Fil d'Ariane
Patrick Poivre d’Arvor a présenté le journal télévisé de TF1 pendant plus de 20 ans. Il en était la vedette. Il est aujourd’hui accusé par une trentaine de femmes de violences sexistes et sexuelles. Retour sur l’affaire PPDA.
C’est une affaire « classée sans suite » qui s’ouvre de nouveau. Une affaire qui a bouleversé le paysage médiatique français.
L’affaire PPDA - pour les initiales du journaliste Patrick Poivre d’Arvor -, fait état d’une trentaine d’accusations de comportements problématiques, d'harcèlements, d’agressions et de viols perpétués par l’ex-présentateur star du journal télévisé de TF1 durant sa (longue) carrière. Ce dernier, présumé innocent, continue de contester « toute violence, sexuelle ou non, à l'égard des femmes qui l'ont accusé. »
En juin 2021, la Cour d’appel de Versailles avait choisi un classement sans suite des fait. Elle a décidé, un an après, de revenir sur sa décision. Une information judiciaire a été rouverte sur « l’ensemble des faits » malgré leur prescription. La notion juridique de sérialité se trouve désormais au coeur de cette nouvelle étape, impliquant une recherche de témoignages similaires, non prescrits, afin de caractériser une répétition des faits.
« La femme qui accuse PPDA ». Ce titre de Une du Parisien du 19 février 2021 marquera le début de la médiatisation de l’affaire. Florence Porcel, autrice et vulgarisatrice scientifique, témoigne avoir été victime d’un rapport non consenti en 2004 de la part du journaliste, qui lui aurait aussi 5 ans plus tard imposé une fellation. Une enquête préliminaire est alors ouverte par le parquet de Nanterre. Les faits qui remontent à 2004 se seraient déroulés dans le bureau de la chaîne TF1 du présentateur, et ceux de 2009 au siège de la société de production A Prime Group, selon le journal Le Parisien.
Il s’agit alors de la première plainte déposée contre Patrick Poivre d’Arvor. Ce dernier fait alors entendre par la voix de son avocat qu’il « récuse fermement » ces accusations « absurdes et mensongères ». Deux semaines plus tard, sur le plateau de l’émission Quotidien sur TMC, il vient en personne donner sa version des faits. « De ma vie jamais je n’ai consenti, je n’ai accepté une relation qui ne serait pas consentie, une relation qui serait forcée, que ce soit sentimentale ou sexuelle. Jamais de ma vie. » déclare-t-il tout en regrettant que « ce comportement où il y avait parfois des petits bisous dans le cou, des petits compliments, du charme ou de la séduction » ne soit « plus accepté par les jeunes générations ». Le 30 mars, il dépose plainte auprès du parquet de Nanterre pour « dénonciation calomnieuse » contre Florence Porcel.
Vingt-deux témoignages de femmes suivront cependant celui de l’autrice la même année. Sept plaintes sont déposées dont trois pour viol et quatre pour agressions sexuelles ou harcèlement sexuel. L’officier de police judiciaire ayant recueilli les dépositions note que les plaignantes présentent toutes « Patrick Poivre d’Arvor comme un prédateur sexuel abusant de sa notoriété et usant d’un mode opératoire similaire dans l’approche de ses victimes et dans la brutalité de ses actes ».
Le 25 juin, l'enquête est cependant classée sans suite par le parquet de Nanterre pour « prescription » et « insuffisance de preuves ». Les accusations de viols remontant à plus de 10 ans, et les faits reprochés de harcèlement sexuel manquent d'éléments pour constituer l’infraction, juge le parquet. « Absence de répétition, de pressions, de caractère sexualisé des propos tenus, ou encore de trace des appels téléphoniques », est-il énuméré.
L’affaire aurait pu en rester là et tomber dans l’oubli. Ça n’a toutefois pas été le choix de huit femmes qui ont décidé de faire entendre leur voix, cette fois-ci dans la presse. Sept d’entre elles le feront à visage découvert dans le journal Libération « pour dénoncer le comportement abusif de l’ancien présentateur vedette du 20 heures et décrire le mode opératoire qu’il avait mis en place » rapporte le journal.
Toutes décrivent un schéma, des manières de faire qui se répètent d’une femme à une autre et des faits qui étaient connus du milieu. «Ce qui me choque le plus est le regard amusé de mes chefs. Je suis humiliée d’être jaugée comme la prochaine qui passera à la casserole. Aucun d’entre eux ne prendra quelques minutes pour m’indiquer un comportement à tenir. A partir de cet épisode, je passe mon temps à fuir PPDA. Dès que je le vois dans un couloir, je fais demi-tour. […] Tout le monde est au courant et personne n’a conscience de rien », décrit Cécile Delarue, journaliste et autrice qui dit avoir repoussé les avances du présentateur avant d’être évincée.
Hélène Devynck, journaliste et auteure de 54 ans, était elle assistante éditoriale du présentateur quand elle accepte de dîner chez lui un soir en 1993. « Sitôt le plat terminé, il se jette sur moi alors que je suis encore assise. C’est brusque et soudain. […] J’ai mis des années à me défaire de la chape de dégoût et de honte, des années à me dire que j’aurais pu crier, me débattre, frapper, courir. Après, je me rappelle un silence, et tout de suite me demander comment j’allais gérer cela, puis me dire que cela n’aurait pas d’impact sur ma vie. Vaine promesse », témoigne l’autrice qui a sorti le livre « Impunité » aux éditions du Seuil, retraçant son histoire et celle d’autres femmes agressées. Elle a porté plainte contre PPDA pour viol.
