Fil d'Ariane
L’opération doit débuter le 20 avril, date de la fin du Ramadan, et durer deux mois. Baptisée “Wuambushu” (“reprise”, en Mahorais), elle visait à réaliser des expulsions, la destructions d'un millier logements illégaux et des arrestations à Mayotte. Selon le quotidien français Le Monde, l’objectif serait d’expulser 300 Comoriens en situation irrégulière par jour, contre 70 actuellement. Conçue par le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin, elle a été validée par le président Emmanuel Macron au mois de février, selon une source proche du dossier. C'est l'hebdomadaire satirique Le Canard Enchaîné qui a révélé l'existence de cette opération, dans son édition du 22 février. Selon l'hebdomadaire, les objectifs de Gérald Darmanin sont de "faire de l'archipel un laboratoire de sa politique anti-immigration et se mettre en piste pour Matignon."
#Darmanin prépare « l’opération Wuambushu » à #Mayotte. Objectifs : faire de l’archipel un laboratoire de sa politique anti-immigration et se mettre en piste pour Matignon
— Le Canard enchaîné (@canardenchaine) February 21, 2023
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Dans un communiqué publié le 10 avril, les autorités comoriennes demandent à Paris de renoncer à cette opération. "Le gouvernement comorien a appris avec étonnement la nouvelle du maintien du projet gouvernement français (...) visant à procéder, dans l'île comorienne de Mayotte, à la destruction de bidonvilles, suivies de l'expulsion de tous leurs occupants sans-papiers, vers l'île d'Anjouan", indique le communiqué. L’accord des Comores est indispensable pour mener cette opération, car les personnes expulsées seront renvoyées dans l’archipel. Comment expliquer les réticences comoriennes ?
COMMUNIQUÉ pic.twitter.com/j81R54tSCM
— Beit-Salam / Présidence de l'Union des Comores (@Beit_Salam) April 10, 2023
“Cette opération censée démarrer en plein mois de Ramadan, pour durer deux mois, va à l’encontre du respect des droits humains et risque de porter atteinte aux bonnes relations qui unissent les deux pays”, déplorent les autorités comoriennes dans leur communiqué. C’est la première fois que le président comorien Azali Assoumani s’exprime sur la question, malgré les nombreux appels de la société civile et des partis politiques comoriens.
Le partenaire français ne peut pas donner l’impression de vouloir se débarrasser d’un problème qu’il a lui-même contribué à faire naître d’un geste aussi brutal.Anissi Chamsidine, gouverneur de l'île d'Anjouan
“Ce qui se prépare prend un caractère inhumain à nos yeux. Je ne peux l’accepter, indique Anissi Chamsidine, gouverneur de l’île d’Anjouan où sont débarqués les expulsés de Mayotte, dans La Gazette des Comores le 30 mars. (...) Le partenaire français ne peut pas donner l’impression de vouloir se débarrasser d’un problème qu’il a lui-même contribué à faire naître d’un geste aussi brutal.” Le ministre français des Armées français Sébastien Lecornu était supposé se rendre à Moroni, capitale des Comores, du 8 au 10 avril. Cependant, sa visite a été annulée sans explications. L’entourage du ministre assure qu’il se rendra aux Comores avant la fin du mois du Ramadan.
Le 5 avril, des organisations de la société civile comorienne ont tenu une conférence de presse pour prévenir d’un “massacre à venir.” "Nous comptons saisir les organisations internationales pour les informer du massacre que la France veut perpétrer sur l'île comorienne de Mayotte" avait réagi Youssouf Attick Ismael, le président du Comité Maore (Maore veut dire Mayotte en langue nationale). Par ailleurs, le collectif Stop Uwambushu à Mayotte organise des manifestations dans plusieurs villes françaises les 15 et 16 avril, pour protester “contre la déportation des Comoriens à Mayotte.”
Grandes manifestions et rassemblement des mouvements de la société civile aux Comores, en France et à la Réunion les 15 et 16 avril 2023. Soyons nombreux-ses et partagez massivement ! pic.twitter.com/7d1df0Jkv1
— Mouezi (@Mouezi_F) April 9, 2023
À Mayotte, des voix se sont élevées pour exprimer les craintes suscitées par une telle opération. Les personnels de santé de l'île ont ainsi rappelé, dans un communiqué, "les conséquences dramatiques" des précédentes interventions de grande ampleur en matière de lutte contre l'immigration. Le président de la Commission nationale consultative des Droits de l'Homme, Jean-Marie Burguburu, a écrit à Gérald Darmanin pour l'exhorter à "renoncer" à ce projet, considérant le risque d'"aggravation des fractures et des tensions sociales dans un contexte déjà très fragilisé (...) et l'atteinte au respect des droits fondamentaux des personnes étrangères dans le cadre d'expulsions massives".
Cependant, plusieurs collectifs mahorais sont favorables à l’opération Wuambushu. Le Collectif des citoyens de Mayotte loi 1901, le Collectif des citoyens de Mayotte mouvement 2018, le Collectif Réma, les Femmes Leaders et le Codim ont écrit au ministre de l’Intérieur le 10 avril. “Nous tenons à vous dire une nouvelle fois notre soutien massif pour que vous meniez à bien cette opération et nous vous renouvelons notre demande de la fermeture des frontières par la mise en place d’un bâtiment de la Marine nationale pour empêcher toute tentative d’immigration clandestine à Mayotte”, écrivent-ils.
Le député mahorais Les Républicains Mansour Kamardine quant à lui avait appelé à ne pas voter la motion de censure contre le gouvernement le 20 mars car cela aurait nécessité de “reporter, à des dates inconnues, l’urgente opération Wuambushu du mois d’avril.” Une poignée de militants radicaux locaux se sont ralliés à la cause de Gérald Darmanin. Ils promettent de “faire le boulot” si le gouvernement tempère son projet de “décasages” en série et d’expulsions massives.