Fil d'Ariane
Des partisans évangéliques de Donald Trump prient pour la victoire de leur champion à Miami le 3 janvier 2020.
Qui sont les évangéliques ? Ils représentent plus de 30% de l'électorat et constituent la principale base politique de Donald Trump. La victoire ou la défaite du candidat républicain pourrait dépendre de leur mobilisation le jour du vote. Pourquoi soutiennent-ils majoritairement l'ex-président ? Kamala Haris peut-elle convaincre une frange de cet électorat ?
Les évangéliques sont des protestants qui disent avoir fait l'objet d'une conversion, c'est à dire l'expérience d'une forme de renaissance religieuse personnelle. Cette expérience passe par une repentance sur sa vie passée.
"Quel est le philosophe qui vous inspire le plus ?". "Jésus Christ. Et il est mon sauveur. Georges W. Bush, président des États-Unis
Ce fut le cas de Georges Walker Bush, président des États-Unis de 2001 à 2009. En 2000, candidat aux primaires républicaines, il répond à une question lors d'un débat : "Quel est le philosophe qui vous inspire le plus ?". "Jésus Christ. Et il est mon sauveur", affirme alors le candidat, devant son adversaire John McCain. Celui qui deviendra président souffrait de graves problèmes d'addiction à l'alcool avant sa "conversion" religieuse.
Les évangéliques se distinguent des églises protestantes historiques, calvinistes et luthériennes, dans leur rapport à la Bible. Tout comme dans les églises protestantes historiques, le fidèle n'a pas pas besoin d'intercession, comme un prête catholique, pour atteindre Dieu. Mais contrairement aux autres églises protestantes, l'interprétation des écrits biblique est plus littérale. C'est ainsi que certains groupes évangéliques rejettent les théories de l'évolution et estiment que la terre a été créée il y a quelques milliers d'années, comme il est écrit dans l'Ancien testament.
Chaque fidèle doit convertir son prochain, faire connaître son expérience personnelle, son rapport à la foi. C'est ainsi que le monde évangélique n'a cessé de croître depuis les années 60 dans le monde. Le chercheur français Sébastien Fath, spécialiste des mondes évangéliques, estime que l'on compte plus de 660 millions évangéliques dans le monde.
Sur cette carte faite par le Pew Research Center se trouve la part des évangéliques américains état par état chez la population adulte.
Ce courant religieux, qualifié de néo-protestantisme, est dominant dans le paysage américain. Selon le Pew Research Center, think tank américain qui travaille sur les questions religieuses, les évangéliques seraient un peu moins de 100 millions aux États-Unis sur une population de 310 millions d'habitants.
Ils sont géographiquement concentrés, dans ce que l'on appelle la "Bible Belt", majoritairement des États du Sud. Cette "ceinture de la Bible" part du Texas pour remonter vers le Delaware sur la côte Est. La majorité de ces États votent pour le camp républicain lors des élections locales ou fédérales depuis la fin des années 1960.
Un peu plus de 70% d'entre eux, selon le Pew Research Center, sont des blancs. Et ils sont très pratiquants. Pour un peu plus de 80% d'entre eux la religion est une chose "très importante dans leur vie". Un sondage, rendu public par le Think tank en septembre dernier, démontre que plus de 84% des évangéliques blancs se disent prêt à voter Donald Trump pour ce scrutin présidentiel.
Lors de la présidentielle de 2016, plus de 75% des évangéliques blancs ont voté pour Donald Trump. Ce chiffre a dépassé les 80% lors de l'élection en 2020. Pourquoi cet électorat suit Donald Trump malgré les nombreuses frasques de l'ancien président républicain ?
