Présidentielle américaine : qui sont les groupes patriotes d'extrême droite qui inquiètent les électeurs démocrates ?

Les mouvements d'extrême droite sont de plus en plus revendicatifs à l'approche du vote pour l'élection présidentielle américaine. La plupart soutiennent le président sortant Donald Trump, et certains déclarent vouloir prendre les armes si Joe Biden gagnait l'élection. Entre parades viriles, délires conspirationnistes et mises en scène dignes de films, qui sont ces groupes et milices extrémistes qui tentent d'intimider les électeurs démocrates ?
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Manifestation Boogaloo
Des manifestants anti-confinement manifestent contre les fermetures d'entreprises en raison de préoccupations concernant le COVID-19, à la State House de Concord le 2 mai 2020. Les hommes armé en treillis sont des membres du mouvement pro-guerre civile "Boogaloo".
Photo : AP/Michael Dwyer)
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Ils s'appellent Boogaloo Bois, QAnon, Three percenters (IIIers), Proud Boys ou encore Oath keepers et ont en commun d'être des "mouvements patriotes qui veulent libérer l'Amérique". Jusqu'à entrer en résistance armée si nécessaire, selon leurs propres affirmations. Ces mouvements patriotes, dont le nombre est incertain mais le plus souvent très réduit, ont malgré tout pris de l'ampleur depuis la crise sanitaire. Les plus théâtraux d'entre eux, les Boogaloo Bois ont été quelques dizaines à défiler avec des armes automatiques lors des manifestations anti-confinement du printemps dernier…

La "philosophie politique" de ces groupes n'est pas toujours très claire à comprendre, mais ils inquiètent — pour certains d'entre eux — les autorités fédérales par leur radicalité et leur volonté affichée de déclencher des violences. Selon les "Three percenters", une guerre civile est nécessaire pour faire tomber l'État fédéral :

Les III % (3 %, en anglais Three Percenters ou 3%ers) est un « mouvement patriote américain d'extrême droite, organisé en milices armées et en groupes paramilitaires, prônant la résistance contre le gouvernement fédéral des États-Unis qui, selon eux, transgresserait la Constitution des États-Unis. Le mouvement affirme que son principal objectif est de protéger les libertés fondamentales. Le nom du mouvement a pour origine la croyance que seulement trois pour-cent des habitants des Treize colonies ont combattu lors de la révolution américaine.

Pour les QAnon, la lutte armée pourrait devenir incontournable si Donald Trump n'était pas réélu, puisque pour ce mouvement conspirationniste, le président sortant est le seul à même de faire tomber "l'État profond" qui gouvernerait en secret les États-Unis :

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Pour le mouvement nihiliste Boogaloo — dont les membres portent en signe de reconnaissance des chemises hawaïennes sur des tenues militaires — la guerre civile est la seule issue politique valable :

Le mouvement boogaloo bois, ou boogaloo, trouve ses racines dans les recoins les plus sombres du web. Par conséquent, le mouvement se drape dans un langage et un style visuel hautement codifié qui s'inspire de la culture du web. Le mot boogaloo lui-même est une sorte d'euphémisme pour une guerre civile qui provoquera une chute de l'État. C'est une référence au film américain Breakin' 2 : Electric Boogaloo. Ce film, souvent ridiculisé en raison de sa qualité douteuse, est une suite du film Breakin', produit rapidement avec peu de moyens. Sur des forums pro-armes, la guerre civile imaginée a été baptisée Civil War 2 : Electric Boogaloo. On cherche de façon mi-ironique à promouvoir l'idée d'une deuxième guerre civile en la dénigrant.

(Extrait de l'article de Radio-Canada : "Le mouvement "boogaloo" veut profiter des manifestations pour provoquer la guerre civile")

Le plus souvent affiliés aux courants d'extrême droite du suprémacisme blanc, les orientations de ces groupes sont malgré tout difficiles à définir, puisque des membres de Boogaloo peuvent par exemple défendre les manifestants de "Black Lives Matter", prétextant que les policiers sont des ennemis appartenant à l'État fédéral qu'ils veulent abattre. Tandis que les "Proud Boys" sont des suprémacistes blancs, qui défendent des théories néo-fascistes et veulent s'en prendre à toutes les minorités ethniques. Au final, trois grands groupes ressortent de ces mouvements d'extrême droite, pour les centres de recherche stratégique américains : les suprémacistes blancs, les anti-gouvernement et les "incels" (célibataires malgré eux rassemblés autour de la haine des femmes).

"Menace extrémiste violente" ?

Un document interne du FBI, sur le mouvement Boogaloo, a été publié par le quotidien The Nation le jour du premier débat entre Donald Trump et Joe Biden. Le quotidien indiquait : "Alors que Trump est resté équivoque au sujet des mouvement de la suprématie blanche, le FBI met en garde contre la menace d'extrême droite. Un rapport de renseignement daté du jour du débat présidentiel prédit une "menace extrémiste violente" de la part d'une milice d'extrême droite."

