Fil d'Ariane
Que cela soit en sport ou en politique, le Premier ministre bulgare n’aime pas perdre. Lorsqu’il joue au football, son passe-temps favori, c’est toujours lui qui tire les penalties pour son équipe, les «Tigres de Bistritsa». Et lorsqu’il rate – cela lui arrive – il rejoue, jusqu’à ce que la balle atteigne le fond des filets. Quand il parle de ses opposants politiques, ce karatéka de haut niveau utilise des mots que l’on prononcerait plutôt sur les tatamis: le plus souvent ils sont «battus à plate couture» quand ils n’ont pas pris une «raclée».
Il est comme ça Boïko Borissov, et c’est certainement aussi la raison pour laquelle les Bulgares l’aiment. Le chef du gouvernement conservateur en est à son deuxième mandat et, normalement, il devrait présider aux destinées du pays jusqu’à fin 2018. Normalement, parce qu’entre-temps il y a cette élection présidentielle qui est en passe de se transformer en cauchemar pour l’homme fort de la Bulgarie.
Le mauvais rêve a commencé au premier tour du scrutin, le 6 novembre au soir, lorsqu’à la surprise générale «sa» candidate, Tsetska Tsatcheva, est arrivée derrière le représentant de l’opposition, le général d’aviation Roumen Radev, soutenu par le PS (ex-communistes). Depuis, la distance qui les sépare s’est encore creusée, atteignant les 10 points en faveur de Roumen Radev qui l’emporterait avec près de 50% des voix contre 39% pour la candidate de la droite, selon les dernières estimations.
Le pays est donc sur la brèche, d’autant que les Bulgares ont une amère impression de déjà-vu. Déjà en 2013, Boïko Borissov avait décidé d’écourter son premier mandat en provoquant des élections anticipées. Résultat,: une longue période d’instabilité marquée par des manifestations quotidiennes et une série d’immolations de désespérés qui a marqué tous les esprits. Revenu aux commandes en 2014, le Premier ministre martèle qu’il est désormais le seul garant de la «stabilité», synonyme selon lui de subventions européennes, de croissance économique et de sécurité au sein de l’Alliance atlantique.
Mais sa candidate n’a pas su convaincre, c’est le moins que l’on puisse dire. Présidente du parlement, Tsetska Tsatcheva est certainement un cadre efficace du Gerb et une inconditionnelle de son mentor politique. Mais cette femme, qui se présente comme une «simple mère bulgare», a manqué cruellement de charisme et n’a jamais pris son envol face au général Radev qui n’a cessé de marquer des points, avec méthode et un calme olympien, contre le «système Gerb».
«Oui, j’ai fait l’erreur de ne pas avoir joué la carte populiste, j’ai présenté un candidat compétent mais pas médiatique», s’est justifié Boïko Borissov dans un vrai faux mea culpa entre les deux tours. A sa décharge, il y a aussi un autre événement, de portée planétaire, qui est intervenu entre-temps. L’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis qui a, par un curieux effet domino, donné des ailes au candidat du PS bulgare, connu pour ses bons liens avec Moscou.
Roumen Radev s’était ainsi distingué pendant la campagne en appelant à la levée des sanctions contre la Russie. Il a aussi souligné qu’il faut «accepter la réalité» d’une Crimée définitivement passée dans le giron du Kremlin, s’attirant de vives critiques du camp pro-occidental. Aujourd’hui, ses partisans rappellent que sa lecture de la crise ukrainienne coïncide parfaitement avec celle du nouveau président américain.
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