Pourquoi les Comores veulent empêcher des expulsions à Mayotte ?

Le gouvernement comorien demande à la France de renoncer à une prochaine opération d’expulsions à Mayotte. Ce département français de l’Océan Indien est confronté à une délinquance galopante, sur fond de crise migratoire. Comment expliquer cette prise de position comorienne ?
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Bidonville Mayotte
Une vaste opération de destruction d'habitats illégaux en application de la loi Elan, dans un bidonville de Koungou, commune de Mayotte, où 230 cases sont détruites, le 8 mars 2021.
AFPTV
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L’opération doit débuter le 20 avril, date de la fin du Ramadan, et durer deux mois. Baptisée “Wuambushu” (“reprise”, en Mahorais), elle visait à réaliser des expulsions, la destructions d'un millier logements illégaux et des arrestations à Mayotte. Selon le quotidien français Le Monde, l’objectif serait d’expulser 300 Comoriens en situation irrégulière par jour, contre 70 actuellement. Conçue par le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin, elle a été validée par le président Emmanuel Macron au mois de février, selon une source proche du dossier. C'est l'hebdomadaire satirique Le Canard Enchaîné qui a révélé l'existence de cette opération, dans son édition du 22 février. Selon l'hebdomadaire, les objectifs de Gérald Darmanin sont de "faire de l'archipel un laboratoire de sa politique anti-immigration et se mettre en piste pour Matignon."
 

Dans un communiqué publié le 10 avril, les autorités comoriennes demandent à Paris de renoncer à cette opération. "Le gouvernement comorien a appris avec étonnement la nouvelle du maintien du projet gouvernement français (...) visant à procéder, dans l'île comorienne de Mayotte, à la destruction de bidonvilles, suivies de l'expulsion de tous leurs occupants sans-papiers, vers l'île d'Anjouan", indique le communiqué. L’accord des Comores est indispensable pour mener cette opération, car les personnes expulsées seront renvoyées dans l’archipel. Comment expliquer les réticences comoriennes ? 

Une atteinte aux relations entre la France et les Comores 

Cette opération censée démarrer en plein mois de Ramadan, pour durer deux mois, va à l’encontre du respect des droits humains et risque de porter atteinte aux bonnes relations qui unissent les deux pays”, déplorent les autorités comoriennes dans leur communiqué. C’est la première fois que le président comorien Azali Assoumani s’exprime sur la question, malgré les nombreux appels de la société civile et des partis politiques comoriens.

Le partenaire français ne peut pas donner l’impression de vouloir se débarrasser d’un problème qu’il a lui-même contribué à faire naître d’un geste aussi brutal.Anissi Chamsidine, gouverneur de l'île d'Anjouan

Ce qui se prépare prend un caractère inhumain à nos yeux. Je ne peux l’accepter, indique Anissi Chamsidine, gouverneur de l’île d’Anjouan où sont débarqués les expulsés de Mayotte, dans La Gazette des Comores le 30 mars. (...) Le partenaire français ne peut pas donner l’impression de vouloir se débarrasser d’un problème qu’il a lui-même contribué à faire naître d’un geste aussi brutal.” Le ministre français des Armées français Sébastien Lecornu était supposé se rendre à Moroni, capitale des Comores, du 8 au 10 avril. Cependant, sa visite a été annulée sans explications. L’entourage du ministre assure qu’il se rendra aux Comores avant la fin du mois du Ramadan.

Mayotte est-elle une île comorienne ou française ?

  • Il est à rappeler que Mayotte est une île comorienne, maintenue sous administration française depuis l’indépendance du pays en 1975”, écrit la présidence comorienne dans son communiqué. 
  • En 1974, alors que les Comores étaient administrées par la France, un référendum sur l’indépendance de l’archipel est organisé. 
  • Seule l’île de Mayotte vote pour demeurer au sein de la République française, tandis que les autres îles comoriennes proclament leur indépendance dès 1975. 
  • L’Assemblée générale des Nations Unies se saisit immédiatement de la question, condamne les agissements de l’État français et affirme la souveraineté comorienne sur l’île de Mayotte”, écrit Victoire Cottereau, maître de conférences en géographie au CUFR de Mayotte sur le site d'informations The Conversation
  • Bien que Mayotte française ne dispose encore aujourd’hui d’aucune reconnaissance internationale, il semble que cette question ne soit plus au coeur des préoccupations mondiales et qu’elle prenne de plus en plus le chemin de l’acceptation, excepté pour les Comoriens”, ajoute-t-elle.

Le 5 avril, des organisations de la société civile comorienne ont tenu une conférence de presse pour prévenir d’un “massacre à venir.” "Nous comptons saisir les organisations internationales pour les informer du massacre que la France veut perpétrer sur l'île comorienne de Mayotte" avait réagi Youssouf Attick Ismael, le président du Comité Maore (Maore veut dire Mayotte en langue nationale). Par ailleurs, le collectif Stop Uwambushu à Mayotte organise des manifestations dans plusieurs villes françaises les 15 et 16 avril, pour protester “contre la déportation des Comoriens à Mayotte.

Deux sons de cloche à Mayotte

À Mayotte, des voix se sont élevées pour exprimer les craintes suscitées par une telle opération. Les personnels de santé de l'île ont ainsi rappelé, dans un communiqué, "les conséquences dramatiques" des précédentes interventions de grande ampleur en matière de lutte contre l'immigration. Le président de la Commission nationale consultative des Droits de l'Homme, Jean-Marie Burguburu, a écrit à Gérald Darmanin pour l'exhorter à "renoncer" à ce projet, considérant le risque d'"aggravation des fractures et des tensions sociales dans un contexte déjà très fragilisé (...) et l'atteinte au respect des droits fondamentaux des personnes étrangères dans le cadre d'expulsions massives".

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Cependant, plusieurs collectifs mahorais sont favorables à l’opération Wuambushu. Le Collectif des citoyens de Mayotte loi 1901, le Collectif des citoyens de Mayotte mouvement 2018, le Collectif Réma, les Femmes Leaders et le Codim ont écrit au ministre de l’Intérieur le 10 avril. “Nous tenons à vous dire une nouvelle fois notre soutien massif pour que vous meniez à bien cette opération et nous vous renouvelons notre demande de la fermeture des frontières par la mise en place d’un bâtiment de la Marine nationale pour empêcher toute tentative d’immigration clandestine à Mayotte”, écrivent-ils. 

Quels seront les moyens mis en oeuvre pour l'opération Wuambushu ? 

  • Les 1 350 gendarmes et policiers déjà présents à Mayotte seraient renforcés par près de 500 autres. 
  • Parmi eux, des unités de CRS 8, spécialisées dans les violences urbaines, mais aussi des équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS), constituées de personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire.

Le député mahorais Les Républicains Mansour Kamardine quant à lui avait appelé à ne pas voter la motion de censure contre le gouvernement le 20 mars car cela aurait nécessité de “reporter, à des dates inconnues, l’urgente opération Wuambushu du mois d’avril.” Une poignée de militants radicaux locaux se sont ralliés à la cause de Gérald Darmanin. Ils promettent de “faire le boulot” si le gouvernement tempère son projet de “décasages” en série et d’expulsions massives.