Fil d'Ariane
Sans les liens tissés avec le sionisme religieux, Benjamin Netanyahou ne serai pas redevenu Premier ministre d’Israël. Lors des élections législatives de novembre 2022, la liste “Sionisme religieux” s'est imposée comme la troisième force politique d'Israël avec près de 11% des voix, soit un demi-million de votes. De six sièges aux Parlement, les partis composant le sionisme religieux sont passés à 14 sièges. Il faut plus de 60 sièges à la Knesset pour constituer une majorité.
“Le système électoral en Israël est construit d’une telle façon que les gens sont élus à la proportionnelle, explique David Chemla, fondateur de l’organisation de Juif européens solutions à deux États JCall. Si votre liste électorale n’obtient pas un nombre suffisant de votes, vos voies sont perdues.” La candidature commune des différents partis du sionisme religieux leur a donc permis d’avoir “un score relativement remarquable”, selon David Chemla. “Netanyahou a constitué un gouvernement avec leur soutien, continue-t-il. Sans eux, il n’a plus de majorité, son gouvernement tombe et il repart aux élections.” La coalition qui soutient le gouvernement compte 64 sièges.
Outre le système électoral israélien, comment expliquer la montée en puissance du sionisme religieux en Israël ? Vincent Lemire, historien et directeur du Centre de recherche français à Jérusalem explique que les partisans des partis sionistes “ont une démographie extrêmement dynamique.” “Une femme peut parfois avoir entre 5 et 8 enfants, avec une période de fécondité qui commence très tôt, détaille-t-il. C’est absolument exponentiel.” Par ailleurs, “la perte d’influence du sionisme de gauche à la suite de l’échec du processus d’Oslo” peut aussi être une explication plausible selon l’historien. Le sionisme de gauche a été incarné par le parti travailliste qui a dominé pendant près de 50 ans la vie politique dans le pays. Les accords d'Oslo, finalisés en 1993, ont entraîné la création de l'autorité palestinienne et l'établissement du cadre d'un processus de paix.
Ce qu’on constate depuis plusieurs semaines, c’est que ce consensus sécuritaire, qui est absolument central dans la conscience israélienne, est mis au second plan au profit d’un tout autre agenda.Vincent Lemire, historien et directeur du Centre de recherche français à Jérusalem
“Historiquement, les sionistes religieux ont toujours participé aux gouvernement travaillistes”, rappelle David Chemla. Ce parti de centre-gauche a dirigé Israël de 1948 à 1977. “C’était un parti plutôt modéré, mais il y a eu une évolution de ce parti après la guerre des six jours avec la création des mouvements messianiques, poursuit-il. Ils ont été à l’origine des colonisations en Cisjordanie.”
“Ce qu’on constate depuis plusieurs semaines, c’est que ce consensus sécuritaire, qui est absolument central dans la conscience israélienne, est mis au second plan au profit d’un tout autre agenda”, note Vincent Lemire. Cet autre agenda, c’est l’agenda messianique, “qui vise soit à la reconquête de toute la terre d’Israël, soit à la restriction de l’immigration des juifs selon la loi rabinique et pas selon l’État d’Israël”, poursuit-il.
Pour ce second point, il faut revenir à la définition du sionisme, “qui est la mise en sécurité des diasporas juives menacées par l’antisémitisme”, rappelle Vincent Lemire. Ce sionisme pouvait être laïc et de gauche.
“Les sionistes religieux sont reliés à des institutions religieuses, à des rabbins, qui refusent la définition extensive de la judéité, qui est utilisée par l’État d’Israël”, analyse l’historien. La définition extensive de la judéité est utilisée par Israël pour définir son mandat. Or, par exemple, dans les années 1990, plus d’un million de Russes sont arrivés en Israël, à l’ouverture du rideau de fer. “Selon l’État d’Israël, ils sont Juifs car un de leurs quatre grands parents est réputé Juif, note Vincent Lemire. Mais ils ne sont pas considérés comme Juifs par les autorités rabbiniques.” Cela a des conséquences dans leur vie personnelle. Ils ne peuvent pas se marier par exemple.
Dans le gouvernement formé par Benjamin Netanyahou en décembre 2022, deux ministres sont des leaders de partis religieux sionistes. “Bezalel Smotrich (NDLR : ministre des Finances) représente un peu le courant des colons, et Itamar Ben Gvir, le ministre de l’Intérieur, qui représente l’extrême droite”, analyse David Chemla. Si les deux hommes sont assez proches idéologiquement, “leurs divisions peuvent avoir des conséquences sur les choix politiques” , poursuit-il.
Par exemple,"par rapport à la réforme juridique que Netanyahou veut mettre en place, avec entre autres ces deux ministres, Smotrich a accepté un report de la mise en place de cette loi, tandis que Ben Gvir a refusé", explique David Chemla. Cela explique pourquoi Netanyahou n’a pas décidé ce qu’il allait faire.”
Le 4 janvier dernier, le nouveau ministre de la Justice Yariv Levin annonce en effet un projet de réforme de la justice, visant à accroître le pouvoir des élus sur celui des magistrats. Il comprend une clause "dérogatoire" qui permettrait au Parlement d'annuler à la majorité simple une décision de la Cour suprême. C'est une remise en cause de l'État de droit dans le pays.
Quelle influence peuvent-ils avoir sur les prises de décision ? “ Leur objectif principal est l’expansion des colonies”, rappelle Vincent Lemire. “C’est vraiment un segment politique qui était en marge du consensus israélien il y a encore quelques mois et qui se retrouve au cœur des débats mais aussi au cœur de l’État.” Le 12 février, Israël indique qu’il va légaliser neuf colonies en Cisjordanie occupée, “en réponse aux attentats terroristes meurtriers”, indique un communiqué du bureau du Premier ministre Benjamin Netanyahou. Le Conseil de sécurité de l’ONU a dénoncé une “entrave” à la paix.
Maintenant qu’ils sont au pouvoir, ils veulent exercer cette politique et obtenir la possibilité de développer d’autres colonies.David Chemla, fondateur de l’organisation de juif européens solutions à deux États JCall
Par ailleurs, le 21 mars, le mouvement des colons a remporté une victoire au Parlement israélien. Il s’agit de l’annulation d’une disposition législative interdisant aux Israéliens de se rendre dans une zone du nord de la Cisjordanie dont les habitants juifs avaient été évacués en 2005. Ce vote rend possible une éventuelle légalisation par les autorités israéliennes d'une colonie recréée sans leur aval à Homesh. C’est la seule des quatre colonies juives de la zone dont les habitants avaient dû être évacués de force en 2005, avant la destruction des lieux par l'armée israélienne.