Présider le CIO : un pouvoir politique mondial ?

L'élection de l'Allemand Thomas Bach à la présidence du Comité international olympique suscite de nombreuses controverses qui soulignent le caractère politique et l'influence planétaire de l'organisation internationale. Le CIO serait-il une machine commerciale dotée de super pouvoirs ?
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Présider le CIO : un pouvoir politique mondial ?
Thomas Bach, le nouveau président du CIO
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Thomas Bach, l'ancien champion d'escrime allemand, élu le 10 septembre dernier à Buenos Aires pour 8 ans à la tête du comité international olympique (CIO), est très contesté. Voire détesté par certains. Il faut dire que le CIO n'est pas une organisation comme une autre, et son président, un personnage à très forte influence. Thomas Bach est proche des milieux d'affaires, préside la chambre de commerce germano-arabe, mais surtout, son nom apparaît dans une affaire de corruption du groupe Adidas. L'ancien champion va diriger une organisation mondiale dont l'influence et le pouvoir sont de plus en plus importants, surtout depuis les derniers Jeux olympiques de Londres. C'est à cette occasion que le CIO s'est distingué par des interdictions ou obligations diverses et variées pour la protection des marques et des sponsors officiels. Par exemple, à cette occasion, seule l'entreprise MacDonald était autorisée à vendre des patates frites dans les enceinte des jeux… Basée à Lausanne, en Suisse, l'organisation internationale est détentrice de tous les droits sur les Jeux olympiques et elle semble posséder des pouvoirs tout à fait uniques qui l'autorisent à instaurer des lois d'exception dans les pays accueillants. Ces "pouvoirs" lui permettent de supplanter les constitutions nationales. Comment et pourquoi une organisation à but non lucratif, censée promouvoir les valeurs universelles du sport en est-elle arrivée à instaurer des "polices spéciales de surveillances des marques de sponsors", des "tribunaux de justice commerciaux" (olympiques), et une forme de "gouvernement olympique temporaire" financé par des multinationales ? Pascal Boniface, spécialiste de la géopolitique du sport et Patrick Clastres, historien du sport et de l'olympisme répondent à nos questions.
Quel est le pouvoir du président du CIO ? Pascal Boniface : L'époque où par exemple Juan Saramanch, le président du CIO était une sorte de dictateur, enfin disons, de président à poigne, est terminée. Aujourd'hui le président doit passer des compromis avec les différents membres, il n'a pas de majorité automatique, et donc il n'a plus les pleins pouvoirs. Il doit faire avec les différentes sensibilités, les différents sports, origines géographiques. Patrick Clastres : Le CIO et son président ne pèsent pas sur la paix du monde, malgré leurs proclamations, et leurs tentatives, par exemple, de réunir autrefois sous un même drapeau, les deux équipes allemandes ou coréennes. Cet impact est extrêmement limité. En revanche, le CIO est un acteur de la diplomatie du monde dans la mesure où il veut imposer son contrôle sur l'espace des sports face aux États. Le président du CIO est un président à la puissance deux, de par sa position entre espace sportif mondial, médias et grandes entreprises. Il y a eu plusieurs tentatives de constituer une sorte d'ONU du sport : dans les années 1920, puis à nouveau dans les années 1960, et le CIO est toujours parvenu à se défendre contre la main-mise des États sur le sport mondial. Sa chance c'est d'avoir été la première institution sportive mondiale faîtière. Le CIO est apparu en 1894, à un moment où les Fédérations internationales sportives (FIS) n'existaient pas, ni la Société des Nations. Les FIS apparaissent essentiellement entre 1904 et 1914 et la SDN en 1920 ! Mais le bras de fer entre le CIO et les fédérations sportives continue…
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Le siège du CIO à Lausane (Photo : AFP)
Pourquoi les JO ont-ils plus de poids que d'autres manifestations sportives internationales ? P.B : Les Jeux olympiques ont un rôle central parce qu'ils sont la seule manifestation a réunir tous les pays du monde. C'est un moment unique où tous les sports et tous les pays sont représentés, donc c'est le phénomène sportif qui intéresse tous les pays, et chacun peut espérer y remporter une médaille, c'est la quintessence même de l'événement sportif mondialisé. P.C : C'est un événement comparable aux Expositions universelles, d'ailleurs les Jeux olympiques modernes se déroulaient, à l'origine,  en même temps que l'exposition universelle. Comme en 1900 à Paris ou en 1908 à Londres (Exposition coloniale, ndlr). Mais si aujourd'hui les Expositions universelles ne déplacent pas les foules comme les JO, c'est parce qu'avec les Jeux il y a la passion du sport, une passion qui a été manipulée par les Etats dans le cadre d'une construction nationale. Les nationalismes se sont construits pour partie avec l'histoire du sport : les dictatures de l'entre deux-guerre, la dictature communiste, comme les démocraties, ont joué la carte de la prouesse sportive nationale pour fabriquer à bon compte du nationalisme.
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Juan Antonio Samaranch en 2000 (président du CIO de 1980 à 2001).
