Présidentielle 2013 : Les Vénézuéliens veulent moins de cirque et plus de pain
Ce dimanche s’affrontent dans les urnes Nicolás Maduro, l’hériter désigné d’Hugo Chávez et Henrique Capriles, le représentant de la droite libérale. Que ce soit l’un ou l’autre, le nouveau président vénézuélien aura un défi de taille à relever : en finir avec la pénurie alimentaire qui sévit depuis plus d’une décennie.
A gauche, brandissant un portrait d'Hugo Chávez, Nicolás Maduro, à droite, Henrique Capriles Radonski
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Les supermarchés de Caracas deviennent souvent un champ de bataille. « Dès qu’on annonce l’arrivée d’un produit, tout le monde se précipite dessus. On s’arrache tout. Comme nos achats sont limités, on appelle la sœur, la nièce, la cousine, pour qu’elles mêmes arrivent au plus vite pour refaire nos stocks. C’est effrayant», raconte Jenny Barazarte, 35 ans, qui vit depuis sept ans entre Caracas et Paris.
Vidéo amateur du pillage d'un supermarché par la foule
« Il y a deux ans, ma mère m’a demandé que je lui offre pour Noël du sucre. Je croyais qu’elle blaguait. J’ai quitté la France pour les vacances de fin d’année avec plein de petits sacs de sucre. Je craignais qu’on me refuse l’entrée des produits à la douane. Maintenant on a pris l’habitude de voyager avec des bouteilles d’huile et autres bizarreries.» Retraitée, la mère de Jenny touche sans faute sa pension et elle vit confortablement, sauf qu’elle ne peut pas dépenser son argent comme elle le voudrait : chez l’épicier.
« Nous-nous sommes cubanisés »
Sachet d'harina pan
Pour Niuvis Ochoa, manger le pain vénézuélien, des arepas (des galettes des maïs) est un luxe. « Ce qui m’indigne le plus c’est le manque de lait pour les enfants. Comment est-ce possible qu’un pays pétrolier soit arrivé à un tel état de précarité ? », s’indigne-t-elle. Indignée Ligenis Parra l’est aussi. A côté de son travail d’ingénieure dans le BTP en France, elle importe des produits latino-américains. Depuis quelques années, elle est contrainte d’acheter la célèbre harina pan, qui sert à la fabrication des arepas, aux Etats-Unis ou en Colombie. Pareil pour les autres produits typiquement vénézuéliens. « Tout est parti d’un bon sentiment, explique-t-elle, Chavez voulait contrôler le prix de du panier de la ménagère pour que tout le monde y ait accès. Mais au fur et à mesure tout s’est dégradé. Nous en sommes arrivés à tout importer. Nous-nous sommes cubanisés. » Des histoires comme celle-là, les Vénézuéliens en ont plein à raconter. En effet, le panier de la ménagère est devenu bien maigre. La cause ? Dans un pays aussi polarisé, il y a une version d’Etat relayée par ses soutiens et la version du secteur privé et celle de nombreux chercheurs partagée par bon nombre d’habitants. Et tout cela sur fond de guerre médiatique.
La menace de la nationalisation
Selon la version officielle, l’industrie privée de l’agro-alimentaire monopolise toute la production dans le but de créer de la spéculation et déstabiliser le pays. C’est le discours que Chavez a tenu pendant quatorze ans. En pleine campagne électorale, Nicolas Maduro le reprend à son compte. Comme son prédécesseur en 2010, il a menacé de nationaliser Polar (celle-ci fabrique de nombreux produits essentiels dont la très recherchée harina pan), coupable, à ses yeux, de la pénurie alimentaire. Cette version est appuyée par le résultat d’inspections menées dans les usines où on trouve souvent les produits manquants. Luis Carrera, originaire de Caracas, privilégie cette thèse : « Les patrons de Polar ou les autres ont déjà reconnu avoir des stocks de tout ce qui manque comme les couches ou le sucre. Pourquoi donc on ne les retrouve pas dans les magasins ? Mais je peux vous assurer que vous allez toujours trouver de la bière dans les rayons !» La société, qui emploie environ 48.000 personnes et produit 10% des aliments, s’est fendue d’un communiqué : « Notre production est à capacité maximale. […] Nous avons produit en moyenne 73,356 tonnes d’aliments, soit une augmentation de 3% par rapport à la même période l’année dernière. Mais il existe des conditions qui mettent en échec la production et distribution des aliments.»
