Fil d'Ariane
Un rapport du Sénat pointe du doigt le recours excessif du gouvernement Macron au cabinet de conseil McKinsey. Des commandes trop fréquentes, trop chères, et qui trop souvent, ne débouchent sur rien. À une semaine du premier tour, cette polémique tombe mal pour le président-candidat. Retour sur l’affaire McKinsey et ses conséquences sur la campagne d’Emmanuel Macron.
Avec ses 361 pages, le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur l'influence des cabinets de conseil a fait l’effet d’un pavé dans la mare de la campagne présidentielle. Le Sénat parle d’un phénomène “tentaculaire”, et dénonce une augmentation constante du recours à des cabinets privés au cours du mandat d’Emmanuel Macron. Depuis 2018, les dépenses de conseil de l’État français ont plus que doublé, pour dépasser le milliard d’euros en 2021.
En tête de la liste des prestataires, le cabinet de conseil américain McKinsey. Surnommé “La Firme”, McKinsey a été sollicité pour la réforme des Aides Personnalisées au Logement (APL), la gestion de la pandémie de Covid-19, notamment l’organisation de la campagne vaccinale ou encore pour préparer la réforme des retraites.
Des missions qui ont un coût (3,88 millions d’euros pour les APL, 12,33 millions pour la crise sanitaire), mais pas toujours de résultats concrets. Missionné pour intervenir auprès de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) dans le cadre de la réforme des retraites en 2019 et 2020, McKinsey facture sa prestation 957 674,20 euros. Mais la réforme est finalement reportée. De cette mission, il ne reste qu’une “présentation Powerpoint et un petit carnet de 50 pages”, selon Eliane Assassi, la rapporteure de la commission.
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Cerise sur le gâteau : McKinsey, qui déclare un chiffre d'affaires de 329 millions d’euros en France pour l’année 2020, n’aurait pas payé l'impôt sur les sociétés depuis 10 ans. Soupçonné d’optimisation fiscale, le cabinet fait actuellement l’objet d’un contrôle fiscal, ordonné “avant le rapport” assure le ministre de l’Économie Bruno Lemaire. Mais selon la commission d’enquête du Sénat, les vérifications de Bercy n’auraient commencé qu’en décembre, après le début de ses travaux.
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Avec le milliard d'euro donné aux cabinets de conseil comme #McKinsey, on aurait pu financer :
— Maxime Combes #AlloBercy (@MaximCombes) March 29, 2022
la construction de 2 CHU
25 lycées de 1000 places
une prime de 600 € pour chaque étudiant boursier
19 000 employés au salaire moyen
50 000 employés au SMIC#Mckinsaygate
Malgré les milliards déversés sur #McKinsey et autres cabinets de conseil, personne n'a été assez futé pour dire à M Macron que forcer les gens à aller travailler est interdit par les conventions de l'#OIT... depuis 1937 !#MelenchonMarseille pic.twitter.com/EBZAePkIfu
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) March 27, 2022
Mais le camp Macron ne se laisse pas démonter. La réponse est offensive : invité de l’émission “Dimanche en politique” sur France 3, le 27 mars dernier, le président a démenti l’existence de “combines”. "S'il y a des preuves de manipulation, que ça aille au pénal", a lancé le chef de l’État, assurant que la transparence était complète et qu’aucun contrat n’était passé dans la République “sans qu’il respecte la règle des marchés publics”.
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Perçue comme bravache par l’opposition, cette réponse du président s’inscrit dans une démarche de minimisation pour Pierre Bréchon. “La stratégie du gouvernement aujourd’hui c’est ‘circulez y’a rien à voir’”, explique le politologue, professeur à l’Institut d’Études Politiques de Grenoble.
Emmanuel Macron “a banalisé le phénomène. C’est une stratégie assez raisonnable, parce qu’on ne peut pas ne pas répondre : le président et tous ses soutiens sont bien obligés de répondre, ils sont attaqués. Mais face à l’attaque, la réponse est de dire qu’il n’y a eu aucune illégalité, que c’est un non sujet.”
Un “non-sujet” qui ne semble pas inquiéter le camp Macron. Le président-candidat caracole en tête des sondages, avec 28.5% des intentions de vote. “Même s’il y a un mécontentement”, l’affaire McKinsey ne suffira pas à ébranler l’avance d’Emmanuel Macron aux yeux de Pierre Bréchon.
“C’est une affaire qui, au fond, n’est pas si embêtante pour le président”, tempère-t-il. “Ça déplace quelques voix, mais ça renforce surtout les opinions de ceux qui sont déjà convaincus.” Et un éventuel volet judiciaire -des plaintes ont été déposées contre McKinsey et deux autres cabinets- reste trop lointain pour menacer la réélection.
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Car à 8 jours du premier tour, l’avance d’Emmanuel Macron reste confortable, même si l’écart se resserre avec Marine Le Pen. “Souvent les candidats en 2, 3 ou quatrième position se redressent un peu dans les dernières semaines”, explique Pierre Bréchon. “Je pense que son problème n’est pas celui-là. Jusque-là, Emmanuel Macron avait surtout peur de Valérie Pécresse, mais maintenant, il est sur la logique 'il faut préparer le second tour'.
Avec Emmanuel Macron, #McKinsey, qui vous a coûté l’an dernier 1 milliard d’euros pour des missions bien floues, continuera à se gaver d’argent public, à ne pas payer d’impôts et à se permettre de mentir devant le Sénat ! #MarinePrésidente pic.twitter.com/w7NsteDslA
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) March 25, 2022
Face à la remontée de Marine Le Pen et alors "qu’elle apparaît comme ayant le plus de chances d’être au second tour, la stratégie va être de cartonner et de s’en prendre à son programme.”
L’objectif est clair : rappeler que dans le contexte de la crise ukrainienne, “Madame Le Pen a un programme dangereux”, et que “celui qui est le plus rassurant, qui a une position forte à l’internationale, c’est le président”, résume Pierre Bréchon. McKinsey est donc loin d’être au cœur des préoccupations présidentielles.
“Actuellement les gens savent plus pour qui ils vont voter au second tour qu’au premier”, rappelle le professeur de sciences politiques : le scandale McKinsey a beau faire l’actualité, il ne devrait pas pour autant renverser le candidat Macron.
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À l’heure de la guerre en Ukraine, le contexte international prend beaucoup de place dans l'élection présidentielle - bien plus que McKinsey. Et ce contexte international pourrait même porter Emmanuel Macron jusqu’aux législatives de juin. “Ce que je sais de fondamental, c’est que les législatives fonctionnent depuis 2002 comme des élections de confirmation”, martèle Pierre Bréchon. “Un candidat élu -et 2017 l’a encore montré- a de fortes chances d’avoir une majorité parlementaire, parce qu’il est important de lui laisser sa chance de gouverner”.
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Face à des candidats de gauche (PS, LFI) mal implantés sur le territoire et des députés Républicains qui devraient se répartir entre “les droites dures qui vont se maintenir en opposition, et les gens qui vont basculer vers Macron”, le politologue semble dubitatif : “qui va menacer les candidats LREM ?” Apparemment, pas McKinsey.