Présidentielle 2022 : dans les coulisses du débat de l'entre-deux-tours

Plans de coupe, ordre des thématiques, distance entre les candidats : tout est calibré au détail près pour assurer l’équité et la bonne tenue du débat de l’entre-deux-tours de la présidentielle française. Il aura lieu ce mercredi 20 avril. Comment les chaînes télévisées et les équipes des candidats se préparent-elles au grand débat ? 

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débat présidentielle 2017
Marine Le Pen (à gauche) va affronter Emmanuel Macron (à droite) pour la deuxième fois à l'occasion du débat présidentiel du second-tour, ce mercredi 20 avril. 
Eric Feferberg/ AP
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Avril 2017. Sous l'œil des caméras, le regard perdu dans ses fiches, Marine Le Pen apparaît fatiguée et mal préparée au débat de l'entre-deux-tours, après avoir multiplié les déplacements. 

En 2022, cinq ans plus tard, le même duel l’attend face à Emmanuel Macron, à l'occasion du second tour de l'élection présidentielle 2022. Cette fois-ci, aucun événement ne figure à son agenda, à la veille du grand débat. Elle prépare chez elle, dans son bureau, ce passage obligé de la présidentielle instauré en 1974. L’objectif : ne pas subir la même humiliation face à Emmanuel Macron en 2022.

Suivre : DIRECT - Présidentielle 2022 : la campagne pour le second tour

Le président candidat ne prend pas pour autant cette épreuve à la légère. Il "se prépare sérieusement parce que c'est un débat important",  affirme sur CNews Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement et soutien d'Emmanuel Macron. C’est le moment où il pourra "rentrer dans le détail des propositions", a-t-il précisé. Les candidats ne sont pas seuls à se préparer sérieusement à l'exercice. Pour les journalistes, les rédacteurs en chefs et les réalisateurs, le défi est de taille. 

Choisir des acteurs impartiaux pour organiser le débat

Les chaînes TF1 et France 2 sont à la manœuvre cette année. Mais elle sont loin d'être seules à intervenir dans le processus de décision. 

L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), le nouveau régulateur de l'audiovisuel français, propose un réalisateur en accord avec les chaînes. Cette année, c'est Didier Froehly qui a été choisi.  Il est surtout connu pour avoir réalisé des émissions de divertissement sur TF1. Il s'est aussi illustré lors des débats des primaires de droite et de gauche en 2017. Pas question pour Marine Le Pen d'avoir de nouveau recours aux services de Tristan Carné, aux manettes de son débat raté de 2017.

Chaque candidat a un réalisateur-conseiller qui est lui-même en lien avec le réalisateur du débat.

Franck Louvrier, maire de La Baule, membre du parti Les Républicains et ancien conseiller en communication de Nicolas Sarkozy

Ensuite, chaque candidat a un réalisateur-conseiller qui est lui-même en lien avec le réalisateur du débat” explique Franck Louvrier, maire de La Baule, membre du parti Les Républicains et ancien conseiller en communication de Nicolas Sarkozy. Pour Marine Le Pen, il s'agit de l'ancien journaliste de LCI, Philippe Ballard, désormais membre du Rassemblement national. Emmanuel Macron a choisi le réalisateur Jérôme Revon à la réalisation des meetings de l'Aréna et de Marseille.

(Re)voir : Présidentielle 2022 : dernière ligne droite pour Emmanuel Macron et Marine Le Pen

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Les trois réalisateurs travaillent en étroite collaboration dès la préparation du débat. “Le réalisateur du programme doit respecter une charte validée par les réalisateurs-conseillers des deux candidats et coordonnée par l’ARCOM”, détaille Vincent Vedel, réalisateur d’émissions de télévision pour France 2, France 3 et TV5MONDE. Une fois cette charte validée entre réalisateurs, les journalistes doivent se mettre d'accord sur le fond.

Équilibrer le choix des thématiques en amont du débat

Les thématiques abordées sont avant tout sélectionnées par les présentateurs. Gilles Bouleau, présentateur du journal de 20 heures de TF1, et Léa Salamé, journaliste à France 2 qui a notamment animé l'émission "Elysée 2022", seront les arbitres de ce débat.

Les présentateurs vont choisir le menu et articuler toutes les thématiques. C'est plus sur l'ordre dans lequel elles sont abordées que les conseillers des candidats interviennent.

