Fil d'Ariane
Jamais ces deux partis n’avaient réalisé de scores aussi faibles. Dimanche 10 avril, Valérie Pécresse, candidate du parti Les Républicains (LR) récolte 4,8% des suffrages exprimés. La candidate du Parti Socialiste (PS) Anne Hidalgo, quant à elle, plafonne à 1,7%. « Je constate que les deux grandes formations du front républicain se sont effondrées, ce n’est pas ma responsabilité, c’est le choix des électeurs », déclare Emmanuel Macron, président français qualifié pour le second tour, lors déplacement à Denain dans le Nord ce 11 avril.
Pour le politologue et intellectuel engagé à gauche Thomas Guénolé, un tel scénario était impensable il y a dix ans. « Et pourtant, ça s’est produit », reconnaît-il. « Les deux principaux partis de la vie politique française depuis environs 50 ans sont simultanément à terre. » Comment expliquer cette déroute électorale ?
« Manifestement, il y a eu hier un triomphe absolu du phénomène de vote utile », poursuit le politologue Thomas Guénolé. Ce phénomène se traduit en trois dynamiques différentes : le vote utile libéral, incarné par Emmanuel Macron, celui d’extrême-droite avec Marine Le Pen et celui de gauche, avec Jean-Luc Mélenchon.
Ce phénomène est aussi constaté par Gérard Grunberg, directeur de recherche émérite au CNRS. « Les sondages ont eu un rôle extrêmement important, parce que les Français les ont suivis, analyse-t-il à l'antenne de TV5MONDE. Jour après jour, ils ont vu ce qui était en train de se passer et ils ont choisi le candidat non pas forcément le plus proche d’eux mais celui qui pouvait le mieux, du point de vue de leurs idées, avoir un meilleur score. »
Dans le premier cas de figure, « après un moment d’érosion, Emmanuel Macron a fini par remonter dans les sondages, constate Thomas Guénolé. Pendant ce temps-là, le vote pour Valérie Pécresse s’est vraiment écrasé. »
La même chose est valable pour les deux autres cas : les intentions de votes pour Eric Zemmour ont diminué alors que celles pour Marine Le Pen montaient, et celles pour les différents candidats de gauche « ont stagné ou baissé au profit de Jean-Luc Mélenchon. »
Selon Gérard Grunberg, « on a une tripartition du paysage politique avec une extrême gauche, une extrême droite et un centre ».
Thomas Guénolé n’est pas du même avis. Selon lui, le résultat de ce scrutin ne signifie pas que les trois candidats bénéficient de nouveaux soutiens. Au contraire les gens qui voté pour Jean-Luc Mélenchon « ne voteront pas pour lui au lendemain du premier tour ». Les électeurs ont préféré voter pour un candidat, à contrecœur, car ce candidat était mieux placé dans les sondages.
« On est passé d’un système avec deux grands partis de gouvernements de centre gauche et de centre droit qui alternaient au pouvoir à un nouveau système où ces deux grands partis ont disparu, pris en étau chacun par le centre macronien, l’extrême gauche ou l’extrême droite », résume le directeur de recherche émérite Gérard Grunberg.
En France, les grands partis politiques sont comme les étoiles : après avoir été très grands, ils deviennent des partis nains.Thomas Guénolé, politologue français
Historiquement, d’autres partis politiques ont vécu cette situation. Par exemple, en 1969, Jacques Duclos, candidat pour le Parti Communiste Français (PCF) a récolté 21,27% des suffrages exprimés lors de l’élection présidentielle. Cette année, son candidat Fabien Roussel a récolté 2,31% des suffrages exprimés. Entre temps, le parti n’a pas présenté de candidat à plusieurs scrutins. « En France, les grands partis politiques sont comme les étoiles : après avoir été très grands, ils deviennent des partis nains», résume Thomas Guénolé. « Aujourd’hui, c’est pareil pour le PS », poursuit-il. « Au fond, 2022 a terminé pour la droite ce qu’il s’était passé pour la gauche en 2017 », note Gérard Grunberg.
Beaucoup de gens ont regardé les sondages et se sont dit "mes convictions sont essentiellement le libéralisme sur l’économie donc je vais voter Macron, car je ne veux ni Le Pen ni Mélenchon."
Gérard Grunberg, directeur de recherche émérite au CNRS
Thomas Guénolé estime qu’en plus d’avoir été mis à mal par le phénomène de vote utile, « LR n’a pas produit de candidature viable ».
Les deux éléments sont liés : puisque la candidature de Valérie Pécresse n’était pas jugée viable, les intentions de votes pour elle ont chuté. Ensuite, « beaucoup de gens ont regardé les sondages et se sont dit "mes convictions sont essentiellement le libéralisme sur l’économie donc je vais voter Macron, car je ne veux ni Le Pen, ni Mélenchon" », résume Gérard Grunberg.
(Re)lire : Le gaullisme, c'est quoi ?
Par ailleurs, les résultats de l’élection ont mis « beaucoup de partis politiques en détresse financière », note Thomas Guénolé.
Le PS et LR font partie du lot. « Ça les met dans une situation où d’un point de vue matériel, ils deviennent du jour au lendemain des petits partis », poursuit-il. Avec un score de 4,8%, LR ne peut pas bénéficier d’un remboursement total de la campagne électorale de Valérie Pécresse. Face à cette situation, cette dernière lance un appel à l’aide. « Ces sept millions de remboursements manquent pour boucler le budget de la campagne, déplore Valérie Pécresse. Les Républicains ne peuvent pas faire face à ces dépenses. »
Pour Gérard Grunberg, cela montre que la chute du parti de droite est « plus brutale que ce que l’on pouvait penser. »