Fil d'Ariane
Aux yeux de la Cour suprême du Colorado et de l'État du Maine, Donald Trump n'est pas apte à candidater, à l'élection présidentielle du 5 novembre 2024. Le favori à l'investiture des Républicains, vainqueur déjà -haut la main- de deux primaires (Iowa et New Hampshire), aurait enfreint les règles de la section 3 du 14ème amendement de la Constitution. Décryptage de Mathilde Philip-Gay, spécialiste des États-Unis, professeure de droit constitutionnel à l'université Jean Moulin de Lyon sur les conséquences possibles de ce nouvel épisode de la vie politique américaine.
La Cour suprême des États-Unis à Washington
Deux décisions ont semé le trouble. D'abord celle de la Cour suprême de l'État du Colorado rendue le 19 décembre 2023. L'instance judiciaire a déclaré inéligible l'ancien président américain du fait de son rôle dans l'assaut lancé le 6 janvier 2021 contre le Capitole, à quelques jours de son départ de la Maison-Blanche. Ensuite, la décision du 28 décembre 2023, de la secrétaire d'État du Maine d'interdire à toute personne "ayant prêté serment [...] de défendre la Constitution" d'occuper des postes fédéraux s'ils se sont associés à "une insurrection ou une rébellion" contre le pays.
De fait, une telle personne devient inéligible dans les États concernés. En étant incapable de se présenter devant les électeurs du Colorado et du Maine, Donald Trump serait en grand danger car il verrait sans doute ses concurrents à l'investiture faire le plein de voix dans ces États quand lui serait relégué au rang de spectateur.
Mais Donald Trump a bien l'intention de voir son nom figurer sur les bulletins de vote de toutes les primaires. L'ex-président américain qui conteste les accusations d'insurrection a donc obtenu le 5 janvier 2024 que la Cour suprême fédérale, à Washington, statue sur cette question.
Il s'agit d'une manœuvre à double-tranchant. D'abord parce que les États-Unis sont un pays qui cultive une forte opposition entre les fédéralistes, soit en faveur d'un pouvoir fédéral fort et les anti-fédéralistes qui souhaitent donc davantage de pouvoirs pour les États fédérés, comme la Californie, le Montana, l'Illinois, ou encore la Floride.
"Donald Trump lui incarne les anti-fédéralistes" nous dit Mathilde Philip-Gay, professeure de droit constitutionnel à l'université Jean Moulin. "En faisant appel à la Cour suprême, qui est quand même l'organe fédéral par excellence, c'est à double tranchant, parce qu'il demande à la fois, un arbitrage de l'État fédéral tout en souhaitant davantage de liberté pour les États fédérés." souligne cette juriste, spécialiste du fonctionnement de la Constitution états-unienne.
Or, la tendance anti-fédéraliste, la tendance conservatrice est a priori, la pensée dominante au sein de la Cour suprême. L'instance judiciaire compte six juges républicains contre trois juges démocrates et parmi ces six juges conservateurs, trois d'entre eux ont été directement nommés par Donald Trump, lui-même.
Donald Trump aux primaires du New Hampshire, le 31 janvier 2024
Certes, les mathématiques sont favorables à Donald Trump, mais rien ne dit que l'ex-président des États-Unis puisse, pour autant, espérer un retour d'ascenseur. Car les juges fédéraux ont bien conscience des accusations de partialité que sa décision pourrait soulever.
La Cour marche sur des œufs, et dans tous les cas de figure, l'énigme à résoudre pour l'instance fédérale est la suivante : pourra t-elle rendre un verdict sur le droit sans interférer dans le politique ? "Il y a un un élément qui est très important aux États-Unis, à part la Constitution, c'est la liberté. Et l'idée de liberté peut être assimilée à celle de la liberté des électeurs de choisir" rappelle Mathilde Philip-Gay.
Et pour éviter de dire si les évènements du 6 janvier peuvent être assimilés à ceux décrits par le 14ème amendement la Cour suprême pourrait donc être tentée de laisser le dernier mot aux urnes, plutôt que de peser sur le destin démocratique de tout un pays.
