Présidentielle française : l'hyper-spectacle médiatique ?

Pour la première fois, un débat télévisé entre les cinq principaux candidats a lieu avant le premier tour de scrutin de la présidentielle française. Une preuve de l’infernal engrenage médiatique illustré par les primaires de droite et de gauche. Décryptage signé Richard Werly, correspondant à Paris du journal suisse Le Temps.
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Benoît Hamon est pourtant l’exact opposé du candidat spectaculaire. Le vainqueur de la primaire socialiste, apparatchik du parti au ton très professoral, a de nouveau démontré à l’Accor-Arena de Bercy, dimanche 19 mars 2017 à Paris, qu’il lui reste beaucoup à apprendre pour acquérir le savoir-faire d’orateur de Jean-Luc Mélenchon, son concurrent de la gauche radicale qui, la veille, avait réuni entre 60 et 100 000 partisans place de la République.

N’empêche: devant environ 15 000 personnes dimanche, le candidat du PS a soigné le spectacle. Réalisée (comme pour ses adversaires) par une société appointée par son équipe de campagne, la retransmission en direct de son meeting a soigné les effets et les séquences. Zoom sur les drapeaux brandis par les militants des jeunesses socialistes. Vues de haut pour soigner l’effet de foule. Sur l’estrade, les caméras des quatre chaînes d’information continue complétaient, elles, par leurs propres images : "L’intensité médiatique de cette campagne est maximale" nous confirmait samedi Laurence Haïm, porte-parole d’Emmanuel Macron, en marge du discours de ce dernier sur la défense. Avis d’experte, de la part de l’ancienne correspondante de Canal Plus aux Etats-Unis, ralliée à En Marche ! fin 2016.

Pour la première fois en France

La preuve de ce tsunami médiatico-télévisuel, sera apportée lundi 20 mars 2017 à 21 heures par TF1 et LCI. Pour la première fois de l’histoire politique française, un débat réunit avant le premier tour les cinq candidats crédités de plus de 10% par les sondages. Jusque-là, seul un débat de l’entre-deux tours avait lieu. Marine Le Pen, Emmanuel Macron (les deux étant donnés ex aequo au premier tour, autour de 26%, par un sondage Odoxa ce week-end), François Fillon (19%), Benoît Hamon (12,5%) et Jean-Luc Mélenchon (10,5%) se retrouveront devant les caméras.

C’est la première fois que la présidente du Front national débattra en public avec tous ses adversaires alors que Jacques Chirac, en 2002, avait refusé le duel télévisé avec son père Jean-Marie Le Pen, en finale de la présidentielle. Un second débat aura lieu le 20 avril, et une présence audiovisuelle accrue sera accordée en compensation aux six autres candidats officialisés samedi par le Conseil constitutionnel, mais non conviés: Nathalie Arthaud, François Asselineau, Jean Lassalle, Jacques Cheminade, Philippe Pouthou et Nicolas Dupont Aignan (qui a quitté le plateau de TF1 -samedi 18 mars 2017- pour protester).

Les journalistes de TV sont devenus les principaux adversaires des candidats. Ils transforment toute prise de parole en duel.

Cet hyper-spectacle a été rodé durant les primaires de la droite et du PS, marquées par l’ascendance cathodique de François Fillon et de Benoît Hamon, qui n’étaient pas favoris. Malgré le flop relatif des débats de la primaire socialiste avant le premier tour, les téléspectateurs ont été massivement au rendez-vous sur les grandes chaînes ou sur les quatre chaînes d’information continue (record d’Europe): BFM TV, CNews (Ex Itélé), LCI et Francetvinfo.

Résultat : 26% d’émissions politiques en plus en 2016 selon Médiamétrie. 47,5 millions de téléspectateurs disaient l’an dernier avoir regardé une émission politique contre 40 il y a cinq ans. Retransmise souvent dans les cafés, BFM a imposé son style saccadé, confrontationnel. "Les journalistes de TV sont devenus les principaux adversaires des candidats. Ils transforment toute prise de parole en duel, en spectacle, en pugilat", déplorait devant nous, en janvier, Patrick Stefanini, l’ex-directeur de campagne de François Fillon.

Dans cette campagne française, beaucoup se joue en temps réel. La vitesse, la formule, la vidéo courte qui fait mouche sont des armes bien plus létales qu’auparavant.

Cette imprévisible campagne a en plus un parfait casting. Auteure de J’ai vu cinq présidents faire naufrage (Ed. Robert Laffont), Christine Clerc le reconnaît. "Macron en Bonaparte, Fillon en outsider vainqueur seul contre tous, Hamon en candidat surprise, Mélenchon avec sa verve révolutionnaire et Le Pen de plus en plus impériale. Pour des caméras à la recherche de contraste, c’est parfait". Internet, les médias sociaux et les fake news (fausses nouvelles lancées via les réseaux sociaux NDLR) accélèrent l’engrenage. "Dans cette campagne française, beaucoup se joue en temps réel. La vitesse, la formule, la vidéo courte qui fait mouche sont des armes bien plus létales qu’auparavant," juge Pierre Haski, coordinateur d’un programme de surveillance des «fake news» de la fondation Soros et auteur du Droit au bonheu (Ed. Stock).

Une rébellion anti-médias

Le contrecoup de cette frénésie télévisuelle est… un sentiment de ras-le-bol et une rébellion anti-médias de plus en plus forte du côté des électeurs qui s’inquiètent d’être manipulés. Un sentiment très fort aujourd’hui, vu les ennuis judiciaires de François Fillon, chez ses partisans. Lesquels reprennent les accusations du Front national sur "BFMacron", reprochant à la chaîne de gonfler la bulle médiatique autour de l’ancien ministre. Jean-Luc Mélenchon, lui, dénonce le "lepénisme médiatique" qui consiste à trier les sujets sur lesquels les candidats sont interrogés pour "protéger le système".

Face à des Français plus indécis que jamais (66% seulement sont certains d’aller voter), ce média-bashing (dénigrement des médias NDLR) est explosif selon Philippe Pascot, auteur de plusieurs livres sur les privilèges des élus : "Plus ils abusent de cette campagne pour faire de l’audience, plus les journalistes paieront cher le prix de leur connivence, et de leurs pressions sur le suffrage universel. S’ils se sentent floués, les électeurs se vengeront". Le titre de son dernier livre est annonciateur: "Allez (presque tous) vous faire…" (Ed. Max Milo).

► Retrouvez l'intégralité de l'article de Richard Werly sur le site de nos partenaires suisses Le Temps