Fil d'Ariane
C’est un énorme soupir de soulagement qui a été poussé au Canada, autant par la population que par le gouvernement canadien, quand, le 7 novembre, le réseau CNN a déclaré vainqueur le candidat démocrate à l’élection présidentielle américaine.
Une bonne partie de la planète a été suspendue aux résultats de ce scrutin qui s’est étiré en longueur, le Canada encore plus qu’ailleurs, parce que tout ce qui se passe au sud de notre frontière a un impact important ici.
Quand on sait que huit Canadiens sur dix estimaient que l’élection de Joe Biden serait une bonne chance pour le Canada, on mesure l’importance du soulagement des Canadiens quand ils ont su que cela s’était réalisé.
Le premier ministre Trudeau a été le premier dirigeants des pays du G7 à tweeter, samedi, un message de félicitations à Joe Biden et Kamala Harris pour leur élection :
Félicitations, @JoeBiden et @KamalaHarris. Nos pays sont de proches amis, partenaires et alliés. Nous avons une relation unique sur la scène internationale. J’ai vraiment hâte de poursuivre notre travail en ce sens, avec vous.
— Justin Trudeau (@JustinTrudeau) November 7, 2020
Puis il a de nouveau adressé ses félicitations de vive voix à Joe Biden au cours d’un entretien téléphonique qui s’est tenu le 9 novembre. Justin Trudeau est d'ailleurs le premier dirigeant étranger que le président élu a appelé. Le premier ministre l’a assuré que le Canada était prêt à relever les défis avec lui pour lutter contre la pandémie et les changements climatiques. Ils ont aussi parlé de commerce, énergie, OTAN, racisme envers la communauté noire et du dossier des deux Canadiens emprisonnés en Chine, Michael Kovrig et Michael Spavor, en lien avec l’affaire Meng Wanzhou. Les deux dirigeants ont "convenu de rester en contact étroit".
Trudeau et Biden se connaissent bien, ils s’apprécient mutuellement, partagent des convictions idéologiques et Joe Biden connait bien le Canada également.
Quant à Kamala Harris, elle a passé une partie de son adolescence à Montréal, parce que sa mère y était venue travailler pour l’Université McGill. La vice-présidente élue a fréquenté une école montréalaise pendant plusieurs années – on dit même qu’elle a détesté l’hiver québécois.
Et puis Justin Trudeau ne peut pas le dire officiellement, mais on peut facilement deviner à quel point il a dû être heureux de l’élection de Joe Biden. Ses relations avec Donald Trump ont été pour le moins tumultueuses, ce dernier n’hésitant pas à lui servir quelques insultes de son cru à plusieurs reprises, notamment après le sommet du G7 à Charlevoix, en juin 2017. Le président américain l’avait alors traité de « menteur » et « d’hypocrite » et avait retiré sa signature du communiqué final.
A partir de là, le premier ministre canadien s’est fait un devoir d’être le plus neutre possible dans ses commentaires sur Donald Trump et le mot d’ordre s’appliquait également à tous les membres de son cabinet.
Au cours des quatre dernières années, Justin Trudeau a littéralement marché sur des œufs dès qu’il était question du locataire de la Maison Blanche, de son administration et de leurs politiques. Il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour ne pas prêter flanc à une quelconque attaque de Donald Trump et c’était un sacré exercice d’équilibriste. Et il continue de peser chacun de ses mots à son endroit car il va rester président jusqu’au 20 janvier. Justin Trudeau a par exemple refusé de commenter le fait que Donald Trump n’ait toujours pas concédé la victoire à son rival.
L’arrivée de Joe Biden pour le gouvernement canadien, cela veut dire un retour à la normalité dans les relations entre ces deux pays traditionnellement amis et alliés. Un retour à la "prévisibilité" aussi : plus de mauvaises surprises, de décisions intempestives sans queue ni tête prises sous le coup de la colère ou de l’irritabilité. Le nouveau président américain sera quelqu’un avec qui le dialogue sera possible, ouvert, quelqu’un de "prévisible". Ce sera aussi un retour à la politique du multilatéralisme, totalement évacuée par l’isolationnisme de Donald Trump, donc réintégration de la puissance américaine dans les grandes instances internationales que sont par exemple l’OTAN et l’OMS.
Et sur ce plan, le Canada, fervent partisan de ce multilatéralisme, sera aux côtés du nouveau président américain.
