Pourquoi le Venezuela se retire de l'Organisation des Etats Américains ?

La ministre des Affaires étrangères vénézuélienne a annoncé, ce mercredi 26 avril, le retrait de son pays de l’Organisation des Etats Américains (OEA) - l’institution régionale la plus ancienne de l’Amérique latine - qui se penche sur la grave crise sociale et politique que traverse le Venezuela. Cette décision peut être plus théâtrale qu'effective. Le président Nicolas Maduro a néanmoins confirmé cette sortie. 
Image
OEA Nicolas Maduro
Le président vénézuélien, Nicolas Maduro, le 18 janvier 2017.
AP Photo/Ariana Cubillos, File
Partager6 minutes de lecture

Depuis un mois la situation déjà très instable au Venezuela s’embrase. Les manifestations contre le président Nicolas Maduro ont fait 29 morts et des centaines de blessés.

Lire aussi > Venezuela, un conflit fratricide

Si la pénurie avait mis les Vénézuéliens sur les nerfs, la récente tentative de la Cour suprême de prendre le pouvoir de l’Assemblée dominée par l’opposition et le refus de fixer une date pour les élections régionales ont remis les anti-chavistes dans la rue. De leur côté, les partisans de Maduro ont répondu à la contestation en manifestant eux aussi.  

Lire aussi > Venezuela, opposants et partisans du président Maduro dans la rue

C’est dans ce contexte que l’Organisation des États Américains s’est réunie ce mercredi pour convoquer un mini-sommet de ministres des Affaires étrangères de la région sur la crise vénézuélienne, sans préciser de date.
 

Le Venezuela a illico annoncé son retrait de cette organisation d’intégration régionale qui ne cesse de dénoncer la situation explosive du pays. De son côté, le gouvernement de Nicolas Maduro accuse plusieurs pays de la région d'agir de concert en faveur d'une ingérence dans les affaires du Venezuela - par les biais de l’OEA -  pour "satisfaire les intérêts de Washington". A chaque pic de tension, le Venezuela accuse les États-Unis de préparer un coup d’Etat.
 

De son côté, le président Nicolas Maduro a confirmé la sortie de son pays de l'OEA en disant qu'il venait de faire "un pas de géant pour en finir avec l'interventionnisme impérial". C'est la première fois qu'un pays quitte cette organisation.
 
  • Qu’est-ce que l’OEA ?

C’est la plus ancienne institution d’intégration dans la région. Fondée en 1948, l’organisation se veut un espace de discussion politique et économique afin de favoriser l’échange entre les pays de la région tout en “respectant la souveraineté de chacun”.
 

Du nord jusqu’au sud, tous les États “indépendants” de la région intègrent cet ensemble. Cuba en a été exclue en 1962 pour cause "d’adhésion aux idées marxistes-léninistes” jugées incompatibles avec le système interaméricain. En 2009, l’OEA a décidé que La Havane pouvait retrouver sa place dans le bloc. Mais celle-ci n’a pas fait les démarches nécessaires. Trente-cinq pays forment cet ensemble y compris les États-Unis et le Canada.  

En perte de vitesse jusqu’à l’arrivée, il y a deux ans, du nouveau secrétaire général Luis Almagro, l’OEA est en concurrence avec une organisation bien plus jeune, née en 2010 : la CELAC où l'Oncle Sam ne figure pas.

Un organisme qui serait plus au goût des pays de gauche latino-américaine comme la Bolivie, l’Equateur, ou le Venezuela. Ces derniers prônent un développement indépendant “de la tutelle américaine”.  
  • Comment cette institution fonctionne-t-elle ?

Son fonctionnement est fondé sur quatre piliers : la construction de la démocratie, le respect des droits humains, la sécurité et le développement économique. L’OEA fait aussi office d’observateur lors des processus électoraux et peut jouer le rôle de médiateur lors d’une crise sociale ou politique.
 

