Fil d'Ariane
Le Parlement libanais se réunit ce 14 juin pour une session parlementaire consacrée à l’élection du président de la République. Cela fait plus de sept mois que ce poste est vacant. Comment expliquer ce blocage ? Est-il symptomatique de la crise politique et économique que traverse le pays ? Éléments de réponse.
Les députés libanais lors d'une session parlementaire le 18 avril 2023 à Beyrouth.
C’est la douzième fois en sept mois que les parlementaires libanais se réunissent pour élire le président de la République. Depuis la fin du mandat de Michel Aoun en octobre 2022, le Liban n’a plus de président. Deux candidats tentent de récolter une majorité de voix auprès des députés. D’un côté, il y a l’ancien ministre des Finances Jihad Azour et de l’autre, Sleiman Frangié, ancien ministre de l’Intérieur, tous deux chrétiens maronites. Le poste de président est traditionnellement réservé aux communautés chrétiennes du pays.
Aucun des deux candidats n’arrive à dégager une majorité.
Eberhard Kienle, directeur de recherche au CERI
Pourquoi aucun des deux hommes n’arrive à se démarquer ? “Tout simplement parce qu’aucun des deux candidats n’arrive à dégager une majorité”, explique Eberhard Kienle, directeur de recherche au CERI. Et également, si trop de députés sont absents de l’hémicycle, le quorum n’est pas atteint et le vote ne peut pas avoir lieu. “Et là, on passe de la question purement juridique à la question du boycottage”, poursuit le chercheur.
Le blocage s’explique donc par l’incapacité des acteurs locaux à se mettre d’accord sur une figure consensuelle par l’insistance du Hezbollah à soutenir Sleiman Frangié.
Karim Émile Bitar, chercheur associé à l’IRIS
Karim Émile Bitar, chercheur associé à l’IRIS ajoute que “le blocage s’explique donc par l’incapacité des acteurs locaux à se mettre d’accord sur une figure consensuelle par l’insistance du Hezbollah (NDLR : parti politique chiite libanais, proche du régime syrien) à soutenir Sleiman Frangié”. L’ancien ministre de l’Intérieur “est un de leurs alliés de longue date et un allié personnel de Bachar Al Assad”, ajoute-t-il, alors que “la plupart des autres partis, notamment les partis chrétiens, lui sont hostiles”. Face à lui, Jihad Azour “est plutôt le candidat d’un certain nombre de partis chrétiens”, analyse Eberhard Kienle.
Le Liban est acutellement divisé en deux camps politiques. Un pro-occident et un pro-Hezbollah. Le parti chiite possède sa force armée, ses institutions et est accusé par ses détracteurs d'être un État dans l'État.
“On est dans une situation très critique actuellement dans laquelle il serait très utile que l’assemblée élise un président”, continue Eberhard Kienle. Outre ce blocage politique, le Liban est empêtré dans une crise politique et économique majeure. Et “toute sortie de crise dépend quand même d’une assemblée qui fonctionne et d’un président qui est là et qui puisse promulguer des lois”, précise le chercheur. Donc, tant qu’un président n’est pas élu, aucune loi ne peut être promulguée et aucune sortie de crise ne peut être envisagée.
Existe-t-il une alternative ? “Cette loi ne pourrait même pas être votée, parce que depuis la fin du mandat du président précédent, l’assemblée n’a qu’une seule fonction : celle d’élire un nouveau président”, poursuit Eberhard Kienle. Et hormis le président, une seule personne est en mesure de signer des décrets, le Premier ministre. Sauf que “le gouvernement est démissionnaire et uniquement chargé de la gestion des affaires courantes”, analyse Karim Émile Bitar.
Cette sortie de crise ne peut venir que de ce modus vivendi entre les acteurs locaux et très probablement sous pression internationale.
Karim Émile Bitar, chercheur associé à l’IRIS
“Cette sortie de crise ne peut venir que de ce modus vivendi entre les acteurs locaux et très probablement sous pression internationale”, poursuit le chercheur à l’IRIS. Si les pressions internationales sont déjà nombreuses, “ les acteurs locaux semblent encore résister et ne sont pas forcément alignés sur leurs parrains régionaux.” “Au Liban, il y a toujours la projection de conflits externes sur une situation interne qui est naturellement conflictuelle, analyse Karim Émile Bitar. Ce n’est que lorsque ces deux échelons sont simultanément résolus que l’on peut aller vers l’élection d’un président de la République.”
Par ailleurs, si le Hezbollah empêche un président d’être élu en jouant sur la règle du quorum, c’est car il souhaite voir Frangié élu pour protéger ses intérêts. Il faut savoir qu’au Liban, les grandes compétences institutionnelles et les hauts postes de la fonction publique sont distribués en fonction des confessions religieuses. Ainsi, le président libanais est un chrétien maronite, le président de la Chambre des députés, Nabih Berri, un musulman chiite et le Premier ministre Najib Mikati, un musulman sunnite.
Ce fonctionnement vient du pacte national de 1943. Il s’agit d’un accord non-écrit qui établit les fondements politiques du Liban moderne. De ce fait, ce blocage est l’incarnation du “jeu des communautés”, selon l’ancien ministre des Finances George Corm. Selon lui, ce mode de fonctionnement “donne constamment des crises politiques.”
Selon Eberhard Kienle, il s’agit avant tout d’un “système basé sur un équilibre entre des familles politiques, des leaders politiques qui ont réussi à s’imposer et qui s’autoproclament comme les leaders de ces communautés”. “Ceux qui pèsent, ce sont des entrepreneurs politiques qui essayent de mobiliser l’électorat par des arguments de répartition d’accès aux ressources qui sont basées sur l’identité des confessions, poursuit-il. Ce n’est pas la communauté elle-même qui est à l’œuvre.” Il note aussi que si le Hezbollah est “l’acteur domestique libanais principal de la communauté chiite”, “il faut bien garder se penser qu’il représente tous les chiites.”
L’importance de la communauté maronite ne vient pas du fait que le président de la République doit être de la communauté maronite. Elle vient de son apport culturel, économique, social au Liban en général.
George Corm, ancien ministre des Finances
De ce fait, “La présence de hauts fonctionnaires chrétiens est très importante dans l’administration libanaise”, explique George Corm. “L’importance de la communauté maronite ne vient pas du fait que le président de la République doit être de la communauté maronite, nuance-t-il. Elle vient de son apport culturel, économique, social au Liban en général.”
George Corm estime que les chrétiens maronites souhaitent préserver leurs intérêts en voyant Jihad Azour élu président car ils craignent d’être de plus en plus minorisés. Face à eux, “la communauté chiite a des pouvoirs tout à fait exceptionnels, note-t-il. Le président du parlement Nabih Berri appartient à cette communauté, ils ont la main sur le ministère des finances depuis longtemps et sur beaucoup de postes clés dans l’administration libanaise.”
Cela dit, même si chaque communauté souhaite préserver ses intérêts, “ceux qui représentent le système doivent pouvoir travailler ensemble”, analyse Eberhard Kienle. Il rappelle que Michel Aoun, l’ancien président, “était allié au Hezbollah.” Au-delà de ces tensions politiques, le pays continue de s'enfoncer dans une crise économique et sociale. La monnaie locale a perdu plus de 98% de sa valeur par rapport au dollar sur le marché parallèle, tandis que des restrictions bancaires draconiennes empêchent les épargnants d'avoir librement accès à leur argent.