Le lourd poids des importations
L’affaire Polar est un cas d’école. Comme toutes les entreprises toujours privées, celle-ci est accusée par le président par intérim de bloquer la distribution des victuailles. Sauf que le gouvernement contrôle entre 45 et 75% de la production de certaines denrées comme le riz et le café. Et le pétrole est échangé, par exemple, contre de la viande brésilienne, des bananes dominicaines, ou du café colombien alors que le Venezuela est à la base producteur de cette graine. « Lors de la tragédie de Fukushima, il y a eu une hausse importante de la demande de lait en poudre au Japon, la Nouvelle Zélande a dû le fournir. Il n’en restait plus pour le Venezuela », explique Roberto León Parili à la tête de l’ONG Anauco, qui défend les intérêts des consommateurs. Pour lui, l’Etat a cessé d’être superviseur pour en être le seul acteur. « C’est la santé de la population qui est en danger. Les carences alimentaires sont un problème grave. Comme les gens privilégient les carbohidrates en détriments des protéines, le taux d’obésité est en hausse constante», ajoute-t-il. Le pays importe aujourd’hui 70% des aliments qu’il consomme. Et c’est l’Etat qui contrôle ces importations dont dépend la quasi-totalité de la vie économique du pays. A cela s’ajoute la nationalisation, pendant ces douze dernières années, de 2,3 millions de terres agricoles, aujourd’hui mal exploitées.
Un problème de devises
Au cœur du problème : la Commission d’administration de devises (Cadivi), comme l’explique Paula Vazquez docteure en anthropologie politique et sociale membre du Groupe d’études interdisciplinaires sur le Venezuela : C’est auprès de cette instance gouvernementale qu’il faut faire toute demande de dollar en échange de bolívares (la monnaie nationale) en vue d’une quelconque importation. « Les longs délais de traitement des dossiers retardent les importations de matières premières et d’équipement pour l’entretien des machines. Ce qui décourage la production nationale et encourage le marché noir où le dollar peut être quinze fois plus cher. » Pour mettre fin à ce problème, le candidat de la droite libérale, Henrique Capriles promet de mettre fin aux expropriations et encourager le dialogue entre propriétaires terriens et exploitants qui bénéficieront de formations et micro-crédits. Hugo Chavez avait fait les mêmes promesses, sauf celle de l’arrêt de nationalisations. C’est aussi le programme de Nicolas Maduro. «Si rien n’est fait, la solution viendra de la population. Ces dernières années, elle a acquis une maturité politique incroyable, elle veille au respect de ses droits. Les Vénézuéliens sont de venus très exigeants vis-à-vis de la classe politique et ils sauront se faire entendre», estime Roberto León Parili de l’ONG Anauco.
Quels programmes pour les candidats ?