La vie personnelle de Donald Trump est assez éloignée des préceptes moraux que recommandent les pasteurs évangéliques. Jean-Eric Branaa, spécialiste des Etats-Unis
"La vie personnelle de Donald Trump est assez éloignée des préceptes moraux que recommandent les pasteurs évangéliques. Donald Trump a été accusé d'agression sexuelle. Il aurait acheté le silence d'une actrice pornographique, Stormy Daniels. Alors pourquoi les évangéliques soutiennent Donald Trump ?" s'interroge Jean-Eric Branaa, universitaire, maître de conférences à l’université d’Assas à Paris et chercheur au centre de relations internationales Thucydide, et auteur d'une biographie politique de Donald Trump.
"Les pasteurs évangéliques répondent simplement : "Nous n'élisons pas un homme mais un président". Donald Trump reste une force politique selon ce monde évangélique. Donald Trump reste une locomotive pour défendre et mettre en place leur programme pour la société américaine", avance le chercheur.
Ce programme est simple. Il a été une première fois porté politiquement, à l'échelle du pays, dans les années 1960 par un pasteur, Billy Graham (1918-2018). "Ce programme est centré sur plusieurs points : l'opposition à l'avortement, le maintien de signes religieux chrétiens dans l'espace public, la défense de la famille traditionnelle, la lutte contre les droits des personnes homosexuelles et, ces dernières années, une hostilité dirigée contre les personnes transgenres", souligne Jean-Eric Branaa.
Donald Trump brandit la Bible devant une église à Washington le 1er juin 2020.
Le narratif de Donald Trump peut expliquer le soutien de ce monde évangélique au candidat du camp républicain. "Donald Trump et certains pasteurs ou certaines communautés évangéliques ont un point commun, leur rapport à la vérité, aux faits. Une des portes paroles de Trump lors de sa présidence avait parlé de "vérité alternative". Le rapport à la raison, à la science, aux faits est également problématique chez de nombreux évangéliques. Ce sont des gens qui croient que les hommes ont vu le jour il y a 6000 ans et que les dinosaures n'ont jamais existé", souligne Clément Pairot, journaliste, spécialiste des États-Unis.
Une partie du monde évangélique, bien plus que pour n'importe quelle autre figure politique républicaine, s'est organisée pour soutenir Donald Trump, selon Christophe Le Boucher, co-auteur de "Les illusions perdues de l'Amérique démocrate". "En 2016, durant les primaires républicaines, un groupe de 200 pasteurs évangéliques, que l'on peut qualifier d'intégriste s'est constitué pour soutenir Donald Trump. Ce soutien ne s'est jamais démenti."
Donald Trump a fait le job et il faut à nouveau le soutenir selon les évangéliques blancs. Jean-Eric Branaa, spécialiste des États-Unis
Pourtant Donald Trump, selon Jean-Eric Branaa, a failli un temps perdre une partie de cet électorat évangélique blanc si crucial politiquement. La raison ? L'assaut du Capitole par des partisans de Donald Trump, le 6 janvier 2021, pour s'opposer à la victoire de Joe Biden lors de l'élection présidentielle de 2020.
L'assaut au Capitole le 6 janvier 2021 par les supporters de Trump.
"Les évangéliques n'aiment pas le désordre politique. Et on a vu le vice-président républicain, Mike Pence, lui-même évangélique, avaliser la victoire de Joe Biden contre la volonté de Donald Trump. Et des pasteurs évangéliques influents ont pris leur distance avec Donald Trump durant cette période politiquement confuse", estime Jean-Eric Branaa.
Un événement, jugé comme une "divine surprise" par des évangéliques, va permettre à Donald Trump de renouer avec le soutien d'une partie de cet électorat, selon Jean-Eric Branaa. Le 24 juin 2022, la Cour suprême mettait fin à l'arrêt Roe Vs Wade de 1973 qui garantissait le droit d'avorter sur tout le territoire. Depuis chaque État est libre d'interdire ou d'autoriser l'interruption volontaire de grossesse (I.V.G).
"Cette révocation a constitué une divine surprise pour les évangéliques. La fin du droit à l'avortement sur l'ensemble du pays a été rendu possible parce ce que Donald Trump a nommé des juges conservateurs, comme la très conservatrice Amy Barret, à la Cour suprême. Donald Trump a fait le job et il faut à nouveau le soutenir selon les évangéliques blancs", souligne Jean-Eric Branaa.