En parallèle, un groupe de soutien de campagne à Donald Trump nommé “Back the Blue” s'est créé cet été pour défendre les policiers, en réaction aux manifestations des Black Lives Matter, suite au meurtre de George Floyd par un policier. "Back The Blue" est un slogan en référence à un autre : "Blue Lives Matter" ("La vie des uniformes bleu (les policiers) compte").

Les défenseurs du "Blue Lives Matter", créé en 2014, estiment que les membres des forces de l'ordre sont assassinés sans qu'il n'y ait de sanctions pénales assez fortes à l'encontre des criminels. La campagne pro-Trump "Back The Blue" en est donc une extension, mais elle ne réunit en général que quelques centaines de personnes dans ses meetings. Back The Blue se définit avant tout en opposition aux militants luttant contre les violences policières, appelée la "gauche radicale". Sur leur site, il est indiqué : "Back The Blue"est une campagne d'activisme pour l'Amérique, axée sur le renforcement du soutien communautaire envers nos policiers locaux. Avec des manifestants de gauche radicale qui vilipendent constamment nos héros locaux, il est de notre devoir de nous lever et de défendre leur honneur."

Le 24 août 2020, à Salt Lake City (Capitale de l'Utah), un rassemblement d'une centaine de "Back The Blue" s'est tenu, filmé par le compte YouTube "Tactical Nacho". Le site web de Tactical Nacho affirme qu'il est "un vétéran de l'armée et actuellement sous-traitant du département de la sécurité intérieure". Mise en scène avec musique, grosses motos, tatouages et drapeaux :

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Les mouvements type Back The Blue — au-delà de ceux qui déclarent ouvertement vouloir provoquer des actes violents — s'autodéfinissent avant tout comme pro-armes, pro-police, anti-minorités et anti-mouvements progressistes. Ils ne sont pas déclarés par le FBI comme une "menace extrémiste violente", comme peut l'être Boogaloo Bois, mais sont très visibles, particulièrement sur le web. Leur activité est connue et suivie par les autorités fédérales depuis des années. Leurs membres sont en nombre réduit.

Intimidation électorale et risques d'escalade

Personne n'est en mesure de savoir ce que va faire ou non concrètement cette petite galaxie de groupes patriotes plus ou moins extrémistes, une fois le résultat définitif de l'élection confirmé. Des centres d'analyse stratégique américains, comme le CSIS (Center for strategic and international studies, Centre d'études internationales stratégiques) rappellent malgré tout que les actions terroristes aux Etats-Unis sont désormais majoritairement causées par ces mouvances d'extrême droite :

Extrait de l'article du CSIS : "Le problème de l'escalade terroriste aux Etats-Unis" (17 juin 2020)

Des extrémistes de droite ont perpétré les deux tiers des attaques et complots aux États-Unis en 2019 et plus de 90% entre le 1er janvier et le 8 mai 2020. Le terrorisme aux États-Unis augmentera probablement au cours de l'année prochaine en réponse à plusieurs facteurs. L'une des plus inquiétantes est l'élection présidentielle américaine de 2020, avant et après laquelle les extrémistes peuvent recourir à la violence, en fonction du résultat de l'élection. Les réseaux d'extrême droite et d'extrême gauche ont eu recours à la violence les uns contre les autres lors de manifestations, soulevant la possibilité d'une escalade de violence pendant la période électorale.

Les prévisions d'escalade de violences avant l'élection de ce mardi 3 novembre 2020 ne se sont - heureusement - pas vérifiées jusque là. Mais le CSIS met en garde par avance sur la possibilité de passages à l'acte par certains de ces groupes, dans le même article : 

Comme l'ont souligné des documents du ministère américain de la Justice, certains extrémistes d'extrême droite se sont qualifiés de «Trumpenkriegers» - ou de «combattants pour Trump». Si le président Trump perd les élections, certains extrémistes peuvent utiliser la violence parce qu'ils croient - même à tort - qu'il y a eu fraude ou que l'élection du candidat démocrate Joe Biden saperait leurs objectifs extrémistes.

Pour l'heure, les groupes d'extrême droite tentent surtout d'intimider les électeurs de Joe Biden. Mais la polarisation politique aux États-Unis est à son comble pour cette élection présidentielle. C'est certainement ce phénomène, particulièrement exacerbé aujourd'hui, qui finalement inquiète le plus les observateurs de la société américaine. Ce qui fait dire à Seth G. Jones, l'analyste du CSIS, qu'il ne faudrait pas qu'un événement extérieur à l'élection ne mette le feu aux poudres dans les jours qui viennent : "Un événement polarisant autre que l'élection présidentielle, comme une fusillade dans une école ou un meurtre à caractère raciste, pourrait déclencher des manifestations que les extrémistes tenteraient de détourner. Des extrémistes de tous bords ont tenté de détourner les manifestations de mai et juin 2020 aux États-Unis, trouvant là une excuse pour commettre des actes de terrorisme. En outre, les réseaux d'extrême droite et d'extrême gauche ont utilisé la violence les uns contre les autres lors de manifestations — comme à Berkeley, en Californie et à Charlottesville, en Virginie en 2017 —, suscitant des inquiétudes quant à l'escalade de la violence."