Présidentielle en Roumanie : la lutte contre la corruption au coeur de la campagne

Les Roumains votent ce dimanche 24 novembre au second tour de l’élection présidentielle. Le président sortant de centre droit, Klaus Iohannis est donné favori.  Avec plus de 37% des voix,  il devance largement Viorica Dăncilă. L'ancienne Première ministre a recueilli 22% des voix. Elle appartient au PSD, le parti réformiste, issu de l'ancien parti communiste. Retour sur cette campagne électorale et sur les enjeux de cette élection.
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Le Président de centre droit Klaus Iohannis a mené une campagne sur le thême de lutte contre la corruption.
AP Photo/Vadim Ghirda
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 Traian Sandu est spécialiste de la Roumanie contemporaine et enseigne à l'université Paris III. Il est spécialiste de l'histoire roumaine. Il revient sur la campagne électorale et les enjeux de ce second tour.

 
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Traian Sandu, historien, est l'auteur d'une Histoire de la Roumanie chez Perrin.
Traian Sandu

TV5 MONDE : le président sortant Klaus Iohannis est largement arrivé au premier tour devant l'ancienne première ministre socialiste Viorica Dăncilă. Comment analysez-vous les résultats de ce premier tour et le ton de cette campagne électorale ?

Traian Sandu : la campagne a été relativement terne. Klaus Iohannis était assuré d'arriver largement en tête. Le PSD, parti social démocrate, héritier réformiste de l'ancien parti communiste, était donné largement battu et l'ancienne première ministre, qui a été débarquée du pouvoir il y'a deux mois, n'était même pas assurée d'être au second tour. Klaus Iohannis a préféré ne pas prendre de risques pour garder son avance confortable. Le refus de tout débat présidentiel avec sa concurrente Viorica Dăncilă en est une parfaite illustration. Les enjeux économiques et sociaux ont été peu abordés durant cette élection. La question de la corruption a été très présente dans cette campagne.

Comment peut-on expliquer une telle  chute du PSD ? Les sociaux-démocrates étaient encore à la tête du gouvernement il y'a quelques semaines ?

C'est un véritable effondrement. Son électorat a été divisé par deux en trois ans. Son principal chef le sulfureux Liviu Dragnea a été incarcéré en mai dernier pour corruption. Ils n'ont plus de chef charismatique. La corruption du parti a été très mal perçue dans le pays dans un contexte de grande pauvreté. La corruption touche un large spectre des élites politiques en Roumanie mais le PSD, issu de l'ancien parti communiste, a hérité des anciens réseaux de Nicolae Ceaușescu (NDLR : ancien dirigeants de la Roumanie communiste  de 1967 à 1989 ) au sein de l'administration et de l’Etat et a porté la corruption à un niveau rarement atteint. La tentative de démantelement de l'arsenal anti-corruption par les élites du PSD a mis le pays sour la surveillance de l'Union européenne. Le président Klaus Iohannis, opposé à ce gouvernement s'est alors présenté comme un défenseur de l'État de droit et de l'indépendance de la justice face au pouvoir politique.

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Le faible score de l'ancienne Première ministre symbolise les dificultés du PSD, parti qui a dominé la vie politique roumaine ces 30 dernières années.
AP/Alexandru Dobre


Comment peut-on qualifier la situation économique et sociale dans le pays ?

Le pays a fortement souffert de la crise économique de 2008. Un peu plus de 200 000 postes de  fonctionnaires ont été ainsi supprimés dans le pays en 2009 et 2010. La casse sociale a été très violente. La crise de la dette grecque a quelque  peu effacé  les difficultés sociales  et économiques réelles des anciens pays du bloc communiste. L'arrivée au pouvoir en 2016 du PSD a permis de mettre fin à la décroissance des effectifs de la sphère publique et aux politiques d’austérité.  Mais cette politique plus sociale a été rendue invisible par les scandales de corruption qui ont touché le PSD.  Ce fut une situation politique totalement contradictoire. Le gouvernement du PSD était accusé de corruption et en même temps il tentait de lutter contre la petite corruption du quotidien, celle des bakchiches, en cherchant à augmenter certains fonctionnaires.
La première ministre du PSD, Viorica Dăncilă, a dû quitter le pouvoir suite à une motion de défiance au Parlement. Depuis deux mois, le président Klaus Iohannis a  donc un gouvernement à sa main, quoique minoritaire. Le centre droit au pouvoir,  n'a pas remis en cause pour l'instant cette politique de redistribution et de relance de l'économie par la demande. Il a poursuivi la politique d’augmentation de la rémunération des agents publics. Les médecins, par exemple,  ont été augmentés et on constate un ralentissement de l'exil des praticiens vers d'autres pays de l'Union européenne.
 

Une élection qui intervient après 21 mois de cohabitation houleuse
Vainqueurs des élections législatives en 2016, contre le camp de centre droit du président Klaus Iohannis, le PSD pensait remporter la mise avec les élections présidentielles autour de son chef  Liviu Dragnea, âgé de 55 ans. Ce dernier n’a pas pu être premier ministre en raison d’une condamnation pénale à deux ans de prison avec sursis pour fraude électorale. Président de la Chambre des députés, il a essayé à plusieurs reprises de modifier les lois concernant la justice afin de blanchir son casier judiciaire, mais il s’est heurté à une vague de manifestations antigouvernementales. Les sociaux-démocrates ont modifié le code pénal afin de tenter une fois de plus de sauver leur chef . Klaus Iohannis s'est livré à une guerre d'usure pour entraver la réforme du système judiciaire menée au pas de charge par le PSD.

Les élections législatives devraient suivre ces élections présidentielles.
Qui est favori ?


Le centre droit du président Klaus Iohannis devrait remporter ce second tour assez largement . Le PSD est en trop grande difficulté. Ce sera difficile  pour lui de remporter les élections législatives d’ici quelques mois. Mais les citoyens roumains ne donnent pas un chèque en blanc au centre droit. Ils veulent qu'une politique plus sociale soit appliquée pour tenter de sortir de la pauvreté de nombreux Roumains.

L'économie roumaine retrouve la croissance.
Après la chute du communisme en 1989, le pays a lancé un grand programme de privatisation. Mais la transition du communisme vers le capitalisme s’est avérée difficile, la base industrielle du pays étant largement inadaptée aux besoins des consommateurs. La corruption et la lourdeur administrative héritées du système Ceausescu ont longtemps pesé sur la croissance roumaine. La Roumanie reste un des pays les moins développés de l’Union européenne. Le secteur agricole, qui représente seulement 5% du PIB, emploie encore 26% de la population. Le succès de Dacia, une marque historique roumaine rachetée en 1999 par Renault est une belle illustration des avantages du pays: disposer d’une main-d’œuvre peu coûteuse au sein même du marché intérieur européen. Le pays a retrouvé une croissance économique soutenue en 2018 avec plus de 5 pour cent. Mais un défi reste immense : conserver sa main d'oeuvre qualifiée tentée d'aller travailler dans d'autres pays de l'Union européenne.