Des evangéliques prient devant la Cours suprême après la nomination par Donald Trump de la très conservatrice juge Amy Coney Barrett ce 24 octobre 2020.
Ces églises évangéliques sont plurielles. "Le monde évangélique n'est pas monolithique bien entendu. L'électorat noir vote pour les Démocrates. Est-ce que les églises évangéliques noires voteront pour Donald Trump ?" interroge Jean-Eric Branaa. Selon le Pews research Center, environ 20% des évangéliques (issus de toutes les communautés, noires, blanches ou latinos...) votent pour les démocrates.
Des communautés religieuses très anciennes, comme celle des "Quaker", présentes dans l'État clé de Pennsylvanie, portent des préoccupations comme la protection de l'environnement ou l'opposition a tout conflit armé. Les droits des femmes sont au coeur des réflexions de ces groupes majoritairement féminins. Mais ces communautés soutiendront-elles Kamala Harris ?
On assiste à une forme de polarisation de plus en plus dure dans le monde politique américain. L'heure n'est plus au compromis et surtout plus au dialogue. Le paysage religieux n'échappe pas à cela. Clément Pairot, spécialiste des États-Unis
"Il est difficile de dire qu'il existe vraiment des évangéliques de gauche mais on constate, il est vrai, au sein de certaines communautés une forme de fracture générationnelle sur certains thèmes. Des jeunes évangéliques sont de plus en plus préoccupés par la question du changement climatique niée par Donald Trump", constate Jean-Eric Branaa.
"On assiste à une forme de polarisation de plus en plus dure dans le monde politique américain. L'heure n'est plus au compromis. Le temps n'est plus au dialogue. Le paysage religieux n'échappe pas à cela", constate surtout Clément Pairot, journaliste et bon connaisseur de la société américaine.
Ce pays reste empreint de religiosité. Et une candidate démocrate doit montrer qu'elle croit en Dieu. Jean-Eric Branaa
Le pasteur évangélique Rick Warren et Barack Obama lors d'un débat sur l'avortement le 16 août 2008.
Durant les années 1960, le président démocrate Lyndon Johnson (1963-1969) et le leader évangélique Billy Graham échangeaient sur la question des droits civiques (la question du droit de vote pour les noirs). Lors de l'élection présidentielle de 2008, le pasteur évangélique Rick Warren, fondateur de la "mégachurch" de Saddleback avait invité Barrack Obama, candidat démocrate, lors d'un débat sur la question de l'avortement et la place de la religion chrétienne dans l'espace public. Kamala Harris, elle, n'a reçu aucune invitation d'un grand pasteur évangélique blanc.
Kamala Harris prie et chante lors du culte dans une église baptiste en Caroline du Nord, le 13 octobre 2024.
Les positions notamment sur la question de l'avortement sont tellement éloignées et irréconciliables. Je ne vois pas comment les démocrates peuvent atteindre cet électorat", estime Christophe Le Boucher, spécialiste des États-Unis. Andy Wood, pasteur de l'Eglise de SaddleBack, le 13 octobre dernier, dans son sermon devant plusieurs milliers de fidèles était assez explicite : "Pour ceux qui votent pour des candidats qui sont en faveur de l'avortement, du mariage pour tous ou pour les droits des personnes transgenres, il y aura des conséquences spirituelles."
Que peut faire Kamala Harris ? "Kamala Harris ne changera pas sa position sur le droit à l'avortement, souligne Jean-Eric Branaa. Mais elle a compris une chose. Ce pays reste empreint de religiosité. Et en tant que candidate démocrate doit montrer qu'elle croit en Dieu. Elle a mis en avant sa foi baptiste (protestante) et la religion hindoue de sa mère. Elle affirme qu'elle est multi-confessionnelle. Et elle tient à montrer qu'elle se rend chaque dimanche dans son église."