Présidentielle au Chili : rien n'est gagné pour le candidat de droite

L'ex-chef d’État de droite et milliardaire Sebastian Piñera affrontera le candidat socialiste Alejandro Guillier au second tour de l'élection présidentielle chilienne le 17 décembre. Contre les pronostics et les sondages, le premier tour s'avère décevant pour la droite. La candidate d'extrême-gauche Beatriz Sanchez, crée la surprise au premier tour en raflant plus de 20 % des voix.
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Partisans pinera
Partisans de Sebastian Pinera le 19 novembre.
(AP Photo/Esteban Felix)
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La candidate de l'extrême-gauche Beatriz Sanchez, le jour du vote. Sa percée à plus de 20 % constitue la surprise du scrutin.
(Andres Pina/Aton via AP)
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Avance du favori bien moins grande que prévue, percée spectaculaire de la gauche radicale, déroute de la Démocratie-chrétienne … et des instituts de sondages : le moins qu'on puisse dire est que rien n'est joué dans la présidentielle chilienne à l'issue du premier tour due ce 19 novembre.

 Donné favori pour succéder à la présidente de gauche Michelle Bachelet, le candidat de droite milliardaire Sebastian Piñera, 67 ans, arrive effectivement largement en tête mais il ne recueille finalement que 36,6% des voix, loin des 42 % que lui prévoyaient les sondeurs.

A gauche, le journaliste Alejandro Guillier, 64 ans, obtient 22,7 % des voix, à peu près comme prévu.

Ce qui ne l'était pas, c'est le score de Beatriz Sanchez, la candidate de la coalition d'extrême gauche Frente Amplio : plus de 20 %, le double de ce qu'annonçaient les sondages.
 
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La candidate de l'extrême-gauche Beatriz Sanchez, le jour du vote. Sa percée à plus de 20 % constitue la surprise du scrutin.
(Andres Pina/Aton via AP)








Remportant également un score inattendu, le candidat d'extrême droite José Antonio Kast, héritier assumé de la dictature de Pinochet (1973-1990), rafle pour sa part près de 8 % des voix.

A une telle échelle, le fourvoiement des sondages pose un problème politique. 
Les faux pronostics ont pu modifier les choix des électeurs en faussant les perspectives ou décrédibilisant certaines candidatures. "Demain je veux une explication", a protesté Beatriz Sanchez, assurant que les résultats rebattaient les carte. "Si ces sondages avaient dit la vérité, nous serions au second tour".
 

Bouleversement

Ils "reconfigurent complètement le paysage politique chilien", explique en tout cas René Jara, analyste de l'Université de Santiago interrogé par l'AFP. Le résultat obtenu par Beatriz Sanchez, estime-t-il lui donne un "pouvoir de négociation très fort pour le second tour".

Jusqu'ici réticents à apporter leur soutien au socialiste Guillier, des candidats sont à présent "obligés de le faire pour ne pas être tenus pour responsables du retour de Piñera" au pouvoir, selon cet analyste. Or sur les huit candidats en lice dimanche 19 novembre, six se rattachent à la gauche ou au centre-gauche.
 
Guillier
Alejandro Guillier, candidat de la gauche socialiste. 22,7 % au premier tour mais une réserve de ralliements considérable.
(AP Photo/Luis Hidalgo)
Parmi eux, Marco Enríquez-Ominami, ex-socialiste et fils d'un dirigeant historique de la gauche révolutionnaire exécuté par le régime de Pinochet. Jeunesse et scolarité en France, cinéaste, il se présentait pour la troisième fois à l'élection présidentielle, fort de ses 20 et 10 % obtenus lors de ses précédentes tentatives. Il ne recueille cette fois que 6 % mais ses électeurs ont toutes les chances de se reporter sur Guillier.

Autre gisement de voix : celui de la démocrate-chrétienne Carolina Goic. Celle-ci, ainsi qu'elle l'a elle-même reconnu, réalise un score particulièrement mauvais pour un courant qui fut au pouvoir : 5,9 %. Se retranchant derrière son parti, elle n'a pas encore indiqué son choix de second tour mais il lui est prêté beaucoup plus d'affinité avec la gauche (avec qui la démocratie-chrétienne a naguère gouverné) qu'avec la droite.

Si ces ralliements se confirment et se traduisent bien en vote, la gauche est arithmétiquement majoritaire en voix. La situation est en outre embarrassante pour Sebastian Piñera qui a besoin des voix de l'extrême-droite pour espérer l'emporter mais qui s'aliénerait les électeurs modérés en se rapprochant d'elle.

Le candidat socialiste, qui s'est dit certain de gagner la seconde manche, a immédiatement fait un appel du pied à Frente Amplio. "Il est clair qu'avec le progressisme des Chiliennes et des Chiliens qui veulent le changement (...), nous sommes plus nombreux, et donc nous gagnerons en décembre", a déclaré le journaliste devant des partisans venus l'acclamer à Santiago.
 

Berlusconi chilien

Sebastian Piñera, 67 ans, parfois surnommé "le Berlusconi chilien" et qui a déjà occupé la présidence de 2010 à 2014, se disait, lui, confiant de décrocher un deuxième mandat.
Pinera
Sebastian Piñera le jour du vote. En tête, mais bien moins que prévu.
(AP Photo/Esteban Felix)


 "Ce résultat est très proche de celui que nous avons obtenu en 2009, et en 2009 nous avons remporté l'élection et nous avons réussi à remettre en marche notre pays", déclarait-il dimanche soir devant ses supporters.

"Nous avons gagné dans toutes les régions du Chili. Nous avons gagné dans 300 des 365 communes et, peut-être ce qui me touche le plus, nous avons gagné dans toutes les communes de la classe moyenne et dans toutes les communes les plus pauvres et vulnérables du Chili", a-t-il assuré.

A l'issue de son premier mandat, Sebastian Piñera n'avait pas pu se représenter, la loi chilienne interdisant deux mandats consécutifs.

 
Législatives
Concernant le renouvellement partiel du parlement, la coalition de droite de Sebastian Piñera remporte le plus grand nombre de sièges au Congrès sans atteindre la majorité dans aucune des deux chambres.

Elle décroche 72 des 155 sièges de députés et 19 sièges sur les 43 qui étaient renouvelés au Sénat, selon les résultats partiels.
L'élection chilienne intervient à un moment où une grande partie de l'Amérique du sud - l'Argentine avec Mauricio Macri, le Brésil avec Michel Temer, le Pérou avec Pedro Pablo Kuczynski - vient de basculer à droite.

Le Chili, l'un des pays les plus riches d'Amérique latine grâce à ses matières premières (cuivre, lithium, pétrole...) mais en phase de ralentissement économique en raison de la chute des cours, a beaucoup changé ces dernières années.

Cette société réputée très conservatrice a été bouleversée par une série de réformes sociétales progressistes, dont l'adoption du mariage homosexuel et la dépénalisation de l'avortement, auparavant strictement interdit.

La présidente sortante a quitté le pouvoir avec seulement 23% d'opinions favorables. "L'histoire montrera que les bonnes décisions ont été prises", assure pourtant Alejandro Guillier qui s'inscrit dans les pas de Michelle Bachelet et assume son bilan.