D'autant plus que la Cour suprême n'a pas besoin de se compliquer la tâche, elle qui doit constamment prouver son indépendance selon Mathilde Philip-Gay qui souligne "qu'à chaque fois qu'elles se prononcent sur une grande affaire, la Cour suprême joue aussi sa légitimité."
"On voit bien que ce sera un compromis et que ce ne sera pas nécessairement une décision complètement favorable à Donald Trump. Il faut vraiment s'y attendre." ajoute t-elle, en précisant néanmoins, qu'il est très hasardeux de se lancer dans quelconque pronostic.
Manifestation du 7 décembre 2022 devant la Cour suprême des États-Unis à Washington
En réalité, deux possibilités s'offrent à la Cour suprême : soit elle indique que Donald Trump a participé à une insurrection. Elle l'écarte de facto du vote dans le Colorado et dans le Maine. Soit, au contraire, elle désavoue les états suscités, en considérant que le 45ème président du pays n'a pas participé à une insurrection. La piste d'une décision où elle se déclarerait incompétente n'est en revanche, pas crédible. "Logiquement, la Cour suprême, si elle ne souhaitait pas se prononcer, elle n'aurait pas pris l'affaire" rappelle Mathilde Philip-Gay qui souligne aussi que "l'indépendance (de la Cour Suprême) est vraiment protégée" du fait notamment qu'il s'agit de "juges nommés à vie" dont on ne peut "diminuer le traitement, le salaire, tant qu'ils sont en fonction." précise t-elle.
Cette affaire est examinée à partir du 8 février 2024. Mais rien ne dit que la décision sera prise très rapidement. Et c'est ce qui gêne, Donald Trump qui n'a pas beaucoup de temps. Une date est d'ores et déjà cochée. Celle du "Super Tuesday" du 5 mars 2024. Ce jour-là, 14 états tiendront simultanément leurs primaires et parmi eux, le Colorado et le Maine.
L'inquiétude est réelle dans le camp Trump car selon le New York Times des contestations officielles à la candidature du milliardaire républicain ont été déposées dans au moins 35 États. Des États qui attendent prudemment l'arbitrage de la Cour suprême car "les décisions de la Cour suprême font tout de même autorité" rappelle Mathilde Philip-Gay.
Autrement dit, inutile de statuer au niveau local alors que la décision pourrait ensuite être renversée au niveau fédéral.
Toute la difficulté réside dans la capacité à définir s'il y a eu participation ou non à une manœuvre d'insurrection.
"Ce à quoi l'on assiste depuis l'élection de Donald Trump, et plus largement depuis son émergence, c'est que Donald Trump interroge le droit constitutionnel américain" rappelle Mathilde Philip-Gay, soulignant aussi au passage que "Cela dépendra des preuves qui seront présentées par les différents avocats. Nous n'avons pas le dossier en entier."
Mathilde Philip-Gay, qui constate un peu désabusée que le droit américain dérive vers ce qui était impensable du temps de la présidence Obama. "Ce que l'on imaginait avec mes étudiants il y a 10 ans, un président qui pourrait se gracier lui-même, un président qui serait mis en examen et qui serait en même temps candidat. Tous les cas presque loufoques, et bien avec Trump, ils sont peut-être en train de devenir réels." dit-elle.
Les juges de la Cour suprême qui prennent généralement leur temps pour statuer pourraient donc être encore plus vigilants sur ce dossier. "Les décisions de la Cour suprême sont longues à rendre. Il y a des clercs qui les élaborent avec les juges et cela prend plusieurs mois. Il peut y avoir des auditions et généralement les décisions sont rendues fin juin. Donc elle n'est pas obligée de tenir compte du calendrier électoral" rappelle Mathilde Philip-Gay.
En attendant, Donald Trump apparaît politiquement vulnérable puisque ce 6 février 2024, une cour d'appel fédérale américaine vient de rejeter sa demande d'immunité pénale.
Et même si l'ex-président fait appel de cette décision, ce nouveau jugement rouvre la voie à son procès à Washington, où il est accusé d'avoir tenté d'inverser illégalement les résultats de la Présidentielle de 2020.