nerfs en pelote. Véritable « telenovela » portugaise, la série des rebondissements en tout genre concernant l’épineux dossier semble ne pas avoir de fin. La dernière avanie en date ? Le désaccord désormais avéré entre les deux partis de la coalition au pouvoir.  Le CDS-PP, le petit parti des Démocrates Chrétiens, pourfendeur de ce qui pourrait mettre en cause la souveraineté nationale vient d’affirmer clairement  qu’il s’opposera à la privatisation si les conditions ne sont pas réunies. Du Côté du grand parti au pouvoir, le PSD (social démocrate) du Premier Ministre Pedro Passos Coelho, on veut encore y croire. La bataille est de toute façon politique et idéologique, depuis que le chef du gouvernement a déclaré sur une chaine privée en 2010 « qu’il ne voyait pas l’intérêt pour un pays de posséder une télévision publique ou autre media ». Confirmée en aout 2012, la « vente » de RTP est depuis en sursis.
Un service public, pour quoi faire ?
Ignorance ou aveuglement, les observateurs de tous bords s’interrogent. Comme le faisait remarquer le chroniqueur J.M. Nobre Correia « Pedro Passos Coelho  ne jure que par le modèle libéral Anglo-saxon ou Allemand, et prend, sans le savoir, pour exemple des pays où le service public de l’audiovisuel est le plus solide. Le Portugal en privatisant son service public de télévision deviendrait un cas à part dans l’Europe des 15 ». L’idée de la privatisation pure et simple d’au moins une des deux chaines généralistes du groupe a provoqué une volée de bois vert. « Il y a une incompréhension totale de ce que veut faire le gouvernement. Nous sommes en faveur de la télévision du XXIe siècle et nous voulons que soit réalisé un travail de fond pour améliorer et développer le service public. Mais le gouvernement fonce tête baissée. De quoi s’interroger sur les enjeux véritables de la privatisation de RTP » s’indigne Camilo Azevedo, porte parole du Comité des Travailleurs de la TV publique, qui représente 2150 salariés.
Portugal : la privatisation de la télévision publique fait débat
La RTP est née en 1955
Le modèle de la concession
Le gouvernement conscient des oppositions a fait marche arrière, en apparence du moins, et à lancer l’idée d’une concession pour une chaine généraliste. L’État conserverait ainsi la licence d’émission qu’il récupérerait au bout de 15 ans (ou plus). Une proposition qui aurait le mérite d’attirer les faveurs du Pari Socialiste dans l’opposition, mais qui ne résoudrait en rien le problème du « coût » de la TV publique. La redevance payée par les Portugais ira dans l’escarcelle du concessionnaire, au lieu de revenir à l’État. La justification économique, celle qui consiste à réduire les dépenses publiques dans le cadre du programme d’austérité imposé par les bailleurs de fonds internationaux  au chevet du Portugal en crise, ne tient pas. « Je vois mal par ailleurs comment continuer à alimenter à coût réduit la chaîne RTP Internationale- à destination de la diaspora portugaise- alimentée par une sorte de « play-list » puisée dans les deux chaines généralistes, RTP1 et RTP2. La chaîne internationale n’a ni studio, ni moyens propres de diffusion : comment fera l’État sans mette la main à la bourse? » s’interroge Camilo Azevedo.
Les Angolais de Newshold
Comme si la complexité du dossier, et sa force symbolique, ne suffisaient pas, la RTP ne s’est trouvé qu’un repreneur potentiel. Il s’agit de Newshold, dont les capitaux sont majoritairement Angolais. Passée la stupeur initiale, et les critiques acerbes de quelques « souverainistes » isolés, ou les réactions incrédules de l’opinion publique face à une éventuelle reprise du service public par l’ancienne colonie portugaise, les zones d’ombre demeurent. « Il y a un véritable intérêt des Angolais à posséder une chaine Européenne, qui leur donnerait une dimension supplémentaire dans la perspective d’une domination régionale en Afrique, et pour laquelle ce pays est bien placé. A cela s’ajoute  l’intérêt que représente RTP Africa, qui à elle seule fait 5 à 6 fois plus d’audience que RTP1, la première généraliste (on évalue à 5 ou 6 millions le nombre de téléspectateurs de RTPA, NDLR)» explique Camilo Azevedo. Le groupe Portugais se révèle donc plus attractif qu’il n’y parait à première vue. Et en premier chef pour le Ministre de tutelle, Miguel Relvas, soupçonné d’avoir des intérêts particuliers à préserver, et notamment en Angola. L’opacité qui entoure le dossier, les effets d’annonce, les scandales a répétition et les atermoiements du gouvernement font du dossier « RTP » une « patate chaude » selon l’expression portugaise, qu’il conviendrait de poser pour la laisser refroidir. En attendant une décision ou un énième report, les opposants à la cession de RTP ont inscrit « au fronton » de leur site les deux articles de la constitution qui font de l’État le garant du service public de télévision. Une constitution qui date de 1976, née au lendemain de la révolution démocratique du 25 avril 1974.

La RTP, par Wikipedia

La RTP, par Wikipedia