Pourquoi la Syrie est si importante pour la stratégie de la Russie en Afrique

La fin du régime de Bachar al-Assad pose la question de l'avenir de la présence russe en Syrie et notamment de ses bases militaires dans ce pays. Moscou négocie avec les nouvelles autorités syriennes le maintien de ces infrastructures aérienne et navale qui jouent un rôle central dans la projection russe en Afrique. L'enjeu est crucial pour appuyer les intérêts et les ambitions du Kremlin sur le continent africain. 

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Photo d'archive. Les présidents russe Vladimir Poutine et syrien Bachar al-Assad sur la base aérienne de Hmeimim en Syrie, 11 décembre 2017.

Mikhail Klimentyev, Sputnik, Kremlin Pool Photo via AP, File
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Moscou a établi des contacts "directs" et "constructifs" avec les autorités politiques de transition en Syrie, à savoir le comité des affaires politiques des islamistes radicaux de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), rapporte l'agence russe Interfax le 12 décembre 2024. Selon le vice-ministre russe des Affaires étrangères Mikhaïl Bogdanov, la représentation diplomatique russe en Syrie les ont rencontrés dans un hôtel de Damas pour discuter en priorité de la sécurité de la mission diplomatique et des citoyens russes en Syrie.

Mais la Russie a bien plus à protéger. Moscou dispose de deux bases militaires aérienne et navale en Syrie. Le numéro 2 de la diplomatie russe a déclaré : "Les bases vont rester sur le sol syrien, à l'endroit où elles se trouvaient. Aucune autre décision n'a été prise. Les bases sont présentes à la demande des autorités syriennes, avec pour objectif de lutter contre les terroristes, contre l'EI. Je présume que tout le monde est d'accord sur le fait que la lutte contre le terrorisme et les restes de l'EI n'est pas terminée. Cela demande des efforts collectifs, et en ce sens notre présence notamment la base de Hmeimim joue un rôle important dans le cadre de la lutte commune contre le terrorisme", rapporte l'agence russe Interfax.

A l'instar de plusieurs pays occidentaux, HTS est une organisation jusqu'à présent interdite en Russie, souligne Interfax. Cette ancienne branche syrienne d'Al-Qaida affirme avoir rompu avec le djihadisme. Moscou se garde bien de qualifier de terroristes les nouvelles autorités syriennes qui instaurent une transition de trois mois.

(Re)lire Syrie : que vont devenir les bases militaires russes ?

La Russie, protectrice de Bachar al-Assad

Dès l'aboutissement de l'offensive éclair dirigée par les rebelles islamistes radicaux, s'est posée la question du sort des bases militaires russes, placées "en état d'alerte" mais "sans menace sérieuse de leur sécurité". Le jour de leur entrée dans Damas, le 8 décembre, Moscou avait obtenu des garanties sur ses bases militaires et les institutions diplomatiques russes en Syrie, selon une source au Kremlin citée par les agences russes. Avec l'Iran, la Russie était le principal soutien du régime du président Bachar al-Assad. Ce dernier s'est réfugié avec sa famille à Moscou, officiellement pour des raisons humanitaires.

7000 hommes de Moscou en Syrie

La Russie est intervenue directement en Syrie en 2015, alors que le régime avait perdu une grande partie du territoire. La Russie a mené des frappes aériennes massives mais aussi appuyé l'armée syrienne au sol. Outre l'armée russe, des forces du groupe Wagner ont servi en Syrie. 

Au total, les éléments russes s'élevaient à plusieurs milliers, plus de 7000 hommes selon le service russe de la BBC. Les deux bases aérienne et navale de Hmeimim et Tartous sont toutes les deux situées dans la province de Lattaquié, fief de la minorité alaouite dont est issue le clan des Assad.

La base aérienne de Hmeimim, un pont vers l'Afrique

Située dans la ville de Jabla, près du port de Lattaquié, la base de Hmeimim est un maillon central et sans équivalent du dispositif militaire russe en Syrie. Cette région n'est pas encore contrôlée par les hommes de HTS.