L'élection présidentielle anticipée vénézuélienne de ce dimanche 14 avril 2013 voit deux candidats aux programmes politiques normalement opposés se confronter. Maduro, le bolivarien révolutionnaire, syndicaliste et ancien ministre des affaires étrangères de Chavez, et Capriles, l'avocat néolibéral, chef du parti humaniste de centre droit Primero justicia et candidat de la coalition de droite "la Table de l'unité démocratique". Revue des promesses et orientations des deux candidats. Par Pascal Hérard
Henrique Capriles Radonski
Henrique Capriles Radonski, candidat battu par Hugo Chávez en octobre dernier, a depuis changé son fusil d'épaule : son nouveau programme est bien moins chargé de néolibéralisme que l'ancien. Mais le flou des actions du candidat de la coalition de droite, le MUD (Mesa de la Unidad Democrática, Table de l'union démocratique) est présent à de nombreux niveaux, particulièrement sur les sujets touchant à l'économie. Les promesses d'Henrique Capriles Radonski sont aujourd'hui par de nombreux aspects, une sorte de continuation des acquis de la révolution bolivarienne, axées pour beaucoup autour du bien-être collectif. Tout en critiquant la gestion socialiste du gouvernement d'Hugo Chávez, Capriles promet pourtant d'améliorer les résultats produits par ce même gouvernement. Un paradoxe que de nombreux observateurs analysent par un calcul électoral qui pourrait mener Capriles à appliquer en réalité un programme bien plus libéral que celui qu'il propose aujourd'hui, s'il était élu. Quelques points ressortent néanmoins : sur le rôle de l'Etat et du secteur public, l'opposant au président par intérim Nicolás Maduro, compte redonner l'autonomie perdue avec Chávez à la compagnie pétrolière Petroleos de Venezuela (PDVSA) et pratiquer une politique de décentralisation : un programme de privatisation des services publics d'Henrique Capriles est-il prévu ? Sur le secteur privé, le candidat de l'opposition veut lui "redonner confiance", et promet de "nombreuses déductions fiscales", sans préciser dans le détail ce qu'il engagerait ni comment. Les propositions d'Enrique Capriles (voir ce document de campagne officiel) sont d'un ordre très général : Le plein emploi pour tous - trois points pour un futur meilleur : travailler en équipe avec le secteur public et l'effort privé pour créer 3 millions d'emplois en 6 ans - programme de premier emploi - valoriser l'expérience, etc…. Ces déclaration d'intention du programme Capriles, sans explications sur les moyens utilisés ou leur mise en œuvre précise, ne permettent pas de comprendre de quelle manière le candidat de la coalition de droite entend gérer le pays s'il est élu. Capriles ne veut plus faire disparaître les missions sociales comme il le préconisait en 2012, mais désormais promet de les améliorer. Henrique Capriles Rodonski, crédité de beaucoup de retard dans les sondages, a du mal à définir son orientation politique. Se revendiquant comme proche de la politique d'un Lula au Brésil (qui a pourtant toujours soutenu Chávez), de type centre gauche, le candidat de la coalition de la droite néolibérale n'est pas très saisissable. Au point d'avoir nommé son organe de campagne "commando Bolivar"…
Nicolás Maduro
Nicolás Maduro ne semble pas désireux d'apporter de nouvelles formes à la politique mise en place par son défunt prédécesseur : la révolution bolivarienne doit se continuer, dans la ligne qu'Hugo Chávez avait tracée. Maduro a tout de même lancé quelques priorités, plus qu'un programme novateur qu'il n'a pas, puisqu'il compte continuer la révolution bolivarienne entamée par Hugo Chávez (voir cet article : qu'est-ce que la démocratie vénézuélienne ?) : le candidat bolivarien insiste donc sur la démocratie participative. Selon Nicolás Maduro, les conseils communaux doivent se développer pour parvenir à un Etat communal dont le cœur seraient les assemblées populaires. Cette démocratie participative très poussée semble la pierre angulaire du programme de Nicolás Maduro qui entend poursuivre la marche vers le socialisme du XXIème siècle, avec les missions sociales, les prix alimentaires garantis par l'Etat, etc…. Une problématique ressort dans les discours de Maduro, problématique portée depuis longtemps par l'opposition incarnée par Henrique Capriles Rodonski : la lutte contre l'insécurité. L'insécurité a toujours été très importante au Venezuela mais s'est amplifiée ces dernières années: Caracas est classée aujourd'hui par plusieurs ONG comme la troisième ville la plus dangereuse du monde.