Fil d'Ariane
La branche afghane de l’État islamique a revendiqué l’attaque terroriste près de Moscou survenue vendredi 22 mars. Bien que ce ne soit pas la première fois que l'organisation prend pour cible la Russie, celle-ci devient un ennemi de choix. Focus.
Des policiers montent la garde dans le district de Basmanny. (Alexander Zemlianichenko/AP)
La Russie continue de compter ses morts après l’attentat meurtrier dans l'attentat du 22 mars contre la salle de concert Corcus City Hall, au nord-ouest de Moscou. Deux jours après, le bilan s'est alourdi de 4 morts supplémentaires, pour un total de 137 tués. Pour l’heure, seules 63 personnes ont été identifiées alors que les sauveteurs continuent de déblayer les débris de la salle détruite par un incendie provoqué par les assaillants.
C’est l’État islamique (EI) Khorasan, branche afghane de l'EI, qui a revendiqué la responsabilité de l’attaque dans un communiqué publié sur Telegram. Malgré cette revendication explicite, ni le président russe, Vladimir Poutine, ni les services de sécurité russes (FSB) n’ont accusé le groupe djihadiste. En revanche, le Kremlin a déclaré qu’une enquête pour “terrorisme” avait été ouverte. Les services de sécurité russes ont affirmé au lendemain de l’attentat que les suspects, onze personnes dont quatre assaillants présumés, ont été arrêtés.
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Selon le groupe SITE, spécialisé dans la recherche antiterroriste, une vidéo supposément tournée par les assaillants a été diffusée sur des canaux habituellement utilisés par les membres de l'État islamique. La vidéo dure une minute et trente-et-une secondes montrant des individus aux visages floutés et armés de fusils d’assaut. Les images montrent les combattants terroristes tirer plusieurs rafales et de nombreux corps inertes jonchent le sol et on aperçoit un début d’incendie en arrière-plan.
L’État islamique du Khorasan, connu sous le terme « EI-K », a été fondé en 2015 par d’ex-talibans pakistanais. Le Khorasan, qui signifie en persan « Là d’où vient le soleil », est le nom médiéval de l’Afghanistan qui englobait alors une partie du Turkménistan, de l’Ouzbékistan et du Tadjikistan.
C’est une branche active principalement en Asie centrale. Le groupe est considéré comme le « plus sanguinaire d’Afghanistan », selon une note publié en 2021 par l’Institut français des relations internationales (IFRI). Il « a connu un second souffle spectaculaire après le renversement du gouvernement afghan par les talibans en 2021 », a rapporté le journal américain The New York Times.
Selon un rapport du comité des sanctions auprès du Conseil de sécurité de l’ONU de juin 2023, les Nations unies estiment ses effectifs de à 4 000 à 6 000 personnes, en comptant les familles, originaires notamment d’Afghanistan, d’Azerbaïdjan, de Russie, du Pakistan, d’Iran, de Turquie et d’Asie centrale.
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Cette branche, qui a vu le jour dans l’est de l’Afghanistan, a derrière elle un historique important d’attaques dans différents coins du monde. Même si la plupart de ses projets terroristes en Europe ont été déjoués, comme l'a rappelé le New York Times. « EI-K » est connue pour être à l’origine de l’attentat de l’aéroport de Kaboul en 2021. En septembre 2022, le groupe terroriste avait revendiqué l’attentat suicide contre l’ambassade de Russie à Kaboul. Ils sont aussi à l’origine d’une explosion qui a fait 84 morts en Iran en janvier 2024.
« L’EI-K s’est imposé comme la branche de l’EI la plus tournée vers l’international. Il a produit de la propagande dans plus de langues que n’importe quelle autre filiale depuis l’apogée du califat (autoproclamé) en Irak en Syrie », a expliqué Lucas Webber, cofondateur du site spécialisé Militant Wire, auprès de l’AFP.