Alix Bouilhaguet, éditorialiste politique sur France info et ancienne rédactrice en chef d’émissions politique sur France 2

Les deux présentateurs vont choisir le menu et articuler toutes les thématiques”, explique Alix Bouilhaguet, éditorialiste politique sur France info et ancienne rédactrice en chef d’émissions politiques sur France 2. “C’est plus sur l’ordre des thématiques que les discussions vont se jouer", détaille-t-elle. “Macron sera plus intéressé par des questions écologiques ou européennes. Le Pen par des questions d'immigration ou de pouvoir d'achat, par exemple", ajoute-t-elle.

Les deux candidats sont donc en connaissance des  grands thèmes auxquels ils seront confrontés pendant le débat. Mais ils ne connaissent pas les questions qui leur seront posées. Ils ne participent pas non plus à une répétition sur le plateau. Ce sont leurs réalisateurs-conseillers qui se rendent directement sur place le matin ou en début d'après-midi pour vérifier les derniers ajustements. “Des doublures des candidats permettent de valider les plans et de verrouiller chaque cadre pour chaque caméra, à l’occasion d’une répétition”, explique le réalisateur Vincent Vedel. Chaque détail compte.

Si les candidats sont trop près l’un de l’autre, c'est comme dans un match de boxe, la pression se fait plus ressentir.

Vincent Vedel, réalisateur d’émissions de télévision pour France 2, France 3 et TV5MONDE

Concevoir un plateau sur-mesure pour mettre à l’aise les candidats

Cette année, les candidats seront placés à 2 m 50 l’un de l’autre, chacun sur une table différente. “La distance leur permet de bénéficier d’un certain confort. S’ils sont trop près l’un de l’autre, c'est comme dans un match de boxe, la pression se fait plus ressentir”, explique Vincent Vedel. Mais cette fois il n'y aura pas de table entre les deux. Et les positions seront inversées : Emmanuel Macron sera sur la gauche de l'écran et Marine Le Pen à droite. 


Pas moins de 23 caméras sont prévues pour capter l'intégralité du débat, dont une grue télescopique de 12 m et un travelling. Rien n'a été laissé au hasard, jusqu'au niveau de la climatisation qui sera réglée sur 19 °C. ​ Il n'y aura pas de public et le décor sera constitué en fond d'un grand écran de 30,50 m de largeur et 3,70 m de hauteur.

Les journalistes sont à quant à eux quatre mètres des candidats. “C’est très loin. Il va y avoir un travail au niveau du son pour s'assurer que Macron ou Le Pen ne fassent pas répéter les journalistes. Cela pourrait être considéré comme un aveu de faiblesse par les téléspectateurs”, détaille le réalisateur. Sur le fond, les journalistes se placent en retrait du débat. 

Ne pas montrer un aveu de faiblesse des candidats pendant le débat

Contrairement à une émission politique classique, le but des présentateurs n’est pas de rentrer frontalement en contradiction avec les candidats. “Ils sont des passeurs de plats. Ils ont pour rôle de redistribuer le temps de parole”, détaille Alix Bouilhaguet. De ce fait, “ils n’ont pas à intervenir sur le fond, même si les candidats avancent de fausses informations. Les interrompre risquerait de les affaiblir”, détaille-t-elle.

La télévision s'écoute avec les yeux et c'est vrai que l'attitude compte parfois autant que le fond.

Franck Louvrier, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy

En coulisses, les réalisateurs-conseillers ont le droit d'être en car régie pendant l'émission, assure l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, Franck Louvrier. "Ce sont eux qui vont vérifier que la charte est bien appliquée pendant l’émission en ayant un contrôle sur le choix des plans de coupe, du temps imparti, des caméras, du dispositif mis en place." détaille-t-il. Et pour cause, la forme est aussi importante que le fond pour l'ancien conseiller. "La télévision s'écoute avec les yeux et c'est vrai que l'attitude compte parfois autant que le fond", ajoute-t-il.

Les moyens mobilisés sont donc nombreux. Mais l’importance du débat dans le résultat final laisse à désirer, selon Franck Louvrier. “Les convaincus restent convaincus et les opposants restent opposants. Peut-être que cette fois-ci, le débat jouera plus dans le résultat final, étant donné le nombre de votants souhaitant s'abstenir”, nuance-t-il. Réponse ce mercredi à 20 heures.