Fil d'Ariane
Michel Santi est analyste financier.
Le candidat républicain à la présidentielle accuse l'actuel président d'avoir dilapidé tout l'acquis de sa propre présidence. Une thèse qui ne résiste pas à l'examen selon l'analyste financier Michel Santi. Interview par Richard Werly.
«It’s the economy, stupid!» («C’est l’économie, naturellement!»). Prononcée par l’un des conseillers de Bill Clinton, James Carville, pour expliquer l’élection surprise du gouverneur de l’Arkansas à la présidence des États-Unis contre le sortant Georges Bush, cette phrase redevient d’actualité à chaque scrutin.
Ce 5 novembre 2024, on pourrait lui ajouter un complément: «It’s the Billionaire, stupid!» («C’est le milliardaire, évidemment!») tant Donald Trump mise sur son passé de promoteur immobilier à succès pour convaincre les électeurs.
Et sur le soutien d’Elon Musk, l’homme le plus riche du monde. Mais Trump est-il vraiment le candidat le plus convaincant, sur le plan économique. Basé aux États-Unis, l’analyste financier suisse Michel Santi répond.
Michel Santi, vous vivez en partie aux États-Unis. Or depuis mon arrivée ici, tout le monde me parle d’inflation, de pouvoir d’achat, de factures. Surtout les partisans de Donald Trump. La présidentielle se jouera sur les fins de mois?
La vérité est que l’inflation américaine, qui a atteint des niveaux records dépassant 9% en juin 2022, n’est pas du fait de Biden ou de son administration. Cette hausse des prix qui a rongé le pouvoir d’achat de tant de ménages est d’abord la conséquence de la forte reprise mondiale suite à la pandémie de Covid-19, et de la flambée ponctuelle des tarifs énergétiques suite au conflit ukrainien.
La riposte du gouvernement a été efficace. L’indice principal du taux de l’inflation (aujourd’hui à 2.3%) aux États-Unis est quasiment de retour au niveau de janvier 2021 à 1.4%.
Que s’est-il passé en revanche ? Beaucoup de commerces et d’entreprises qui avaient augmenté leurs prix en 2022-2023 n’ont pas encore répercuté cette baisse, et ils ne le feront probablement jamais, sauf à y être contraint.
C’est un phénomène décrit par l’économiste John Maynard Keynes et qui a pour nom «sticky prices» (prix rigides). Les prix s’ajustent avec énormément d’inertie aux changements dans la demande ou l’offre.
Donald Trump dit pourtant qu’il va terrasser l’inflation…
Je ne crois sincèrement pas que la politique ultra-libérale annoncée d’un peut-être futur président puisse contraindre les entreprises récalcitrantes à jouer le jeu de la baisse des prix.
En revanche, Kamala Harris et les démocrates, plus étatistes, pourraient légiférer en faveur des consommateurs. C’est l’une des clés de cette élection: pour tout ce qui touche à l’argent, aux fins de mois, beaucoup d’électeurs, surtout dans les classes moyennes et populaires, croient davantage Trump.
Regardons l’économie américaine de plus près. Quel bilan dresser du mandat de Joe Biden, dont Kamala Harris est comptable?
Faisons appel aux statistiques des différents organismes officiels américains. Le taux de croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) était au-dessus de 6% au premier trimestre 2021, lors du redémarrage post-pandémie, et il se situe aujourd’hui à 2.8% au troisième trimestre de 2024.
Comment ce redressement de 2021 a-t-il été possible? Grâce à une demande intérieure stimulée par des mesures de relance massives, dont des versements directs aux ménages, et la confiance renforcée due au déploiement rapide des vaccins.
Le spectre protectionniste hante les États-Unis depuis un siècle, et réapparaît épisodiquement, en fonction du profil plus ou moins populiste ou isolationniste du candidat.
En parallèle, les dépenses de consommation ont augmenté de 10,7%, et les dépenses publiques de 6,3%, ce qui a contribué à cette croissance remarquable.
Mieux : la baisse de croissance qui a suivi reflète non pas un échec, mais une victoire exceptionnelle, celle de la Réserve fédérale (la banque centrale) qui a remonté de manière énergique son taux d’intérêt jusqu’à 5.5% en 2023. Et ce sans nuire à l’activité économique du pays dont la croissance aujourd’hui donnerait envie à n’importe quel pays de l’Union européenne.
Ajoutez à cela la baisse du chômage de 6.3% en janvier 2021 à 3.5% mi-2023 et 4% en 2024. Trump peut dire ce qu’il veut: Joe Biden a un bon bilan économique.
Trump promet une Amérique plus protectionniste, qui relocalisera des dizaines de milliers d’usines, c’est crédible?
Le spectre protectionniste hante les États-Unis depuis un siècle, et réapparaît épisodiquement, en fonction du profil plus ou moins populiste ou isolationniste du candidat. Or, sa marge de manœuvre est très réduite. De 2021 à ce jour, le déficit commercial américain s’est encore aggravé, passant de 845 et 915 milliards de dollars par an.
Depuis Obama, les Présidents américains se sont détournés de l’Europe
Cela signifie que ce pays importe massivement des biens et denrées de l’étranger, bien plus qu’il n’en exporte. Il ne peut donc pas faire n’importe quoi. Il peut, en revanche, être protectionniste et encourager les relocalisations de manière déguisée à travers des programmes massifs de subventions.
Ce fut le cas de l’Inflation Reduction Act (IRA) adoptée en août 2022 qui prévoit d’injecter jusqu’à 740 milliards en soutiens à tous niveaux aux entreprises opérant sur le sol américain.
Tout cela, Biden l’a fait. Méfions-nous donc des fanfaronnades de Trump.
Vu de l'Europe, quel serait le président américain le plus difficile à gérer, sur le plan des relations commerciales et économiques?
Les Européens ont le choix entre le coup de massue avec Trump, ou une lente asphyxie avec Harris.
Depuis Obama, les Présidents américains se sont détournés de l’Europe, qui ne parvient même plus à s’aider elle-même car obsédée par ses déficits, et ayant lamentablement loupé le paradigme révolutionnaire de l’Intelligence Artificielle. Les Européens ont le choix entre le coup de massue avec Trump, ou une lente asphyxie avec Harris.
On a beaucoup vu Elon Musk dans la campagne de Trump. Il est un symbole crédible de l’avenir économique américain?
Elon Musk est un génie, mais également un opportuniste dont les entreprises vivent en grande partie des divers subsides versés par l’État américain. Il rêve de constituer, tout comme J. D. Vance, le candidat de Trump pour la vice-présidence, une petite équipe qui amputera de manière substantielle l’État fédéral. Une réduction insensée jusqu’à 80% des dépenses publiques est évoquée. Une certitude: si Kamala Harris est élue, Musk aura des comptes à rendre.
A lire : «BNS, rien ne va plus» de Michel Santi (Ed. Favre)
Retrouvez la campagne américaine sur Blick.
https://www.blick.ch/fr/dossiers/chronique-au-c-ur-de-la-campagne-presidentielle-id20224109/