"Ce qu’on veut, c’est un rôle plus actif de nos partenaires américains, souligne le ministre canadien des Affaires étrangères en entrevue à la radio de Radio-Canada. Prenez la lutte contre les changements climatiques, on va pouvoir travailler ensemble, idem pour la réponse à l’épidémie". Sur ce plan, l’arrivée au pouvoir d’un dirigeant qui veut mettre en place une stratégie nationale de lutte contre le virus a de quoi rassurer les Canadiens, très inquiets des ravages de la maladie au sud de leur frontière. Frontière fermée au demeurant depuis la mi-mars, sauf pour les marchandises et les voyages jugés essentiels, et nul doute qu’elle va le rester au moins jusqu’à la fin de l’année.
François-Philippe Champagne précise que le dossier des deux Canadiens emprisonnés en Chine fait aussi partie des dossiers prioritaires que le Canada veut aborder avec la nouvelle administration américaine pour faire libérer le plus rapidement possible les deux « Michaël » - rappelons que les autorités chinoises les ont arrêtés dans la foulée de l’arrestation à Vancouver, par les Canadiens, en décembre 2018 de la dirigeante de la compagnie Huaweï Meng Wanzhou à la demande des autorités américaines.
Si les autorités canadiennes se réjouissent qu’une majorité d’Américains aient montré la porte à Donald Trump, il ne faut pas croire pour autant qu’il n’y aura pas d’anicroches avec l’administration Biden.
Les Démocrates sont de nature beaucoup plus protectionniste que les Républicains et le slogan "Buy American act" est dans le programme du président désigné. La guéguerre commerciale que se livrent depuis des décennies les deux principales puissances de l’Amérique du nord, notamment sur le bois d’œuvre, risque bien de se poursuivre. Sauf que le Canada aura en face de lui un partenaire avec qui il sera possible de discuter et de négocier sans qu’un tweet ravageur ne vienne clore sans appel tout dialogue.
Et puis le Canada, via son ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, saisit la balle au bond pour tendre la main envers son principal partenaire commercial : au lieu du Buy America, pourquoi ne pas faire plutôt du Buy North America : « Oui, mieux rebâtir ensemble, c’est aussi une opportunité de dire, pourquoi on n’innove pas plus ensemble ? Pourquoi on ne fabrique pas plus ensemble et pourquoi on ne vend pas plus ensemble à travers le monde ? Comme ça on crée des emplois des deux côtés... », a proposé le chef de la diplomatie canadienne en entrevue à la radio de Radio-Canada.
Huit millions d’emplois aux États-Unis dépendent du commerce avec le Canada et les deux-tiers des États américains ont le Canada comme premier client, fait valoir François-Philippe Champagne, les économies des deux pays sont étroitement imbriquées et interdépendantes.
S’il est un politicien canadien qui connait bien les États-Unis, c’est bien l’ex-premier ministre Brian Mulroney. C’est lui qui avait négocié pour le Canada l’ALENA, le premier accord de libre-échange entre les deux pays et le Mexique. Il a aussi entretenu une relation d’amitié avec Ronald Reagan et Georges Bush père. Brian Mulroney qualifie Joe Biden de « gentleman de la politique américaine », il croit que son arrivée va transformer les relations entre le Canada et les États-Unis et qu’il va pouvoir tisser avec Justin Trudeau une relation harmonieuse et fructueuse pour leur deux pays. Le premier ministre canadien a fait appel à l’expertise de Brian Mulroney pour l’aider à gérer sa relation avec Donald Trump, et en coulisses, l’ex-premier ministre a joué un rôle important dans l’élaboration de la diplomatie canadienne envers l’administration Trump.
A voir maintenant si le nouveau locataire de la Maison Blanche acceptera cette main tendue du voisin nord.
Ce ne sera peut-être pas dans ses priorités que de lancer d’autres querelles commerciales avec le Canada, car il va avoir fort à faire au cours des prochains mois sur le plan intérieur. Tenter de reprendre le contrôle de la pandémie risque de lui prendre une bonne partie de son énergie – les États-Unis viennent de dépasser le cap hallucinant des 10 millions de cas - sans oublier les efforts qu’il faudra faire pour pacifier le pays, en proie à des divisions qui semblent irréconciliables.
Des défis colossaux à relever alors que près d’un Américain sur deux n’a pas voté pour lui.
Mais il pourra compter sur l’aide du Canada et de son premier ministre, notamment pour lutter conjointement contre le virus et contre les changements climatiques.