Pourquoi la Suisse reprend le chemin des négociations avec l'Union européenne

Deux ans après avoir choqué Bruxelles en décidant brutalement de mettre fin à de longues années de négociations, le Conseil fédéral, le gouvernement suisse, a annoncé qu'un mandat de négociation avec l'UE serait prêt « avant la fin de l'année ». Comment expliquer cette volonté de Berne de vouloir renouer les liens avec l'Union européenne ? Ce rapprochement intervient au moment où le président français Emmanuel Macron doit se rendre en Suisse les 15 et 16 novembre prochain. Analyse.

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Alin Berset Union européenne

Images du président Alain Berset de la Confédération suisse le 19 octobre 2018 à Bruxelles.

AP Photo/Olivier Matthys
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Est-ce le début de la fin d'une longue crise entre l'Union européenne et la Suisse ? En 2021, la Suisse avait mis fin aux négociations de l'accord-cadre avec Bruxelles. Cet accord devait régir les relations entre la Confédération et l'Union sur des dommaines aussi larges que la recherche scientifique, la question des travailleurs détachés ou la réglementation financière ou la question plus sensible de la libre circulation des personnes.

L'économie suisse est très intégrée au marché unique. Il faut reprendre le chemin de la négociation.

René Schwok, professeur à l'Université de Genève.

Faute d'accord entre les différentes formations politiques en Suisse même, Berne avait quitté la table des négociations. Deux ans plus tard, l'heure est de nouveau au dialogue. Des négociations technique entre Berne et Bruxelles selon la RTS (Radio télévision suisse) ont repris au plus haut niveau dès avril 2022. Ces premières discussions portaient sur de nouveaux accords dans le domaine de l'électricité, de la réglementation financière ou du programme européen de recherche Horizon.

Echec des négociations en 2021

Selon René Schwok, professeur à l'Université de Genève et spécialiste des relations entre l'Union europénne et la Suisse, Berne n'avait pas le choix. "L'économie suisse est très intégrée au marché unique, bien plus d'autres pays qui ne sont pas dans l'Union européenne comme le Royaume-Uni. Il faut reprendre le chemin de la négociation", explique René Schwok. Plus de 69% des importations de la Suisse viennent des pays membres de l'Union européenne. Et 50% des exportations suisses sont à destination de l'Union européenne selon la Mission de la Suisse auprès de l'UE.

Lire : Suisse, un mandat de négociations avec l'UE prêt "avant la fin de l'année"

L'Union européenne en 2021 a pris des mesures contre la Suisse suite à l'échec des négociations sur l'accord- cadre.

"Deux d'entres elles ont un impact sur l'économie suisse. Le projet Horizon est un programme de développement de la recherche universitaire et scientifique en Europe. Les universités suisses et les centres de recherche suisses sont exclus de ce programme. Ce n'est pas le cas de pays comme l'Albanie ou le Royaume-Uni qui ne font pas partie de l'Union européenne. C'est un vrai problème car cela peut entrainer une fuite des cerveaux du pays. Et une perte de compétitivité pour le pays", explique René Schwok.

L'Union européenne a mis en place une autre mesure en réponse à la fin des négociations de 2021.  Elle concerne les "obstacles techniques au commerce".

Ce sont des normes qui régissent l’exportation ou l'importation de produits. La Suisse avait mis en place des accords pour éviter ces obstacles techniques au commerce. En clair, il s'agissait de permettre aux produits suisses d'être exportés facilement sans faire face à des problèmes de normes propres au marché européen. L'Union européenne remet aujourd'hui en cause cette facilité.

"Les contrôles techniques sur les produits suisses ont été rétablis. La Suisse exporte beaucoup de machine-outil et, de médicaments via son industrie pharmaceutique. Le secteur suisse du matériel médical dépend également du marché européen. Cette mesure pénalise l'économie suisse et ses exporattions vers le marché unique", décrit  René Schwok, spécialiste des relations entre la Suisse et l'Union européenne.

Recherche du consensus

Le Conseil fédéral, le gouvernement suisse, est favorable à une reprise des négociations avec l'Union européenne. Mais trouvera-t-il un consensus politique dans ce sens ?

En 2021, Berne avait décidé de mettre fin au projet d'accord cadre à cause des dissension internes en Suisse. "Les négociations buttent souvent sur des questions internes. Lorsque le gouvernement est confronté à une trop forte opposition il abandonne le projet. Il y a en Suisse une culture du consensus politique", explique René Schwok, professeur à l'Université de Genève.

Les relations entre la France et la Suisse se sont fortement refroidies lorsque la Confédération, au mépris de toute considération stratégique, a décidé d'acheter des avions de combat américain, les F35, au détriment d'un avion européen, le Rafale français.

Pascal Sciarini , professeur de Sciences politques à l'Université de Geneve.

 

"Les négociations se jouent donc à deux niveaux. D'abord avec l'Union européenne, et ensuite il faut négocier à l’intérieur du pays avec les formations politiques ou avec les syndicats. La gauche essaie de machander son soutien. Les syndicats également. L'UDC (droite conservatrice hostile à l'Union européenne) dit non par principe. Le Conseil fédéral n'a pas la même marge de manœuvre que le président français", décrit René Schwok.

Pascal Sciarini, professeur de Sciences politiques à l’Université de Genève abonde dans le même sens. "En Suisse on cherche à construire des coalitions larges. On ne raisonne pas en terme de camp politique contre un autre. Les négociations pourraient reprendre parce qu'une coalition a pu se construire et a pu isoler l'UDC sur cette question européenne", confirme le professeur en Sciences politiques.

Le président Emmanuel Macron doit se rendre ce 15 novembre en Suisse et rencontrer Alain Berset, le Président de la Confédération suisse. Selon Marc Ferraci député de la majorité présidentielle et proche d'Emmanuel Macron, dans un entretien donné à la Tribune de Genève le 6 novembre dernier cette visite doit servir à "réaffirmer la profondeur des liens" entre la Suisse et la France.

Une économie intégrée à l'Union européenne

"Les relations entre la France et la Suisse se sont fortement refroidies lorsque la Confédération au mépris de toute considération stratégique a décidé d'acheter des avions de combat américains, les F35, au détriment d'un avion européen, le Rafale français. Cet épisode a fortement irrité les Français", explique Pascal Sciarini , professeur de Sciences politques à l'Université de Genève.

"Le Conseil fédéral aujourd’hui veut renouer les liens avec l'Union européenne et dans ce cadre-là le gouvernement suisse veut avoir de bonnes relations inter-étatiques avec des pays membres de l'Union européenne. La France est un pays membre de l'Union européenne. Meme si de fait c'est la Commission qui décidera de l’issue des négociations, on cherche avoir un canal de négociations inter étatiques", ajoute Pascal Sciarini, professeur de sciences politiques à l'Université de Genève.

Le processus de négociation ne fait que commencer. En marge de ses dicussions avec l'Union européenne, le Conseil fédéral, le gouvernement suisse, a entamé des discussions avec les syndicats. Ces derniers dénoncent une libéralisation du modèle suisse sur la protection des salaires.