Fil d'Ariane
L'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest (ACRO) a mis à disposition une carte interactive des taux de tritium dans l'eau potable (ainsi que dans l'air et les cours d'eau), ce jeudi 18 juillet 2019. Le tritium est un isotope radioactif de l'hydrogène et "est produit en très grande quantité dans le cœur des réacteurs nucléaires et se retrouve dans les effluents liquides et gazeux", souligne l'association CRIIRAD (Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité). Les taux de tritium relevés dans l'eau potable de ces communes sont tous largement inférieurs à 100 Bq/l (becquerels par litre), ils ne présentent pas de danger pour la santé. Mais l'ACRO comme la CRIIRAD soulignent que cette présence dans l'eau du robinet, dans l'air ou les cours d'eau, de cette substance rejetée par les centrales nucléaires marque une gestion préoccupante de leurs rejets.
La valeur guide dans l’eau potable recommandée par l’OMS est de 10 000 Bq/l.
Communiqué de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en juin 2019
Parmi les 122 communes d'île de France contenant du tritium, certaines ont des taux allant jusqu'à 10 becquerels par litre (Bq/l), parfois un peu plus. Cette valeur est faible et n'a pas de conséquence directe sur la santé humaine. Plus de 240 autres autres communes — majoritairement près des fleuves qui refroidissent les centrales nucléaires françaises — ont elles aussi du tritium dans leur eau potable, et souvent en plus grande quantité, mais toujours sans conséquence sur la santé. Orléans, Nemours, Tours, Nantes ou Corbeil-Essonnes ont par exemple des taux oscillant entre 30 et 50 Bq/l. Un seuil de radioactivité de 100 Bq/l dans l'eau potable a été défini au niveau européen et est appliqué par la France. Ce seuil n'est pas sanitaire, il sert au contrôle de la gestion des rejets industriels nucléaires. Le seuil sanitaire établi par l'OMS est bien plus élevé : 10 000 Bq/l.
Les parlementaires avaient finalement retenu un seuil de 20 Bq/l. Mais leur amendement avait ensuite été balayé par le Conseil et la Commission qui ont confirmé la valeur de 100 Bq/l proposée par les experts Euratom.
Extrait de la note préliminaire de la CRIIRAD sur la contamination radioactive du tritium
Le tritium est présent naturellement dans l'environnement (à dose infime puisque estimé à 3,5 kg pour la planète entière), mais lorsqu'il se retrouve dans l'eau potable il est alors considéré comme un marqueur de l'activité des rejets des centrales nucléaires. La radioactivité très faible, de quelques Becquerels par litre ( mesure du nombre d'atomes qui se désintègrent pour un litre d'eau) n'a pas d'effet avéré et direct sur la santé humaine, ce que les associations comme les autorités s'accordent à dire, mais ces doses basées sur la présence du tritium doivent permettre de savoir qu'il se "passe quelque chose" en terme de rejets radioactifs industriels.
Le Canada a par exemple fixé son seuil maximal de la radioactivité par le tritium pour l'eau potable à 20 Bq/l. Ce seuil de 20 Bq/l devait d'ailleurs être celui qu'aurait pu adopter l'Union européenne en 2013, comme le rappelle la CRIIRAD : "Notre association avait défendu auprès des parlementaires européens en 2012-2013, la fixation d’un seuil à 10 Bq/l maximum pour le tritium dans les eaux potables. Sur cette base, les parlementaires avaient finalement retenu un seuil de 20 Bq/l. Mais leur amendement avait ensuite été balayé par le Conseil et la Commission qui ont confirmé la valeur de 100 Bq/l proposée par les experts Euratom (Organisme public européen chargé de coordonner les programmes de recherche sur l'énergie nucléaire, NDLR)."
Radioactivité : un seuil sanitaire et un seuil de contrôle
L'OMS a fixé un seuil sanitaire de radioactivité dans l'eau à 10 000 Bq/l. Cette valeur représente un niveau de risque maximum correspondant à une augmentation de 1 cancer (en plus) pour 100 000 personnes. Un autre seuil existe (celui de l'Union européenne et appliqué par la France), et c'est un seuil de contrôle, établi à 100 Bq/l. Cette valeur détermine une obligation pour les autorités d'enquêter auprès de l'industrie nucléaire pour vérifier leurs rejets. Tant que l'eau potable contient moins de 100 Bq/l, aucun contrôle sur les rejets des industriels n'a besoin d'être effectué. Au Canada, par exemple, dès 20 Bq/l dans l'eau potable, les autorités doivent enquêter pour connaître la raison de cette teneur en tritium.
