Présidentielle française : Marine Le Pen, pour une alliance avec Trump et Poutine

La présidente du Front national présentait jeudi 23 février 2017 ses propositions en matière de défense et de diplomatie. Chahutée par une militante des Femen, la candidate à la présidentielle a promis d’en finir avec la politique des droits de l’homme.
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Marine Le Pen, candidate française du Front national à l'élection présidentielle 2017, participe au débat sur le Forum de la construction "Re-Investissons la France" à Paris, jeudi 23 février 2017
© AP Photo/Francois Mori
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Marine Le Pen s’est, jeudi 23 février 2017, rapprochée un peu plus de Vladimir Poutine et de Donald Trump. A peine avait-elle commencé à prendre la parole pour exposer ses propositions présidentielles en matière de diplomatie et de défense que la présidente du Front national s’est retrouvée face à une activiste Femen debout, seins nus et poitrine barrée du slogan « Marine, féministe fictive ».

Rendues célèbres par leurs actions anti-Poutine, ou par leurs irruptions lors des meetings du président américain, les militantes Femen ont de longue date la candidate du FN dans le collimateur. La scène, filmée par les chaînes de télévision étrangères, n’a toutefois guère perturbé son discours entièrement consacré à la future mise en œuvre de la préférence nationale française, et au démantèlement annoncé de la « politique systématique des droits de l’homme » par celle que les sondages voient déjà remporter, dans soixante jours, le premier tour de la présidentielle.
 

L’UE, une « construction artificielle »

 

L’axe international de Marine Le Pen n’est pas surprenant. Tout tournera, si elle est élue présidente de la République française, autour de la nation, de l’indépendance et de l’équilibre. La nation, comme objectif pour remplacer « cette Union européenne caricaturale qui vit et fonctionne en dehors du monde », que la candidate du FN jure de « remettre à plat » après avoir remporté son face-à-face initial avec Berlin. « Soit l’Allemagne accepte de négocier, soit la France trouvera d’autres voies », a-t-elle prévenu devant un parterre d’ambassadeurs au sein duquel les diplomates des 28 brillaient par leur absence.

Même l’ambassadeur du Royaume-Uni, plusieurs fois cité comme modèle pour le Brexit, était absent. Idem pour l’ambassadeur de Suisse à Paris et pour son collègue allemand, ancien « sherpa » d’Angela Merkel. Ils n’ont donc pas entendu Marine Le Pen s’en prendre de nouveau à cette « construction artificielle qu’est l’UE, affairée à diminuer la France ». Leurs homologues chinois, cubains ou Singapouriens avaient en revanche fait le déplacement.
 

Les États au centre

 

L’argument central de la présidente du FN – reçue pour la première fois en début de semaine par un chef d’Etat au Liban – est que les États doivent redevenir la clef de voûte de la diplomatie mondiale. Un refrain en contradiction avec la volonté affichée d’un « monde multipolaire », comme l’annonçait le panneau flanqué derrière elle par son symbole de campagne : la rose bleue horizontale. Car, dans la réalité, c’est un monde sans pitié et sans contre-pouvoirs auquel aspire Marine Le Pen.

Dénonciation des ONG, des fondations, et des organisations financières internationales qui profitent du renoncement des États ; promesse d’abandon du « deux poids deux mesures » trop souvent manié selon elle par l’Occident ; engagement à remplacer les droits de l’homme par « les droits des peuples »… Le tout, servi par un projet d’alliance entre Paris, Washington et Moscou. « Nous prendrons une initiative de sécurité commune avec les Etats-Unis et la Russie. Rien ne peut être tenu pour irréversible », a-t-elle asséné après avoir dénoncé les excès de la puissance américaine. Tout en jurant que, sous sa présidence, « aucune alliance ne décidera à la place de la France ».

Le fait marquant de cette présentation destinée à être retransmise sur les chaînes de télévision étrangères était peut-être néanmoins ailleurs : dans le ton sans concession adopté par la dirigeante frontiste. A peine quelques salutations d’usage avant de s’exprimer. Pas un mot de remerciement aux ambassadeurs présents. Une première salve sur la Turquie, puis un éloge de « la constance de l’âme des peuples » devant ce parterre de diplomates habitués au quotidien à négocier et à trouver des compromis. Le message, en filigrane, est limpide : la France présidée par Marine Le Pen s’installera à son tour dans le rapport de force. Avec, en premier lieu, la volonté de renouer rapidement des liens avec l’actuel régime syrien de Bachar el-Assad. Le principe de « non-ingérence » officiellement brandie par la candidate a les mêmes contours que celle défendue, au nom de la lutte contre le terrorisme islamiste, par Donald Trump ou Vladimir Poutine.

 

De bons sondages malgré tout

 

Que répondra Marine Le Pen lorsqu’elle sera interrogée par ses adversaires, en direct à la télévision, sur l’emploi par le Front national de faux assistants parlementaires européens ? Cette question taraude l’entourage de la présidente du FN depuis l’annonce d’un premier débat télévisé entre les candidats le 20 mars sur TF1. Pas d’impact, en revanche, sur la courbe des sondages qui continuent d’attribuer à la candidate une victoire éclatante au premier tour.

« Nos électeurs se fichent de savoir comment l’argent du Parlement européen a été utilisé, nous répétait jeudi soir un de ses conseillers. Nous faisons ouvertement campagne contre cette Europe-là et nous défendons les intérêts de la France. Alors… » Alors, Marine Le Pen défie la justice. Convoquée mercredi, la candidate a indiqué qu’elle ne se rendrait à aucune convocation policière ou judiciaire jusqu’aux élections législatives, en juin.
 

« Posture de victime du système »

 

La situation de Marine Le Pen, jusque-là, est à des années-lumière de celle qu’expérimente depuis fin janvier le candidat de la droite, François Fillon. Soupçonné d’avoir fait profiter son épouse d’un emploi fictif d’assistante parlementaire à l’Assemblée nationale entre 1998 et 2013, ce dernier a finalement juré de se présenter coûte que coûte, même s’il devait être mis en examen (alors qu’il avait initialement promis de renoncer). Rien de tel chez « Marine présidente », malgré la mise en examen de sa directrice de cabinet mercredi, dans l’affaire des faux assistants au Parlement européen, rémunérés au total près de 300 000 euros. Jusque-là, les électeurs d’extrême droite ne cillent pas. « Sa posture de victime du système la protège, expliquait en janvier le politologue Brice Teinturier. Contrairement à Fillon, elle ne s’est jamais drapée dans la moralité. »

Gare, toutefois, aux dégâts que pourrait causer cette affaire entre les deux tours si la présidente du FN se qualifie pour le duel final. S’il est facile de nier les détournements de fonds dans le tumulte des rebondissements de l’actuelle campagne, cela sera plus compliqué après le 23 avril, lorsque l’Elysée se rapprochera. La question de la probité des finalistes, et des liens financiers entre le Front national et la Russie par exemple, pourrait alors revenir au premier plan.

Richard Werly