Peu de temps après la publication de ces témoignages dans Libération, certaines fondent l’association #MeTooMedias pour relayer le combat «des femmes et des hommes qui souffrent silencieusement dans ce milieu médiatique». « On veut apporter de l'écoute, de la protection et un accompagnement, notamment juridique si besoin », explique alors Emmanuelle Dancourt, chroniqueuse sur la chaîne RMC qui a porté plainte en 2021 contre PPDA pour une agression sexuelle dont elle aurait été victime en 2008.
Le 26 novembre 2021, l’affaire connaît une nouvelle étape judiciaire. Après avoir vu l’enquête classée sans suite, l'écrivaine Florence Porcel porte plainte, cette fois, en se constituant partie civile afin d'obtenir la saisine d'un juge d’instruction. Une nouvelle enquête est alors ouverte. Les enquêteurs investigueront de nouveau les faits de 2009 classés pour « insuffisance de preuves ».
Le 10 décembre, deux nouvelles plaintes pour viol et agression sexuelle visant PPDA, sont déposées. L’une des plaignantes l’accuse de l'avoir violée dans une chambre pendant le festival de Cannes en 1985 alors qu'elle avait une vingtaine d’années. L’autre témoigne que le journaliste l’aurait embrassée de force dans un Club Med à Valmorel, en Savoie, en 2013, quand elle avait 23 ans. Même si les faits évoqués sont prescrits, ells « déposent plainte par solidarité avec les autres » fait savoir leur avocate. Une deuxième enquête est alors ouverte.
Patrick Poivre d'Arvor porte plainte pour dénonciation calomnieuse contre 16 femmes ayant porté plainte contre lui le 26 avril 2022. Il fustige le "lot d'excès et de dérives" du mouvement #MeToo, selon France info, et décrit « un retour du puritanisme et de la censure, habilement parés de la prétendue protection des femmes ». À ses yeux, les 16 accusatrices sont des femmes « éconduites ou ignorées », nourrissant une « amertume qui les conduit à commettre, par vengeance tardive, le délit de dénonciation calomnieuse ».
Hélène Devynck, l'une des femmes visées, y voit une « inversion de la culpabilité » de la part du journaliste qui « fait des victimes les coupables ». « J'attends que cette procédure bâillon (de dénonciation calomnieuse) se transforme en procès et qu'on puisse toutes défiler à la barre. Ça va être difficile de faire croire que 16 femmes mentent », a-t-elle ajouté.
Deux jours après la plainte de PPDA, une nouvelle plainte pour viol le visant est déposée. Le témoignage est recueilli anonymement dans l’émission Complément d’enquête. À l'époque âgée de 24 ans, *Mathilde (le prénom a été modifié), journaliste tout juste diplômée, déclare avoir été invitée dans le bureau de PPDA où il l'aurait « embrassée » puis « basculée sur la moquette ». « Il a enlevé mon pantalon, il a enlevé son pantalon et il m'a violée. Je n'avais plus aucun réflexe » affirme la jeune femme.
Le 10 mai, le média en ligne Mediapart rassemble 20 femmes qui ont témoigné dans l’enquête contre l’ex-présentateur dans le cadre d’une émission spéciale. Elles sont réunies et se rencontrent pour certaines pour la première fois. Une par une, elles livrent leur témoignage.
C'est fin juin que la cour d’appel de Versailles prend alors une décision rare. Le choix des juges en charge de l’instruction judiciaire (initiée par la deuxième plainte de Florence Porcel) d'écarter les faits de 2004 - car prescrits depuis 2014 - est rejeté par la cour d'appel. Cette dernière rappelle que le délai de prescription, la période au-delà de laquelle il n'est plus possible de poursuivre l'auteur d'une infraction, n’est pas inéluctable.
Elle souhaite donc étendre les poursuites à des faits apparaissant prescrits.
Les juges analysent désormais les accusations de viol qui sont reprochés à PPDA dans leur ensemble, pour déterminer leur éventuel caractère sériel, qui permettrait de contourner la prescription.
Patrick Poivre d’Arvor a, lui, toujours nié avoir eu tout rapport sexuel avec Florence Porcel, l’accusant même d'avoir "beaucoup d’imagination" selon le procès-verbal de son audition en mai 2021. Il avait résumé leur rencontre dans son bureau de TF1 par un baiser « sur le front » assurant qu’ « il n'y a pas eu l'ombre d'un quart de rapport sexuel ». Florence Porcel dénonce, elle, un rapport sexuel non consenti, au cours duquel Patrick Poivre d'Arvor aurait déclaré : « maintenant, vous êtes une femme ».
Les enquêteurs de la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP) ont interrogé en juillet 2022 le journaliste, visé par deux enquêtes.
Trois derniers témoignages sont venus s’ajouter à l’affaire début septembre, encore dans le journal Libération. Celui de trois écrivaines dénonçant des viols et s'interrogeant sur la complaisance du monde de l'édition à l'égard de l’ex-journaliste. Parmi elles, Bénédicte Martin dénonce une agression sexuelle en novembre 2003 quand elle avait 24 ans et Anne Cauquil-Gleizes un viol en 1985 quand elle en avait 16. Il s’agit de la troisième plaignante témoignant d’une agression du journaliste alors qu’elle était mineure au moment des faits.
Elles sont aujourd'hui une trentaine à accuser le journaliste et à demander que justice soit faite.