L’OEA agit également par le biais de plusieurs commissions qui s’occupent de sujets allant de la lutte contre le trafic de drogues ou de personnes jusqu’aux droits des femmes.

L'Assemblée générale, qui se réunit une fois par an, fixe le cap de l’organisation. Dans des cas urgents, les ministres des Affaires étrangères des différents pays peuvent se réunir pour traiter un sujet en particulier. C’est le cas avec le Venezuela.

L’OEA peut également émettre des sanctions notamment quand "l’ordre démocratique est en danger". Pour renforcer son arsenal, depuis 2001, l’organisation s’est dotée d’un nouveau mécanisme qui active la suspension d’un membre en cas de “rupture de l’ordre démocratique” : la charte démocratique. 

Celle-ci a été activée en 2009 au Honduras. Le pays a été suspendu à la suite du coup d’Etat à l’encontre du président Manuel Zelaya. Cette suspension a été accompagnée de sanctions économiques très lourdes à supporter pour ce petit pays d’Amérique centrale. L’Equateur, la Bolivie, le Pérou et le Nicaragua ont déjà été soumis à des fortes sanctions. La rupture diplomatique avec le pays sanctionné est aussi une possibilité.

  • Quelles relations entretiennent l’OEA et Caracas ?

Depuis que Luis Almagro a pris les rênes de l’organisation, les accrochages entre lui et le président Maduro, par Twitter interposé, sont monnaie courante. Le premier traitant le deuxième de “dictateur”. Pour le successeur de Chavez, Almagro n'est qu'un "traître".
 
"Nous exigeons la libération des prisonniers politiques", écrit Luis Almagro. 
 

En juin 2016, l’OEA a eu une nouvelle fois recours à la charte démocratique  à  l’encontre du Venezuela en considérant que le pouvoir en place “était responsable de la pénurie alimentaire et médicale, du blocage institutionnel et de la violation des droits des prisonniers politiques”.

C’est un long processus qui n’a pas encore abouti. Au mois de mars, le patron de l’OEA a de nouveau demandé la suspension du Venezuela “si des élections générales n'étaient pas convoquées". Caracas a donc devancé l’organisation en souhaitant la quitter.
 

Photo Almagro
Le président du Congrès vénézuélien (gauche), Julio Borges et le secrétaire général de l'OEA, Luis Almagro. 
AP Photo/Luis Alonso Lugo
  • Quelles conséquences pour le Venezuela ?

Pour se retirer de cette organisation, il faut déclencher une procédure de 24 mois. Entre-temps, le pays doit respecter ses engagements et celle-ci peut continuer à débattre sur le cas vénézuélien. Mais il n’est même pas sûr que le pays puisse partir de lui-même car le retrait de l’OEA est inconstitutionnel. “Car selon l’article 24 tous les accords internationaux en matière de droit de l’Homme - et dont l’appartenance à l’OEA - sont intégrés à la Constitution”, explique le correspondant de RFI au Venezuela Victor Amaya.
 

Si jamais le retrait devenait effectif, les conséquences pour le pays seraient lourdes. Comme pour le Honduras (lire plus haut), Caracas ne pourrait plus prétendre aux aides et aux prêts des organismes internationaux. Mais surtout, le pays se retrouverait isolé.

Ce qui ne semble pas être la volonté des autorités vénézuéliennes car en même temps qu’elles annonçaient le retrait de l’OEA, ces dernières demandaient une réunion d’urgence à la CELAC. La Communauté des Etats Latino-américains et Caribéens se réuniront donc le 2 mai prochain à San Salvador à la demande de la ministre des Affaires étrangères du Venezuela pour aborder les “ menaces contre l'ordre démocratique dans le pays et les actes de violence organisés par l'opposition”.

MAJ le 29/04 : Le Venezuela a présenté officiellement la lettre qui déclenche la procédure de retrait. Le président Maduro assure que son pays ne va pas payer les 10,5 millions de dollars que celui-ci doit à l'OEA car "ceci constitue une humiliation".