Pourquoi Facebook veut-il connaître les émotions de ses utilisateurs ?

Depuis le 24 février 2016, il est possible "d'exprimer cinq nouvelles émotions" sur les publications du réseau social Facebook, en plus du simple "J'aime" d'origine. Cette sympathique innovation intéresse-t-elle plus les 1,5 milliard d'utilisateurs ou bien les dirigeants de la plateforme web ?
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Facebook veut vos sentiments
Il est possible depuis le 24 février de donner son sentiment sur chaque publication Facebook : à qui profite cette information ?
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Le réseau social Facebook est gratuit pour ses utilisateurs, et pourtant, l'entreprise éponyme qui le gère, est l'une des plus fortunées de la planète. La raison de cette contradiction apparente (gratuité du service et performance économique) a été résumée anonymement sur Internet en une phrase : "Si c'est gratuit, c'est que vous êtes le produit". De façon plus détaillée : Facebook accumule des bénéfices colossaux chaque année en vendant les données personnelles de ses utilisateurs à des régies publicitaires qui ciblent et influencent les internautes dans leurs achats via… tous les moyens numériques à leur disposition.

Ces résultats indiquent que les émotions exprimées par d’autres sur Facebook influencent nos propres émotions.

Extrait de l'étude effectuée à l'insu de 700 000 utilisateurs de Facebook, en 2012

Le concept peut sembler proche de celui de la "réclame télévisuelle", relativement inoffensive. Il n'en est rien, puisqu'avec la puissance des outils informatiques actuels, le ciblage que Facebook pratique et vend à ses partenaires est très éloigné de la publicité classique diffusée par une chaîne de télévision. Facebook veut "tout connaître de vous", jusqu'au moindre détail, et la nouvelle fonction d'icônes émotionnelles (émoticônes) ne peut qu'améliorer ce "profilage" utilisateur. Désormais l'utilisateur du réseau social peut : aimer (le J'aime d'origine), adorer (love), faire "Wah", trouver amusant (Haha), être triste, ou être en colère. Ces six émotions permettent donc désormais de "noter" grâce à un sentiment, n'importe quelle publication Facebook.

Facebook : vendre et influencer… jusqu'aux émotions

L'entreprise californienne a été sommée de s'expliquer, en juin 2014, lorsqu'un rapport d'étude a été publié, basé sur une "expérience" auprès de 680 000 de ses utilisateurs anglophones. Cette étude démontrait des possibilités d'influence sur les utilisateurs du réseau social, grâce à la "contagion émotionnelle de masse". Le Wall Street journal s'en est fait l'écho, et Facebook s'est finalement excusé publiquement.

Les conclusions de l'étude sont pourtant inquiétantes, puisque les expérimentateurs indiquent qu'ils ont trouvé des moyens d'influencer les utilisateurs du réseau social par des biais précis, en modifiant par exemple  le "flux de news"  : "Lorsque des expressions positives ont été réduites, les gens produisent moins de messages positifs et plus de messages négatifs; lorsque les expressions négatives ont été réduites, c’est le modèle inverse qui s’opère."

Les expérimentateurs se réjouissent de leur capacité à pouvoir effectuer une "contagion à échelle massive via des réseaux sociaux" :

"Ces résultats indiquent que les émotions exprimées par d’autres sur Facebook influencent nos propres émotions, constituant la preuve expérimentale d’une contagion à échelle massive via les réseaux sociaux. Ce travail suggère également que, contrairement aux hypothèses actuelles, les interactions en personne ou des indices non-verbaux ne sont pas strictement nécessaires à la contagion émotionnelle, et que l’observation des expériences positives des autres constitue une expérience positive pour les gens."

Ces méthodes d'influence et de persuasion via les technologies numériques sont étudiées scientifiquement au sein d'un département de l'université de Stanford et ont un nom : la captologie. Sur le site de l'université de Stanford, une section d'étude est entièrement consacrée à la captologie via Facebook.

La vie privée et Facebook : un problème récurrent

L'arrivée des icônes émotionnelles sur Facebook, n'a rien d'extraordinaire en soi, si l'on se contente de l'envisager au premier degré, du côté utilisateur : une simple amélioration pour noter une publication. Du côté de l'entreprise, par contre, ces nouvelles informations des "sentiments" des utilisateurs sont très intéressantes.

