Présidentielle en France : comment faire campagne dans le contexte de guerre en Ukraine ?

Les candidats à l’élection présidentielle française avaient pour la plupart bien entamé leur campagne, lorsque Vladimir Poutine a ordonné l’invasion de l’Ukraine, le 24 février 2022. Pour Christel Bertrand, consultante en communication politique et communication de crise, ce conflit a profondément modifié les enjeux de cette campagne présidentielle. Entretien.
Image
macron poutine
Le président français Emmanuel Macron, candidat à sa réélection, doit concilier la présidence de l'Union européenne, sa campagne présidentielle et la gestion de la crise ukrainienne.
AP
Partager8 minutes de lecture

L’invasion de l’Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine a bouleversé l’agenda des candidats, déclarés ou non, à l’élection présidentielle française. Parmi eux, Emmanuel Macron. Comment les candidats doivent-ils s'adapter face à cette crise ? 

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

La consultante en communication politique et communication de crise au cabinet EH&A Consulting, Christel Bertrand estime que cette crise a complètement modifié les enjeux de cette campagne présidentielle. Selon elle, la guerre donne un net avantage à Emmanuel Macron sur ses adversaires. 

TV5MONDE : Dans quelle mesure les candidats à l’élection présidentielle ont dû adapter leur campagne au conflit ukrainien ?

Christel Bertrand : Ils ont adapté leurs campagnes de fond en comble. Que ce soit au niveau de la stratégie, des éléments de langages, des apparitions dans les médias, tout a été bouleversé. J’ignore si au niveau des partis il y a eu des consignes en ce qui concerne la posture des militants qui vont faire campagne sur le terrain, mais ça ne m’étonnerait pas. Les militants doivent être empreints de gravité et être concernés par ce que ressentent les citoyens qu’ils vont croiser au cours de la campagne. 

L’opinion publique est très touchée par les deux années que nous venons de traverser.Christel Bertrand, consultante en communication politique et communication de crise

Il est aussi nécessaire de remettre les choses dans le contexte actuel. L’opinion publique est très touchée par les deux années que nous venons de traverser. Les Français sont fatigués, sur les nerfs, sont lassés de la politique. L’opinion publique a vécu deux ans dans l’incertitude, sans pouvoir se projeter, et après une crise sanitaire majeure, une crise diplomatique majeure arrive. Il est encore très difficile de se projeter aujourd’hui. Quelle que soit la chose qui touche l’opinion publique, les candidats sont obligés d’adapter leur stratégie. 

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

Cette campagne présidentielle restera à mon sens gravée comme étant une campagne totalement atypique, voire même inédite. Dans les QG de campagne, il faut réorganiser toutes les stratégies alors qu’elles étaient déjà arrêtées. Mais avant le début de l'invasion, c'était difficile. D’un côté, il y avait le président pas encore déclaré candidat et de l’autre tous les autres candidats. La situation était déjà assez inédite avec un président en train de réfléchir à entrer le plus tard possible en campagne, ce qui peut se comprendre d’un point de vue stratégique. Là, la crise vient se mettre par-dessus, retarde un peu plus l’entrée en campagne d’Emmanuel Macron sous une forme atypique. 

TV5MONDE : Justement, dans sa lettre d’annonce de candidature, Emmanuel Macron a affirmé qu’il ne pourra pas "mener campagne comme (il) l’aurait souhaité en raison du contexte", qu’est-ce que ça signifie ? 

Christel Bertrand : Sans parti pris, on a quand même un président de la République en train de gérer une guerre. Il préside en plus le Conseil de l’Union européenne, ce qui n’est pas neutre, donc il ne pourra pas faire campagne et cela se comprend aisément. Hormis ses adversaires dont c’est le jeu, personne ne va lui en tenir rigueur. Contrairement aux autres candidats, Macron ne joue pas sa notoriété lors de cette campagne, mais son image, qu’il est en train de modifier avec ces crises successives. 

Quand on est en campagne, c’est un peu la crise perpétuelle, c’est pour ça que ça les galvanise.Christel Bertrand, consultante en communication politique et communication de crise

Il va être obligé de faire de la communication de crise, mélangée à de la communication politique de campagne, ce qui est assez proche. Quand on est en campagne, c’est un peu la crise perpétuelle, et cela les galvanise. C'est assez perturbant. 

Faire campagne, en termes de communication, c’est émouvoir, convaincre et séduire. Et là, on rajoute de la communication de crise, qui est d'informer, d'expliquer et de rassurer.Christel Bertrand, consultante en communication politique et communication de crise

TV5MONDE : Comment les candidats peuvent-ils se démarquer dans un tel contexte ? 

Christel Bertrand : Emmanuel Macron va se démarquer parce qu’il est président, parce qu’il préside le Conseil de l’Union Européenne. Pour l’instant, la communication de crise prend le pas, les impératifs sont : informer les citoyens, expliquer le positionnement de la France et de l’Europe, mais surtout rassurer. Ce dernier point se rapporte à la question "comment convaincre" qui renvoie à la communication politique hors temps de crise. Là, tout se mélange. 

