Fil d'Ariane
Le niveau de l'abstention, un déterminant majeur de la présidentielle française, demeure plus que jamais la grande inconnue de ce scrutin. Selon les spécialistes, tout se décidera dans la toute dernière ligne droite.
"Tout va se jouer dans les huit derniers jours", résume le sondeur (Ipsos) Brice Teinturier. La candidate d'extrême droite Marine Le Pen est désormais au coude à coude avec Emmanuel Macron, longtemps grand favori du scrutin. Laminée dans un débat d'entre deux tours en 2017 par Emmanuel Macron, la candidate d'extrême droite avait tout de même recueilli il y a cinq ans près de 34%des votes.
Beaucoup de politologues craignent que le record d'abstention du 21 avril 2002 (28,4%), le plus haut niveau jamais enregistré pour un 1er tour d'une élection présidentielle, puisse être battu. Nombre d'électeurs, persuadés de la présence du Premier ministre socialiste Lionel Jospin au second tour,avaient alors voté pour d'autres candidats, permettant Jean-Marie Le Pen, père de Marine, de le dépasser.
Des manifestations massives contre la présence de l'extrême droite au second tour, une première en France, avaient conduit à un renforcement de la mobilisation électorale. Le président conservateur sortant Jacques Chirac avait finalement été élu avec 82,2%des suffrages, droite et gauche appelant à voter pour lui.
Mais trois présidentielles plus tard, l'union sacrée anti-Front national, devenu Rassemblement national,implose. La figure de Marine Le Pen est bien plus consensuelle que celle de son père.
De quoi booster encore son moral alors que sa victoire le 24 avril prochain apparaît de moins en moins improbable. Selon un sondage publié mercredi, Marine Le Pen, qui a mené une campagne de terrain centrée sur le pouvoir d'achat, la préoccupation numéro 1 des Français, recueillerait 47,5% des voix contre 52,5% au président sortant au second tour de l'élection.
Un score lui permettant en théorie- et pour la première fois dans cette campagne- de l'emporter, si l'on tient compte de la marge d'erreur. "Je n'ai jamais été aussi près de la victoire", lançait la semaine dernière la candidate.
À condition de rassembler ses troupes. Car du fait d'une"abstention différentielle", les électeurs des différents candidats n'ont"pas le même comportement électoral",expliquait récemment le politologue Gaspard Estrada à l'AFP. "Les personnes les plus diplômées, les plus aisées et les plus âgées", dont beaucoup soutiennent Emmanuel Macron, se rendent ainsi plus dans l'isoloir que les électeurs de Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon, le candidat de gauche radicale,actuellement 3ème des sondages, qui"ont davantage tendance à ne pas aller voter le jour de l'élection",ajoutait-il.
Autre facteur compliquant la lecture de l'élection, l'indécision et la volatilité croissante d'électeurs qui font leur choix de plus en plus tardivement.
"Quand j'étais jeune, on apprenait que dans une élection présidentielle, la cristallisation se faisait en janvier ou en février. Maintenant, la cristallisation se fait le jour du vote", relève le directeur général de la Fondation Jean Jaurès, Gilles Finchelstein. Anne Muxel, directrice recherche Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), pointe le côté"intermittent"des Français face à l'urne. "Les électeurs de temps en temps vont voter, de temps en temps non. C'est l'importance des enjeux qui va les mobiliser",explique-telle.
Dans cette optique, les sondeurs mettent en garde contre certaines interprétations de leurs enquêtes laissant penser que l'élection est déjà jouée.Ce qui pourrait pousser les gens à bouder le scrutin. "Depuis des mois, Emmanuel Macron n'a semblé en difficulté dans aucune intention de vote. En revanche, si l'écart entre Macron et Le Pen venait à se réduire - par exemple 52% à 48% - l'élection deviendrait plus motivante et mobiliserait sûrement davantage",estime le politologue Bruno Cautrès dans le quotidien Libération.
Dans le cas contraire, Marine Le Pen a beaucoup à perdre. Aux dernières régionales de 2021, les sondeurs avaient mis son parti en position de l'emporter dans six des treize régions françaises. Mais l'abstention avait été stratosphérique- deux tiers des électeurs -. Le Rassemblement national n'avait au final rien gagné.