Présidentielle en Haïti : 5 morts après le résultat du premier tour
Des affrontements sporadiques se sont poursuivis jeudi en Haïti pour le troisième jour consécutif. Un manifestant a été tué dans l'après-midi dans le centre de Port-au-Prince portant à au moins cinq le nombre des victimes de ces violences. À l’origine des heurts, le résultat provisoire du premier tour de la présidentielle. Si celui-ci confirme l’avance attendue de Mirlande Manigat, il porte aussi au deuxième tour le candidat du pouvoir, Jude Celestin, au détriment du favori, Michel Martelly. Depuis Port-au-Prince, notre envoyé spécial raconte cet embrasement.
Il est un peu plus de 21 h mardi 7 décembre. À Pétionville, le Conseil électoral provisoire tient conférence de presse avec trois heures de retard. Dehors, les médias relayent. Aux deux premiers noms proclamés par son porte-parole, on soupçonne que les heures suivantes seront difficiles. On est fixé en quelques minutes. C’est d’abord un bruit, une rumeur très audible, montée des profondeurs de la ville, des maisons, des camps de sinistrés. Bientôt des clameurs couvrant progressivement le son des radios qui continuent d’égrener les scores de la quinzaine de petits candidats. Dans la rue, des ombres de plus en plus précises, plus nombreuses, plus denses, des cris. Des groupes se forment dans la demi-obscurité. Des pneus s’enflamment. Des barricades s’érigent. Jets de pierres. Coups de feu. Nombreux, un peu partout. Pas de front, pas de cortège, pas d’organisation. L’émeute est diffuse, mobile, imprévisible. Des sirènes ; des poursuites dans la nuit. La police tire, ici et là, des grenades lacrymogènes, des balles. Quelques rafales d’armes automatiques. On se terre, on attend. Le silence ne revient que vers trois heures du matin. MAÎTRES DE LA RUE Au petit jour, Pétionville se réveille couverte de barricades fumantes, fermée à tout trafic. Maîtres de la rue, armés de bâtons ou de pierres, des groupes de « partisans de Martelly » désormais visibles se déplacent dans un sens ou dans l’autre. Dans Port-au-Prince, différents cortèges se forment. Des permanences du parti au pouvoir sont dévastées. Ce sera, pourtant, dans les premières vingt-quatre heures, à peu près tout. Après les réserves de fait émises par les États-Unis, l’Union européenne ou les Nations-Unies sur la validité des élections, Martelly appelle dans l’après-midi à « manifester sans violence ». Il semble entendu. Les manifestations se poursuivent mais n'embrasent pas la capitale.
AVERTISSEMENT Malgré l’extrême tension, les débordements comme la répression y sont finalement restés limités à l'inverse de villes de province (quatre tués aux Cayes, dans le sud du pays). Peu de pillages ou d’agressions physiques même si un manifestant a trouvé la mort jeudi près du palais présidentiel dans des circonstances controversées. Mais si l’émeute n’a pas basculé en insurrection, elle n’en demeure pas moins un net avertissement, adressé à tous, le plus sérieux depuis le séisme. Au-delà de sa motivation strictement politique – un candidat populaire écarté du second tour alors que tous les pronostics le donnaient finaliste - elle traduit l’exaspération d’une population à l’égard de malheurs qui ne sont pas tous imputables à la seule nature. Au discrédit – consommé - de sa classe politique régnante s’ajoute une désaffection croissante vis-à-vis de l’étranger. BLESSURE DE TROP Près d’un an après un tremblement de terre historique qui a causé trois cent mille morts, un million et demi de sinistrés demeurent sans abri et le pays exsangue en dépit des milliards de dollars promis par la communauté internationale, toujours peu visibles au ras des ruines ou des tentes, confronté de surcroît à un choléra vraisemblablement apporté par une armée onusienne de moins en moins appréciée. Peu de Haïtiens entretenaient de grandes illusions sur la portée de l’élection présidentielle (moins d’un quart des inscrits a voté et Michel Martelly, pour populaire qu'il soit dans certains quartiers, n'était nullement porté par une immense vague) mais le détournement soupçonné de son résultat représente aujourd’hui pour beaucoup la blessure de trop.