Premières Nations du Canada : après les excuses historiques du pape François

Pour le première fois, le chef de l'Eglise catholique a présenté des excuses pour le drame des pensionnats pour autochtones du Canada. C'est un pas de plus dans le processus de guérison et de réparation pour les communautés des Premières Nations du Canada qui ont été victimes de violences et sévices pendant des décennies dans ces établissements gérés par l'Eglise de Rome. 
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Rome autochtones canada
Des membres l'Assemblée des Premières Nations du Canada, qui regropupe les populations autochtones, font une représentation sur la Place Saint-Pierre à Rome, 31 mars 2022. 
(AP Photo/Alessandra Tarantino)
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C’est le cœur probablement plus léger que les Autochtones, les Métis et les Inuit venus en délégation au Vatican vont remonter dans l’avion pour retourner au Canada : le 1er avril 2022,  le pape François leur a non seulement présenté des excuses historiques pour le rôle de l’Église catholique dans le drame des pensionnats autochtones, mais il leur a aussi promis de venir présenter ces excuses en personne au Canada d’ici la fin de l’année. 

J’éprouve de la douleur et de la honte face au rôle que plusieurs catholiques ont joué dans l'abus et le manque de respect envers l'identité, la culture et même les valeurs spirituelles des peuples autochtones du Canada.

Le pape François

« Je veux vous dire, de tout mon cœur, je suis vraiment peiné. » « Et je me joins à mes frères évêques du Canada pour vous présenter mes excuses » a poursuivi le pape François lors de son audience (en septembre 2021, les évêques catholiques ont présenté leurs excuses aux Premières nations). « J’éprouve de la douleur et de la honte face au rôle que plusieurs catholiques ont joué dans l'abus et le manque de respect envers l'identité, la culture et même les valeurs spirituelles des peuples autochtones du Canada. Tout cela est contraire à l'Évangile de Jésus » a déclaré le Saint-Père. 

Des agressions sexuelles et des sévices en tout genre

Trois délégations, une des Premières Nations, une de Métis et une d’Inuit, ont passé la semaine au Vatican pour y rencontrer le pape François. Des rencontres qui ont parfois duré plusieurs heures, fait plutôt rare car les audiences du Saint-Père sont en général courtes au regard de son agenda chargé. Preuve que le Pape a voulu prendre le temps d’écouter et de recevoir les témoignages de ces autochtones venus raconter l’horreur des pensionnats autochtones. 

Ces pensionnats étaient des institutions d’enseignement mises en place par l’État canadien au cours du vingtième siècle, et gérées par l’Église catholique pour la plupart, dans lesquelles les enfants autochtones ont été placés de force pour y suivre une éducation blanche et les couper de leurs racines et leur culture autochtone. Plus de 150 000 jeunes autochtones ont été envoyés dans ces pensionnats entre 1880 et 1996 et plus de 60% de ces institutions étaient dirigées par l’Église catholique. Nombreux de ces enfants y ont subi des agressions sexuelles et des sévices en tout genre qui ont marqué au fer rouge des générations.

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L’été dernier, la découverte de plusieurs centaines de tombes d’enfants anonymes sur des sites de ces pensionnats a ajouté à l’horreur de ces institutions et au drame de ces autochtones : on estime qu’entre 4000 et 6000 enfants ont disparu. Une entreprise qualifiée de « génocide culturel » en 2015, l’une des pages les plus sombres dans l’Histoire du Canada. 

Le pape s’est justement dit « profondément attristé par les histoires de souffrance, d'épreuves, de discrimination et de diverses formes d'abus que certains d'entre [eux] ont subies, particulièrement dans les pensionnats ». 

Le Saint-Père a aussi demandé aux évêques et aux autorités catholiques du Canada à « prendre des mesures pour la recherche transparente de la vérité et à promouvoir la guérison des blessures et la réconciliation ». 

Un pas dans la bonne direction

C’est avec un grand soulagement que les trois délégations ont accueillies ces excuses papales : « Derrière l'indifférence qui a duré pendant des siècles, les mensonges, l'injustice, le pape François a décidé d'aller au cœur des choses et de dire des mots que les [Autochtones] rêvaient d'entendre depuis des décennies, a déclaré Natan Obed, président de l’Inuit Tapiriit Kanatami. En ce moment, je ne peux m'empêcher de penser que des gens peuvent changer le monde. Les individus peuvent voir qu'il existe une justice et un chemin vers la justice ».