L’État islamique a été impliqué dans certaines des plus grandes attaques terroristes récentes en Russie, notamment l’attentat à la bombe du 3 avril 2017 dans le métro de Saint-Pétersbourg. Plus récemment, le 7 mars 2024, les services des renseignement russes avaient indiqué avoir déjoué une attaque de EI-K contre une synagogue dans la région de Kalouga, au sud-ouest de Moscou, et avaient tué des membres présumés de l’EI-K. Le Kazakhstan a confirmé la mort de deux de ses citoyens dans l’opération.
Selon le quotidien britannique The Guardian, le groupe terroriste tourne résolument son regard vers la Russie. Il fait d’elle un nouvel ennemi depuis que les troupes américaines se sont retirées de l’Afghanistan en 2021, après vingt ans de présence militaire.
L’EI-K fait une fixation sur la Russie depuis deux ans, critiquant fréquemment le président Vladimir Poutine dans sa propagande.
P. Clarke, un analyste antiterroriste au Soufan Group
Or, la Russie a connu plusieurs attentats terroristes par le passé. Plusieurs villes russes ont déjà été endeuillées depuis 25 ans. Le 13 septembre 1999, une charge de 300 kg de TNT a soufflé un immeuble de huit étages dans le sud de Moscou, assassinant, dans leur sommeil, près de 120 habitants. Quelques jours auparavant, plus de 90 personnes avaient également trouvé la mort dans la capitale lors d’une explosion d’un autre immeuble. Les deux attaques furent attribuées aux “terroristes tchétchènes”. D'autres thèses soupçonnent les services secrets russes d'être derrière ces attentats. À la suite de quoi, la deuxième guerre de Tchétchénie a éclaté en octobre 1999. Une période durant laquelle les rebelles séparatistes tchétchènes se sont radicalisés, jusqu'à l'allégeance à l'EI de la rébellion armée islamiste dans le Caucase russe, en juin 2015.
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Le contexte de la guerre russe en Ukraine semble devenir un terreau fertile pour l’État islamique. « L’EI-K fait une fixation sur la Russie depuis deux ans, critiquant fréquemment le président Vladimir Poutine dans sa propagande », a déclaré au New York Times Colin P. Clarke, un analyste antiterroriste au Soufan Group, société de conseil en sécurité basée à New York.
Selon la revue américaine Foreign Policy, peu de temps après le début de l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, l’appareil central de propagande de l’État islamique a lancé une campagne médiatique axée sur l’Ukraine. Son objectif ultime : attirer de nouveaux potentiels sympathisants.
L'organisation terroriste considère que « le Kremlin a du sang musulman sur les mains » depuis les interventions militaires russes en Afghanistan, en Tchétchénie ou encore en Syrie.
En 2015, Vladimir Poutine a ouvert un nouveau front à l'étranger contre le groupe djihadiste en Syrie. La Russie est intervenue militairement pour soutenir le régime de Bachar al-Assad. Dans le même contexte, l'armée russe a notamment effectué des bombardements visant les positions de l'EI.
L'EI travaille depuis 2019 pour rétablir une unité institutionnelle en charge des opérations extérieures. D’abord en Turquie puis en Afghanistan avec des acteurs venus d’Asie centrale [...] Il semble qu’ils y parviennent. Avec l’Afghanistan et l’Asie centrale comme plateforme pour frapper la Russie et l’Asie et la Turquie comme portail vers l’Europe
Tor Hamming, chercheur membre du Centre international pour l'étude de la radicalisation, sur X
Les récits narratifs de l’EI-K reprochent par ailleurs au Kremlin de cultiver des contacts privilégiés avec les talibans qui ont pris le pouvoir en 2021. Depuis cette année, les talibans se retrouvent confrontés, seuls, sans paravent, à la délicate question sécuritaire face à l'EI.
Dans un post sur X Tor Hamming, chercheur membre du Centre international pour l'étude de la radicalisation, a précisé que l'EI « travaille depuis 2019 pour rétablir une unité institutionnelle en charge des opérations extérieures. D’abord en Turquie puis en Afghanistan avec des acteurs venus d’Asie centrale ». Pour ajouter « Il semble qu’ils y parviennent. Avec l’Afghanistan et l’Asie centrale comme plateforme pour frapper la Russie et l’Asie et la Turquie comme portail vers l’Europe ».