Les différentes affaires juridiques de violation de la vie privée qui jonchent le parcours de Facebook démontrent que toutes les informations que l'entreprise peut acquérir sont triées, analysées, stockées et mènent à un traitement intensif de données à des fins commerciales. L'accès aux données de Facebook par des organismes gouvernementaux tels la CIA, la NSA ou le FBI, révélé par Edward Snowden, souligne puis lors la problématique de la vie privée : le réseau social est un gigantesque terrain de renseignement qu'aucune option de confidentialité n'est en mesure de protéger.
 

Zuckerberg : marché virtuel
Conférence de Mark Zuckerberg sur la réalité virtuelle, le nouveau marché que le PDG de Facebook veut conquérir, le 25 mars 2015 à San Francisco. (AP Photo/Eric Risberg)



Des algorithmes permettant de connaître les préférences sexuelles, la confession religieuse, les orientations politiques des utilisateurs existent et sont très certainement utilisés par l'entreprise de Mark Zuckerberg : tout ce qui permet de connaître le plus intimement une personne sur Facebook, est précieux, puisqu'il est ensuite possible pour l'entreprise de vendre des espaces publicitaires entièrement personnalisés, qui correspondent le plus précisément aux goûts des abonnés.

Grâce aux seuls "J'aime" Facebook, des chercheurs de l'université de Cambridge sont parvenus à déterminer avec une assez grande précision, l'âge, le genre, les traits de personnalité dominants, le niveau d’intelligence, le taux de satisfaction, les préférences sexuelles,  les opinions politiques, la religion, les centres d’intérêts professionnels ou personnels et le statut amoureux d'un panel de 86 000 utilisateurs Facebook, volontaire cette fois-ci.

Donner nos "préférences", nos "sentiments" a une entreprise privée qui cherche ensuite à optimiser la connaissance approfondie de chacun pour en faire des cibles commerciales n'est pas sans danger. En Allemagne, en 2011, le land Schleswig-Holstein a ordonné que tous les sites hébergés dans cette région retirent le bouton "J'aime" (relié à Facebook) de leur site : le commissaire à la protection des données privées du land qui a mis en place cette réglementation, s'est justifié par le fait que "ce bouton enfreint les lois allemandes et européennes en matière de protection des données privées car il permet à Facebook de récupérer des données y compris d'utilisateurs non membres du réseau social".

Facebook est en capacité — selon l'étude de 2014 — d'influencer massivement les émotions de ses utilisateurs, et leur offre désormais la possibilité de "donner" leurs sentiments. Les algorithmes secrets du réseau social fabriquent des profils commerciaux et les vendent au plus offrant. La question du libre arbitre des utilisateurs de la plateforme de Mark Zuckerberg devrait donc commencer à se poser : jusqu'à quel point les choix et les décisions des utilisateurs de Facebook leur appartiennent, quand des logiciels ultra-performants les ciblent en permanence pour les influencer dans leurs achats et leurs choix quotidiens sur Internet ?


La CNIL a mis en demeure Facebook le 8 février dernier de se conformer au droit national sur la protection des données personnelles dans les 3 mois, sous peine de se voir infliger une amende de 150 000 euros. Il est reproché à l'entreprise par la présidente de la CNIL  de "ne pas demander le consentement des personnes pour la mutualisation tous azimuts des données (…) Facebook constitue une base de données absolument gigantesque qui se nourrit en permanence et pas toujours avec le consentement des personnes". Des données qui peuvent aussi bien être relatives aux loisirs des internautes qu'à « leurs opinions politiques ou religieuses et à leur orientation sexuelle », précise le rapport de la CNIL. Pour les publicités ciblées, elle sont effectuées sans avoir « recueilli le consentement » des internautes au préalable, ni de leur avoir proposé un « mécanisme leur permettant de s’opposer à la combinaison de l’ensemble de ces données à des fins publicitaires ». Un manquement qui « méconnaît leurs droits et intérêts fondamentaux et porte atteinte au respect de leur vie privée », dénonce la CNIL.

Article complet sur rfi.fr - Collecte des données sur Internet : Facebook épinglé par la CNIL