"Churry" Sept minutes de «terreur». C’est, à l’été 2012, ce qu’avaient dû attendre les ingénieurs de la NASA pour savoir si
leur robot Curiosity s’était posé sans encombre sur Mars. Ce 12 novembre, ce sont sept heures durant lesquelles leurs homologues de l’
Agence spatiale européenne (ESA) devront croiser les doigts pour savoir si l’une des plus fantastiques missions d’exploration spatiale, imaginée il y a plus de deux décennies déjà, est un succès: larguer un petit laboratoire, nommé Philae, à partir d’une sonde
appelée Rosetta, et l’installer sur le noyau d’une comète située à 510 millions de km de la Terre afin d’étudier cette dernière in situ et de percer les mystères de la formation du Système solaire, voire de l’apparition de la vie sur Terre! «C’est sûr, on a besoin de chance», admet
Andrea Accomazzo, responsable de la trajectoire de vol de Rosetta. Mais tous les scientifiques s’accordent à dire que si Philae touche son but – et y reste – ils bénéficieront des meilleures chances jamais permises d’«ouvrir» ces «capsules temporelles» que sont les comètes.
Milliards de comètes Celles-ci sont des milliards à arpenter le ciel. Ces boules de neige et de glace sale sont issues de deux «réservoirs»: le «nuage d’Oort», localisé 100000 fois plus loin du Soleil que ne l’est la Terre, ou la «ceinture de Kuiper», située derrière l’orbite de Neptune. Surtout, les comètes sont les grumeaux de la «soupe céleste originelle» dans laquelle se sont formées les planètes et le Soleil, il y a 4,6 milliards d’années; elles en contiennent les mêmes ingrédients de base. Dont des molécules organiques, tels les acides aminés (constitutifs des protéines), qui forment les briques de la vie telle qu’on la connaît. «Nombre d’entre nous sont convaincus que la vie sur Terre n’a été possible que parce que des comètes y ont apporté de l’eau et des éléments organiques», dit
Jean-Pierre Bibring, professeur d’astrophysique à l’Université Paris-Sud et responsable scientifique de Philae. Un bombardement de ces corps célestes qui aurait eu lieu il y a plus de 4 milliards d’années. Pour étayer cette hypothèse, plusieurs missions ont déjà été envoyées vers diverses comètes (lire ci-contre). Pour la sienne, l’ESA a choisi cette fois
67P/Churyumov-Gerasimenko, ou «Chury». Cette comète de 4 km de diamètre pèse 10 milliards de tonnes, et avait en août une «coma» (ou queue) de 19000 km déjà; elle vogue à une vitesse de 135000 km/h sur son orbite elliptique autour du Soleil, dont elle fait le tour en 2350 jours. Et pour tenter de mieux la connaître, l’ESA s’est dit que la manière la plus «simple» était d’aller voir directement sur place.
Une cible et moult défis Lancée le 2 mars 2004, la sonde Rosetta s’est ainsi
mise en orbite autour de Chury le 6 août, après plus de 6,5 milliards de km d’un parcours sinueux à travers le Système solaire, effectué au gré des coups de «catapulte gravitationnelle» lorsqu’elle est passée à trois reprises aux abords de la Terre ou de Mars. Une étape qui a déjà constitué un immense succès en soi. Mais déposer sur l’astre chevelu
un laboratoire portable gros comme une machine à laver, lourd de 98 kg et bardé de dix instruments, est encore une autre affaire, pour plusieurs raisons. «La première, résume Andrea Accomazzo, est que la sonde doit pointer vers le bon endroit, au bon moment, avec la bonne vitesse, et la bonne altitude», après des passages sur des orbites complexes autour de Chury, tout ceci en tenant compte du fait que la comète, qui possède une forme de canard, tourne sur elle-même deux fois par jour. «On peut dire que Chury ne nous aide pas», confiait récemment
Francis Rocard, responsable de l’exploration du Système solaire au CNES, l’agence spatiale française. De plus, l’environnement proche de la comète est loin d’être similaire au vide intersidéral: chauffée en permanence par le Soleil, elle émet un flux de gaz et de particules qui, comme le vent dans les voiles, vient notamment buter contre les immenses panneaux solaires de la sonde (64 m2). «A moins qu’il y ait des geysers vraiment imprévus, ce dégazage est aujourd’hui stable et connu», rassure Jean-Pierre Bibring. Ecueil suivant dans la liste: la comète exerce une force de gravité minime (mille fois plus faible que celle de la Terre), si bien qu’il faudra deux harpons à Philae, ainsi que des vis sous ses trois pieds mécaniques, pour s’agripper à sa surface lors de son arrivée. «Nous en avons appris tellement sur ce point durant ces derniers temps que l’incertitude sur les effets possibles a beaucoup diminué», dit Andrea Accomazzo. Il n’en reste pas moins que le risque que Philae rebondisse sur sa cible et reparte vers l’espace infini n’est pas nul. Ceci d’autant que ladite surface ressemble à tout sauf à un plan lisse. «On a découvert cet été que la surface présente des trous, des falaises, des blocs», dit Francis Rocard. «Les relevés de températures semblent indiquer que le noyau a une surface poreuse, avec moins de glace et plus de poussière que prévu», ajoute
Fabrizio Capaccioni, responsable de Virtis, le spectromètre de cartographie embarqué sur Philae. Au final, la nature et le relief de l’endroit où devra se poser le robot conditionneront grandement la réussite de cette phase, et donc de la mission tout entière.