Fil d'Ariane
L’Outre-mer a placé largement en tête du scrutin présidentiel la candidate d’extrême-droite Marine Le Pen avec 58,3% des voix. Jean-Luc Mélenchon, candidat de gauche, avait pourtant été plébiscité par une majorité des territoires ultramarins au premier tour. Comment expliquer ce revirement ?
Le premier gagnant des élections en Outre-mer est avant tout l’abstention. Évaluée à plus de 50% sur une majorité de territoires ultramarins, elle a presque doublé entre les deux tours (26,31% au premier tour sur l’ensemble de l’Outre-mer).
Pour rappel, l’ensemble des collectivités d’outre-mer représentent 2,6 millionss d’habitants, une population plus importante que celle que compte Paris, à titre de comparaison. Les votes exprimés hier, dimanche 24 avril, ont donc placé Marine Le Pen en tête du scrutin pour huit des onze territoires, avec 58,3% des voix au total.
Le plus gros score revient à la Guadeloupe avec 69,6% et 30,4% pour Emmanuel Macron. L’archipel avait pourtant voté à 56,1% pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour. L’abstention s’est élevée à 52,8% au second tour.
La Martinique enregistre le deuxième plus gros score pour la candidate d’extrême droite avec 60,9% des votes exprimés contre 39,1% pour Emmanuel Macron. L’abstention y a été plus forte qu’en Guadeloupe avec 55%.
Mais celle-ci a même été dépassé en Guyane, avec 61%, alors que Marine Le Pen est arrivé première à 60,7% et Emmanuel Macron 39,4%. La frontière est plus fine à Saint-Pierre-et-Miquelon avec 50,7% pour Marine Le Pen et 49,3% pour Emmanuel Macron. Le point commun entre ces quatre territoires est d’avoir placé Jean-Luc Mélenchon aisément en tête au premier tour et s’être tournée vers Marine Le Pen au second.
Un choix qui caractérise avant tout un vote barrage au président sortant, analyse Serge Massau journaliste politique spécialiste des Outre-mer à La Première : « Il y a 5 ans, en Guadeloupe et en Martinique, le deuxième tour s’était soldé par un 70% pour Emmanuel Macron et un 30% pour Le Pen. C’était un vote traditionnel des Outre-mer de barrage à l'extrême droite. Cette fois-ci, on a l'impression que les ultramarins, en tout cas les Antilles et l'océan Indien, se sont saisis du seul bulletin qu'il leur restait pour voter contre le président sortant. »
À Mayotte et à la Réunion, Marine le Pen a atteint les 59% et Emmanuel Macron 40%. Une différence de 20% qui s’explique aussi pour le journaliste par un manque de considération de ces territoires de la part du président sortant. « Pendant la campagne, tous les candidats sauf Emmanuel Macron ont parlé des Outre-mer comme des territoires abandonnés, méprisés et ignorés. On en voit sans doute une conséquence dans les résultats aujoiurd’hui. Depuis 5 ans, on voit le fossé se creuser entre Paris, le gouvernement et les Outre-mer.» observe Serge Massau.
La gestion de la crise sanitaire a aussi été fortement décriée chez les ultramarins et a donné lieu à de fortes contestations. « La crise du Covid a suscité beaucoup de crainte autour du vaccin. Et quand la contestation a pris forme dans les rues, comme en Guadeloupe, le premier réflexe du gouvernement a été d'envoyer le Raid et des renforts policiers alors qu'il y avait de réelles revendications sociales. Il y a aussi eu la crise des Gilets jaunes, suivie de la suppression des emplois aidés qui sont très importants dans les Outre-mer parce que le chômage et la pauvreté y sont beaucoup plus forts qu'en métropole. » ajoute-t-il.
La Nouvelle-Calédonie, la Polynésie Française et Wallis et Futuna dénotent de leurs pairs, en plaçant Emmanuel Macron vainqueur de l’élection comme en métropole. Le président sortant a remporté 61% des voix en Nouvelle-Calédonie, 51,8% en Polynésie, et 67,4% à Wallis et Futuna.
L’abstention a cependant battu des records avec 65,2% en Nouvelle-Calédonie. Un chiffre qui peut notamment s’expliquer par le fait que les indépendantistes avaient appelé à ne pas prendre part au vote. Enfin, l’éloignement géographique ainsi qu’une politique administrative plus autonome vis-à-vis de la métropole sont autant de raisons qui expliquent une faible participation des Calédoniens.
Si le vote anti-système marque cette élection en Outre-mer, sa couleur politique ne pourra qu’être confirmée aux législatives pour Serge Massau : « Personne ne croit pour l'instant que le score de Marine Le Pen au second tour se concrétisera pour les législatives. C'est plutôt du côté de Jean-Luc Mélenchon que l'on va voir comment il va pouvoir rassembler ces voix. Ce score du second tour n’est celui d’un vote raciste mais d’un vote fâché. Mais le fait que Marine Le Pen sorte largement vainqueur reste un choc. »