Faire campagne, en termes de communication, c’est émouvoir, convaincre et séduire. Et là, on rajoute la communication de crise, qui est informer, expliquer et rassurer. En mélangeant les deux, nous avons la situation actuelle. A partir de là, impossible de prédire la suite des événements. 

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

Pour les autres candidats, c’est plus compliqué, parce que déjà ils avaient posé une stratégie de campagne complètement atypique, avec l’entrée fracassante d’Éric Zemmour, qui donne une espèce de grosse primaire à droite pour le premier tour, avec Valérie Pécresse, Marine Le Pen et Eric Zemmour. Déjà en temps de Covid, ces candidats avaient du mal à se démarquer et tapaient sur la gestion d’Emmanuel Macron. 

Là, nous sommes dans un contexte de guerre qui nécessite plus de consensus national. On le voit bien à travers l’attitude de Marine Le Pen qui a modifié ses éléments de langage par rapport aux réfugiés ukrainiens. Elle a identifié qu'Eric Zemmour se cantonnait à ses positions de refus d’accueil des réfugiés, même s’il se montre un peu plus souple.

TV5MONDE : Chaque candidat a dû expliciter ses positions sur ce conflit, quels sont les enjeux de tels positionnements ? 

Christel Bertrand : Pour Zemmour, cette guerre est ce qui pouvait lui arriver de pire compte tenu des déclarations précédentes qu’il a eues vis-à-vis de Poutine. Marine Le Pen est dans une situation similaire mais dans une moindre mesure. Tous deux doivent faire preuve de beaucoup d'imagination pour modifier l’image de leur positionnement par rapport à la Russie. Ils sont pénalisés par leur positionnement précédemment tranchée sur la Russie mais qu'ils ont dû modifier aujourd'hui ce qui brouille leur message. 

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

Il y a quelques années, Éric Zemmour disait qu’il rêvait d’un "Poutine à la française". Maintenant que ce dernier est devenu l’ennemi du monde entier, le candidat doit faire un grand écart pour se rattraper. C’est la même chose à gauche pour Jean-Luc Mélenchon, le candidat de la France Insoumise. Lui et les deux candidats d’extrême-droite ont les mêmes enjeux stratégiques par rapport à leurs positionnements précédents vis-à-vis de la Russie. Ils ne sont plus concurrents.

Il faut savoir jouer à l’équilibriste pour trouver le juste milieu entre union nationale et concurrence en vue de l’élection à venir.Christel Bertrand, consultante en communication politique et communication de crise

Pour Valérie Pécresse, c’est différent. La candidate de droite des Républicains se pose en concurrente, en disant "moi je gèrerai mieux." Mais elle est aussi dans un couloir qui n’est pas facile. Elle aurait très bien pu décider d'utiliser son comité stratégique pour remettre les conclusions de ce comité à Emmanuel Macron, en vertu de l’union nationale. Ce:la aurait été un choix compliqué, mais c’était une option. Il faut savoir jouer à l’équilibriste pour trouver le juste milieu entre union nationale et concurrence en vue de l’élection à venir. 

TV5MONDE : Emmanuel Macron se retrouve-t-il avantagé par rapport aux autres candidats ? 

Christel Bertrand : Son allocution la veille de sa déclaration de candidature était millimétrée, nécessaire. Il fallait être ferme, transparent. C’est comme si le maître des horloges avait remis les pendules à l’heure non seulement avec Poutine, car il s‘adressait aussi aux autorités russes, mais aussi avec ses propres concurrents. Il y a toujours moyen de tirer une opportunité de chaque crise, il faut savoir s’adapter. Emmanuel Macron n’a pas déclenché cette guerre. Dans une stratégie de campagne, on peut rassurer l’opinion publique mais surtout, réussir à convaincre les Français qu’ils peuvent lui faire confiance. Une opinion publique qui n’aurait pas confiance en son chef d’État au moment où il doit gérer une guerre, c’est compliqué pour gérer une élection. 

Le moindre faux-pas, surtout qu’il reste peu de temps, va être fatal à un candidat, quel qu’il soit.Christel Bertrand, consultante en communication politique et communication de crise

Par ailleurs, Emmanuel Macron est chef des armées. Comment Valérie Pécresse peut convaincre qu’elle sera une meilleure cheffe des armées, alors qu’elle n’est pas à la tête de la gestion de cette crise ? L’enjeu pour les candidats, hormis le président de la République, c’est de savoir comment exister dans cette campagne où on pensait qu’on allait parler de la crise sanitaire, mais qu’on se retrouve avec une guerre. Autant pendant la crise sanitaire, ils avaient la réalité du terrain car l’enjeu était franco-français, même s’il y avait des paramètres extérieurs. Là, Emmanuel Macron est le seul à détenir certaines informations stratégiques. L’information c’est le pouvoir. Valérie Pécresse aura beau mettre en place un comité stratégique pour réfléchir à la gestion de la guerre, mais il est difficile de défendre une stratégie sans avoir les informations d’Emmanuel Macron.

Aujourd’hui, il reste impossible de savoir comment va se dérouler cette campagne, car il y a un paramètre extérieur, et non des moindres, la guerre qui s’invite. Le moindre faux-pas, surtout qu’il reste peu de temps, va être fatal à un candidat, quel qu’il soit.