Elle abrite d'importantes infrastructures, pouvant accueillir différents types d'appareils allant des hélicoptères, des chasseurs, jusqu'à des bombardiers stratégiques.

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Photo d'archive. Le président russe fait un discours sur la base aérienne de Hmeimim en Syrie, 12 décembre 2017.

Mikhail Klimentyev, Sputnik, Kremlin Pool Photo via AP, File

Mais l'importance de cette base aérienne va bien au-delà du théâtre syrien. Hmeimim a servi à la Russie de hub logistique vers l'Afrique. Les troupes de Wagner ont pu y transiter pour se rendre au Soudan, en Libye, au Mali et en République centrafricaine où le Groupe Wagner est engagé. Après la mort du fondateur de Wagner Evgueni Prigojine et la reprise en main du groupe, la base de Hmeimim garde toute son importance logistique pour l'Africa Corps, force paramilitaire russe créée sous la tutelle du ministère russe de la Défense.

Hors de la Syrie, la Libye est un pays africain où la Russie dispose d'un allié en la personne du maréchal Haftar lui permettant de développer des infrastructures en échange d'un soutien militaire de Wagner puis de l'Africa Corps. Si des appareils russes peuvent y atterrir et transiter vers d'autres pays africains, il n'y a pas d'accord formel d'installation d'une base aérienne militaire comme en Syrie avec Hmeimim. 

La base navale de Tartous en Méditerranée

La base navale de Tartous est la seule base russe à l'étranger, sans compter celle de la flotte russe à Sébastopol en Crimée. Elle a joué un rôle clé dans le soutien du régime syrien à travers ce que l'on a appelé "L'Express syrien", voie maritime permettant d'acheminer des ressources logistiques. Sauf qu'avec la guerre en Ukraine depuis février 2022, la circulation de navires par la mer Noire et les détroits est désormais compromise, ce qui implique un immense détour par la mer du Nord.

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Le navire lance-missiles russe Veliki Oustioug amarré au port de Tartous en Syrie, 26 septembre 2019. 

AP Photo/Alexander Zemlianichenko

Selon un analyste expert des forces navales russes, la Russie peut envisager des options de remplacement à la base navale de Tartous, en Egypte, en Algérie, au Soudan et en Libye, mais aucune de ses options n'offre les mêmes avantages. "La moins mauvaise" serait Tobrouk en Libye, dont les installations portuaires pourraient accueillir une force navale, certes moins importante qu'à Tartous, recentrée en mer Méditerranée, plus proche de l'Europe et à proximité du canal de Suez. 

Le principal avantage de Tobrouk est qu'il est situé en Libye orientale, sous le contrôle du régime du maréchal Haftar soutenu par les forces russes. La Libye joue déjà un rôle majeur de point de transit pour les appareils décollant de ou à destination du continent africain. 

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Durant l'année 2024, la Russie a renforcé les capacités logistiques de ses installations en Libye au profit notamment de l'Africa Corps.

La Russie a également noué des relations avec le Soudan avec qui elle a négocié l'installation d'une base à Port-Soudan. Mais celle-ci ne peut accueillir pour le moment une force navale importante. Port-Soudan a aussi le désavantage de se trouver sur la mer Rouge et non en Méditerranée. Par ailleurs, comme en Libye, le Soudan est en guerre ce qui rend les alliances nouées par le Kremlin vulnérables aux rapports de force sur le terrain militaire.

En définitive, le cas de la Syrie a un autre impact non négligeable sur les intérêts et les ambitions russes en Afrique. 

La chute du régime d'Al-Assad démontre que son alliance avec la Russie ne lui a pas permis de survivre à la guerre et l'insurrection de rebelles et d'islamistes radicaux. Un échec qui peut changer la perception d'une Russie garante des régimes qui font appel à elle.