Fil d'Ariane
Tiroumal Samourgompoullé est hindou, Français, bientôt en possession d’une carte de citoyenneté indienne. Ce quadragénaire, descendant d’engagés indiens venus travailler dans les champs de canne à sucre après l’abolition de l’esclavage, se dit avant tout Réunionnais.
Plus qu’une identité, il a une fierté : celle d’appartenir à un territoire où le vivre-ensemble est une évidence, malgré la violence du passé. Pour ce comptable de profession, prêtre hindou par passion, son île doit être une source d’inspiration pour les programmes des candidats à la présidentielle.
« J’ai une identité réunionnaise qui se caractérise tout d’abord par ma nationalité française, conjuguée à une descendance d’origine indienne. Donc je ne peux pas dire que je suis Indien plus que Français, je suis Réunionnais et cela porte très bien son nom. Je suis marié, père d’un enfant et je suis le fils de Monsieur Samourgompoullé Eusèbe, ancien officiant, qui est aujourd’hui décédé, à l’île de la Réunion ».
Dans son habit d’officiant hindou, le descendant de la 5ème génération est ému. Dans quelques instants, le temple qu’il fréquente depuis son enfance va rendre hommage aux ancêtres qui ont oeuvré pour perpétuer la tradition du culte tamoul dans ce lieu. Son père en fait partie.
« Nous sommes ici au temple Draupadi Ammen de Gillot. C’est un lieu chargé d’Histoire, c’est un lieu de mémoire pour moi. Quand je viens ici c’est surtout pour me recueillir, pour rendre hommage aux ancêtres. On va leur demander, à ces ancêtres qui ont contribué à la vie du temple, à faire vivre ce temple de décennies en décennies depuis la construction, on va leur demander leur protection ».
Le candidat qui vient à la Réunion, même s’il est nationaliste, ou qu’il a des idées proches de l’extrême droite, si il a au moins été en contact avec la population, je pense que son programme pourra facilement être revu et adapté au contexte local
Tiroumal Samourgompoullé
Des vannes [sorte de plateaux servant à trier le riz et autres denrées, NDLR] tressées en bambou garnis d’une feuille de bananier servent à accueillir les offrandes. Le contenu est personnalisé et doit correspondre aux goûts des ancêtres honorés : du cabri massalé, une spécialité de la communauté que l’ensemble de la société réunionnaise s’est désormais appropriée, du riz, des fruits … Une dizaine de fidèles s’affairent pour que cette première cérémonie de l’année promette la réussite à la vie du temple en 2022.
Ici, on ne mélange pas religion et politique, mais pour cette année d’élection présidentielle, la demande de protection adressée aux ancêtres appelle forcément la lumière et la paix.
« Si on n'a pas été immergé dans la société réunionnaise, il est difficile de comprendre notre société, de comprendre notre cohabitation. Le candidat qui vient à la Réunion, même s’il est nationaliste, ou qu’il a des idées proches de l’extrême droite, si il a au moins été en contact avec la population, je pense que son programme pourra facilement être revu et adapté », affirme Tiroumal entre deux prières.
« La laïcité dans notre société est très importante pour maintenir la paix sociale entre les communautés. Dans la laïcité, il n’y a pas une communauté mise en avant plus que l’autre, et ce qui fait que aujourd’hui nous sommes fiers d’être dans une République française où la laÏcité est respectée », poursuit l’officiant hindou.
On peut très bien être dans la cour du temple hindou, et entendre les prières de la mosquée, ou être à l’église où les cloches sonnent et entendre les tambours sacrés qui résonnent dans la cour du templeTiroumal Samourgompoullé
A la Réunion, les lieux de cultes sont particulièrement ouverts. Et les rituels des uns sont la plupart du temps connus par les autres. Le métissage et le dialogue y sont pour beaucoup. « Ce dialogue inter-religieux maintient cette cohabitation, cette entente entre les différentes communautés. On peut très bien être dans la cour du temple hindou, et entendre les prières de la mosquée, ou être à l’église où les cloches sonnent et entendre les tambours sacrés qui résonnent dans la cour du temple. Quand il y a une fête religieuse, les tambours animent cette fête. Tout ceci fait partie de notre quotidien, cette fierté de ce vivre-ensemble fait notre richesse à l’île de la Réunion. Si on regarde le contexte international, les guerres entre pays voisins sont très souvent basés sur des guerres de religion, d’idéologie. A l’île de la Réunion, on pourrait dire que le Réunionnais est fier parce qu’il ne connaît pas cette guerre ».
Tiroumal Samourgompoullé s’est déjà rendu une quinzaine de fois sur la terre de ses ancêtres : le Tamil Nadu, au Sud de l’Inde. « J’avais commencé mes recherches, pour pouvoir obtenir une carte qui s’appelle « l’Oversea citizenship of India ». C’est une carte de citoyenneté indienne pour l’Outre-mer. Alors cette carte de citoyenneté est importante pour moi puisque ça nous ouvre des facilités d’échanges avec notre pays d’origine. Tout d’abord il y a la raison cultuelle, puisque je pratique des pèlerinages dans le Sud de l’Inde tout comme dans le Nord pour découvrir les pratiques des Indiens sur l’hindouisme, il y a aussi l’aspect culturel, je suis passionné de musique indienne ».
Avec un contexte de guerre, comment refuser un réfugié qui fuit son pays où il y a des bombardements ? Humainement, c’est difficileTiroumal Samourgompoullé
Cette richesse identitaire, culturelle et cultuelle déterminent ses choix au quotidien, et en avril prochain, sa voix sera guidée par ce vivre-ensemble. Plus qu’une réussite, une valeur qui fait la spécificité de son île natale. « Aujourd’hui nous sommes dans un dilemme où la France connaît quand même un contexte économique assez difficile, des migrants qui arrivent de partout, mais nous sommes dans une mondialisation des échanges, on parle même de globalisation. Avec un contexte de guerre, comment refuser un réfugié qui fuit son pays où il y a des bombardements ? Humainement, c’est difficile ».