Le taux sanitaire de l'OMS est considéré comme beaucoup trop élevé par les associations d'étude de la radioactivité, tout comme le taux de contrôle de 100 Bq/l, qui, s'il était abaissé, permettrait de forcer les industriels à moins rejeter de radioactivité dans l'eau. Avec un seuil à 20 Bq/l les relevés de l'ARS obligeraient donc l'ASN à enquêter sur les rejets des centrales.
> Lettre aux autorités de la CRIIRAD, le 11 juillet 2019 : "Contamination de l'eau potable par le tritium, la CRIIRAD demande la révision des normes de 10 000 Bq/l et 100 Bq/l"
Ces résultats soulèvent plusieurs questions. Sur la gestion industrielle nucléaire : comment et pourquoi des radionucléides, même en quantité faible, ont-ils augmenté dans l'eau potable ? Pour les eaux fluviales, des relevés à 310 Bq/l ont été effectués par l'ACRO dans le fleuve de la Loire, sur la commune de Saumur — en aval de la centrale nucléaire de Chinon. Cette valeur anormalement élevée "suggère que des rejets ont été effectués en dehors des procédures habituelles", selon l'association. Plusieurs hypothèses sont retenues par l'ACRO pour expliquer ces 310 Bq/l : "un incident, des rejets non répertoriés, ou plusieurs centrales qui auraient effectué leurs rejets en même temps, avec un prélèvement effectué par les associations qui se serait produit peu après". Mais c'est en réalité le problème du manque de transparence des exploitants sur le déroulement des rejets qui se pose: La CRIIRAD demande depuis longtemps que les exploitants aient l’obligation de rendre publiques les dates et heures des rejets liquides des installations nucléaires, sans succès. Cette transparence permettrait, selon l'association de "stopper les pompages pour l’irrigation ou la fourniture d’eau potable au moment des rejets et aiderait à mieux cibler les contrôles indépendants sur des périodes bien définies."
Nos calculs pour le tritium indiquent que pour rester dans les normes moyennes d'augmentation de cancers, justement, il faudrait que les eaux contaminées au tritium soient comprises entre 10 Bq/l et 30 Bq/l au maximum.Corinne Castannier, responsable radioprotection à la CRIIRAD depuis 1987
L'Agence de sûreté nucléaire (ASN) a communiqué à propos des relevés de l'ARS et de l'ACRO, en affirmant qu'"il n’y a pas de risque pour l’environnement ni pour le public", ce qui est conforme aux expertises et aux seuils sanitaires en la matière. Mais pour Corinne Castannier, responsable radioprotection à la CRIIRAD depuis 1987, les études sur les normes fixées par l'OMS sur le tritium, comparées aux autres polluants cancérigènes ne sont pas adaptées. La responsable de la CRIIRAD, jointe au téléphone, ne veut pas alarmer les populations, mais tient à clarifier le sujet : "Cette norme de 10 000 Bq/l causée par le tritium, correspond à une consommation de 2 litres d'eau quotidienne pendant 70 ans avec une augmentation des cancers limitée sur cette norme. Nos propres calculs, pour le tritium, indiquent que pour rester dans les normes moyennes d'augmentation de cancers, justement, il faudrait que les eaux contaminées au tritium soient comprises entre 10 Bq/l et 30 Bq/l au maximum. L'OMS, pour nous à un seuil sanitaire au moins 300 fois trop élevé."
L'eau des 268 communes françaises contenant du tritium n'est donc pas un danger immédiat pour la santé, mais connaître exactement les raisons de cette contamination — même faible — de l'eau potable, devrait être une priorité selon les associations. En premier lieu pour permettre un meilleur contrôle afin d'obtenir un abaissement des rejets par les exploitants des centrales nucléaires. Pour finir, la responsable de la CRIIRAD Corinne Castannier pose une question de fond — gênante pour la France dont l'énergie électrique est fournie à 75% par le nucléaire. Une question qui devrait peut-être entrer à terme dans le débat politique sur les question environnementales : "Pourquoi l'industrie nucléaire est-elle autorisée à polluer 100 fois plus que le reste des industries fournissant des produits cancérigènes ?"