Pour la présidente du Ralliement national des Métis, Cassidy Caron, « les paroles prononcées par le pape aujourd'hui sont assurément historiques. Elles étaient nécessaires et je les apprécie profondément… Les excuses que nous avons reçues aujourd'hui sont historiques et veulent dire beaucoup pour bien des gens. Ça ouvre la porte afin de continuer notre processus de guérison ». 

« C'est un premier pas historique, mais ce n'est qu'un premier pas. Le prochain est qu'il s'excuse à nos familles sur leurs terres » croit pour sa part Gerald Antoine, le chef de la délégation des Premières Nations. 

Il est grand temps que l'Église commence à assumer la responsabilité de son rôle dans le système des pensionnats. Il s'agit d'un chapitre sombre de l'histoire colonialiste du Canada, dont l'Église a été l'un des principaux co-auteursMurray Sinclair, un ancien sénateur anichinabé qui a présidé la Commission de vérité et réconciliation

Autre réaction importante, celle de Phil Fontaine, un leader autochtone qui a vécu l’enfer de ces pensionnats et qui s’est battu pendant des années pour recevoir des excuses de cette nature de la part de l’Église catholique : « Quelle journée ! C’est une grande journée ! Nous voyons le fruit de la détermination de nombreuses personnes qui se sont battues pendant tant d'années. Le message est qu'il ne faut jamais se décourager! ». Cet ancien chef de l’Assemblée des Premières Nations sait de quoi il parle : c’est la troisième fois qu’il vient au Vatican rencontrer le Pape. En 2009, Benoit XVI avait exprimé sa tristesse mais il n’avait pas présenté d’excuses. 

« Une étape importante » pour Justin Trudeau

« C’est un moment important pour les peuples autochtones » a réagi Murray Sinclair, un ancien sénateur anichinabé qui a présidé la Commission de vérité et réconciliation au Canada, une commission qui a enquêté sur le drame des pensionnats autochtones. « Il est grand temps que l'Église commence à assumer la responsabilité de son rôle dans le système des pensionnats. Il s'agit d'un chapitre sombre de l'histoire colonialiste du Canada, dont l'Église a été l'un des principaux co-auteurs » estime l’ex-sénateur. 

« C’est un moment historique dans nos vies » a ajouté la gouverneure générale du Canada Mary Wilson, elle-même d’origine inuite, ajoutant que la venue du pape au Canada sera réellement significative. 

Et le premier ministre canadien parle d’une « étape importante » et il croit que « ces excuses n’auraient pas eu lieu si les survivants n’avaient pas raconté leur vérité directement à l'une des institutions responsables, et s’ils n’avaient pas relaté et vécu à nouveau leurs souvenirs douloureux ». 

Justin Trudeau promet que « le gouvernement va continuer de soutenir les communautés autochtones à travers le pays avec les ressources nécessaires pour poursuivre les recherches des tombes anonymes, dévoiler la vérité, et continuer à guérir ». Il se réjouit également de la venue prochaine du pape pour présenter ces excuses in situ.

Canada : Justin Trudeau sur le site d'un ancien pensionnat autochtone

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Prochaine étape : le pape au Canada

Le pape François a laissé entendre qu’il aimerait venir aux alentours de la Saint-Anne, soit le 26 juillet. C’est une fête importante pour les autochtones canadiens, elle est notamment célébrée au Québec à Saint-Anne-de-Beaupré, près de la capitale, Québec. Les autochtones souhaitent être partie prenante dans l’organisation de ce voyage papal en sol canadien. « Nous voulons être des partenaires actifs dans la planification, mais aussi du choix des sites et lieux que le pape visitera, a précisé Gerald Antoine. Pourquoi ? Parce que c'est notre maison. Si ce n'est pas le cas, ce serait une déception ».

Les autochtones attendent également des gestes concrets de la part de l’Église catholique, notamment ouvrir toutes ses archives pour découvrir enfin toute la vérité sur ces pensionnats autochtones, car il reste encore de nombreuses zones d’ombres dans ces institutions dans lesquelles tant d’enfants ont perdu leur âme, et leur vie aussi pour des milliers d’entre eux…