Fil d'Ariane
Il y a trois mois, il ne pouvait pas perdre. Donné gagnant de la présidentielle sans coup férir à la place d'un Alain Juppé pulvérisé à l'automne, il est l'accident industriel du scrutin, comparable à celui six ans plus tôt de Dominique Strauss Kahn.
En dépit d'un léger sursaut, il n'a pu se dégager du bourbier où l'a plongé non sa dépendance au sexe mais son sens développé de la famille. Désastre total. Pour la première fois dans l’histoire de la Vème République fondée par le général de Gaulle un peu pour elle, la droite classique est absente du second tour d’une présidentielle.
La défaite de François Fillon (20 %) n’en est pas moins avant tout personnelle et c'est un peu vite que certains y voient l'expiration ultime de sa famille politique, l'acte de décès de son parti ou la fin des clivages qu'il marque. Les primaires de la droite ont mobilisé dans une certaine ferveur en novembre dernier 4,4 millions de français que rien n'obligeait à se déranger. Le parti Les Républicains dirige la moitié des régions, 44 départements, la moitié des villes de 70 000 habitants. C'est plus que des beaux restes. C’est aussi une force encore opérationnelle pour l'avenir et une implantation dont peut rêver Emmanuel Macron, qui a encore à cet égard tout à conquérir.
Sa guérilla de l'intérieur contre les accès libéraux-autoritaires du quinquennat de François Hollande (Loi Macron, déchéance de nationalité, Loi Khomry, 49.3) a bien contribué à affaiblir les gouvernements de ce dernier mais n'a pas réussi à structurer une alternative. Les primaires socialistes ont exprimé un profond rejet du social-libéralisme au pouvoir mais Benoît Hamon n'a pu en recueillir durablement le fruit.
Son leadership sur la gauche s'est vite avéré n'être qu'un souffle de primaire, désastreux par les illusions qu’il a propagées. Comme frappé de l'atavisme politicien tant reproché à son parti, il s'est concentré sur une alliance d'appareil avec des écologistes en perdition, sous-estimant à l’inverse une France insoumise de Jean-Luc Mélenchon déjà solidement implantée. Il n'aura finalement réussi qu'à l'entraîner dans sa perte, la privant des quelques points qui pouvaient arithmétiquement et logiquement amener au deuxième tour un courant de pensée socialiste et de réforme pas si éloigné du sien.
Tout comme à droite, il n’en serait pas moins hâtif de voir dans ce revers historique (6,4 %) la disparition du Parti socialiste. Même ramené depuis des années à un parti d’élus plus que de masse, celui-ci conserve comme les Républicains une implantation locale et de puissants relais qu’une catastrophe ne suffit pas à balayer. Tiraillé entre l’attraction de l’étoile Macron qui travaille ses cadres et un électorat traditionnel qui a signifié – lors de ses primaires, notamment – son attachement aux « valeurs de gauche », l’épreuve des législatives s’annonce pour le P.S. aussi compliquée que déterminante.
Avec 19,6 % des voix, Jean-Luc Mélenchon réussit un score supérieur aux meilleures prévisions sondagières, à moins de deux points de Marine le Pen. Il est largement en tête à Marseille, Toulouse, Montpellier, Rennes et dans de nombreuses autres villes dont celle de Manuel Valls (Evry, 35%), dans plusieurs départements dont une grande part des DOM-TOM, à 34 % dans la Seine Saint-Denis. S'il reste nationalement à un peu moins d'un demi-point de François Fillon, c'est dans une dynamique inverse, partant de rien et non après soixante ans d’exercices du pouvoir. Bref, il y a des défaites plus cuisantes et la France insoumise peut se comparer électoralement sans rougir à ses prédécesseurs de Podemos.
Le problème est que – contrairement au mouvement espagnol issu de la rue - ni Jean-Luc Mélenchon ni ses proches n'ont jamais beaucoup évoqué d'autres projets que ceux découlant d’une victoire à la présidentielle (Constituante, 6ème république, révision des traités…). Leur non-accès à cette marche semble les prendre étrangement de court et les laisser aphones ou déprimés, peinant à enchaîner et mobiliser les énergies pour la suite.
Au delà de leur réponse à la sommation – également prévisible - qui leur est faite de soutenir leur ennemi Macron - incarnation du libéralisme - ou d’être dénoncé comme complice de l’extrême-droite, on saura dans les jours qui viennent si les insoumis s'imposent comme une force politique majeure ou un souvenir de plus.
Jusqu'au mois dernier, la plupart des sondages créditaient la chef du Front National de plus de 26 % et les meilleurs lui prévoyaient jusqu'à près de 30 %. Elle-même voyait comme acquis d’arriver en tête du premier tour.
Elle devra se contenter de 21,5 % et d’une seconde place non loin des deux suivants. Ce n'est pas la même chose, même si elle gagne plus d'un million de voix par rapport à l'élection de 2012 (qui lui était peu favorable, Nicolas Sarkozy occupant largement son terrain). Le morcellement de l'électorat et le fratricide suicidaire de la gauche (Benoît Hamon se maintenant en machine à perdre) lui ouvrent à l’édition 2017 une qualification pour le deuxième tour.
Contrairement à celle de son père quinze ans plus tôt, celle-ci survient pourtant cette fois sans surprise. Elle n’apporte pas non plus d’avantage de promesse de victoire. « Le plus dur reste à faire », ironisait lundi celui-ci en connaisseur. « Marine le Pen n’est aujourd’hui pas en mesure de remporter la présidentielle, affirme le directeur de l’institut IPSOS Brice Teinturier (interview à l’Obs du 20 avril 2017). Pour l’emporter au second tour, il lui faudrait obtenir, suivant l’abstention, 14 à 16 millions de voix ». Elle en est à 7, 6 millions, un peu moins de la moitié ; ce n’est pas l’hypothèse la plus probable. La répétition de succès sans lendemain risquent à la longue de lasser son impétueux électorat.
Presque inconnu il y a encore deux ans sinon par ses autocars libéralisés, jamais élu, il est devenu sur le champ de ruines des deux grands partis de gouvernement, l’homme de tous les succès. Disant à chacun ce qu’il veut entendre ou croire et souvent dans l’ambiguïté d’un discours frôlant le vide, il s’est imposé (24 %) comme le porteur d’un libéral-progressisme « bienveillant » supposé consensuel.
Jugeant dans l’ensemble préférable de voler au secours de la victoire, la classe politique sortante en est venue depuis dimanche à le soutenir presque unanimement pour le second tour, et pas seulement pour la raison alléguée de « faire barrage à l’extrême-droite ». Les dirigeants européens s’enthousiasment sans retenue diplomatique, la bourse s’euphorise.
La limite de l’exercice est que la « France qui gagne » convaincue par un langage de start up, de winners et de mondialisation heureuse n’est quand même pas toute la France et que le scrutin du 23 avril a confirmé au contraire l’aggravation d’une fracture nationale redoutable. Un Français sur six a voté au premier tour pour Emmanuel Macron. Un sur deux, le même jour, a exprimé avec neuf candidats sur onze son aversion des valeurs qu’il représente (finance, réussite, libéralisme, mondialisation, traités européens …).
La configuration électorale rend son élection presque certaine et Emmanuel Macron deviendra logiquement, le 7 mai, le huitième président de la cinquième République dans la joie médiatique générale. Il lui faudra plus que son talent pour conserver dans la durée mieux que ses deux prédécesseurs l’adhésion des Français qui l’ont élu et l’acceptation des autres.