Pourquoi le CIO est-il autorisé à faire appliquer des lois d'exceptions qui peuvent contrevenir aux constitutions nationales ? P.B : Parce que les pays l'acceptent ! Le CIO n'a pas envoyé une armée à Brasilia pour imposer ses règles. On peut penser qu'il y a des conditions qui sont léonines (avantages disproportionnés par rapport aux obligations, ndlr), qu'il y a un super pouvoir du CIO, mais ce pouvoir n'est pas un pouvoir imposé aux autres, c'est le pouvoir qui est la contrepartie de son attractivité. C'est parce que les différents pays se battent pour obtenir les Jeux olympiques, qu'ils sont prêts à faire des concessions. On peut juger excessives les concessions et il faut certainement trouver l'équilibre, mais le CIO n'a pas intérêt à trop multiplier les contraintes parce que cela pourrait se retourner contre lui. Il pourrait avoir l'assentiment des gouvernements et le refus des populations, et si le CIO d'un seul coup n'était plus populaire, il perdrait de son pouvoir. P.C : C'est toute la prouesse de Juan Antonio Samaranch, qui lorsqu'il prend les rênes de l'institution en 1980 et qui doit gérer deux boycotts de grande ampleur, celui des Jeux de Moscou par les Etats-Unis et leurs alliés cette année là,  puis l'absence des Soviétiques et leurs alliés à Los Angeles en 1984. Sa prouesse, en quelque sorte, c'est d'avoir financiarisé les Jeux, d'avoir passé des alliances avec les grands médias. Les sponsors du CIO, le programme Top, c'est 1985. Cela assure au CIO une stabilité financière à l'échelle de 10 ans. Le matelas fiancier n'a cessé de croître et le CIO en est donc arrivé à mettre les Etats en compétition pour obtenir les Jeux olympiques. Le CIO impose donc aujourd'hui ses clauses aux cités organisatrices, pas aux Etats directement, mais ces clauses donnent tout pouvoir aux Jeux olympiques. Une sorte d'Etat temporaire, une forme étatique en tout cas, une autorité exécutive temporaire dans un espace délimité, qui est sanctionné par la loi. L'Etat s'engage à consolider le contrat passé entre la ville organisatrice et le CIO. Donc l'Etat concède au CIO une parcelle du pouvoir d'autorité dans l'espace olympique pour la durée des Jeux, et parfois même au-delà.
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Toutes ces images appartiennent au CIO et ne peuvent être utilisées pour un usage commercial ou non sous peine de sanctions pénales
Mais que gagnent ces pays organisateurs des JO ? Car certains pays se retrouvent surendettés à cause des investissements ... P.B : Il y a plusieurs types d'investissements. Ceux qui restent, comme les autoroutes, les aéroports. Après, est-ce que les enceintes sportives sont réutilisées ou non, ça dépend, bien sûr. Mais en fait, les pays disent que c'est en termes de prestige, de visibilité, d'image, de publicité gratuite que le jeu en vaut la chandelle. Les JO attirent du "soft power" : une popularité, une visibilité internationale. Pour la Chine en 2008 par exemple, le coût des JO ne comptait pas, parce que c'était l'équivalent d'une campagne de communication au niveau mondial et qu'ils en avaient largement les moyens. P.C : Il y a une sorte de démesure qui s'empare des leaders politiques. Ils pensent que les Jeux olympiques vont leur permettre de consolider leur pouvoir politique. Cela permet aussi à certains d'entre eux de faire disparaître du débat politique des dossiers socialement brûlants. Il y a en même temps une réelle focalisation de la planète entière sur un pays organisateur, il y a donc un effet de puissance médiatique et symbolique qui n'est pas à négliger. Mais si on se déplace, on trouve des villes qui ont été ruinées, comme Montréal, Athènes, et des Etats qui sont largement déstabilisés. Il y a une privatisation des bénéfices au profit des entreprises nationales et internationales, et une publicisation des dettes, qui doivent être remboursées par les Etats. De nombreux investissements sont accélérés, mais ce sont des investissements qui auraient été de toute manière effectués : les JO sont surtout un accélérateur. Le poids des multinationales dans le comité olympique, la proximité du nouveau président avec ce monde des affaires : peut-on dire que le CIO est sous influence ? P.B : Il y a eu des cas de corruption. L'attribution des Jeux de Salt Lake City en est l'exemple emblématique. Depuis, je crois que le ménage a été fait, que les gens regardent ça d'un peu plus près. Mais bien sûr, les multinationales ont du poids, parce qu'elles sont les sponsors et les bailleurs de fonds des JO. On voit bien, une fois encore, qu'elles ne veulent pas tuer la poule aux œufs d'or. Si les Jeux olympiques devenaient moins populaires, parce qu'on considérerait qu'ils sont truqués ou commandés uniquement par des intérêts commerciaux, ça ne marcherait plus. Les intérêts commerciaux existent mais ce ne sont pas eux qui dictent entièrement la loi, il y a des compromis qui sont passés en permanence. P.C : Aux origines du CIO, on avait des aristocrates fortunés qui ont financé sur fonds propres l'institution olympique. A partir des années 60, 70, il y a des contrats lucratifs qui sont signés avec les chaînes de télévision. Entre les deux, on a l'apparition d'un certain nombre d'hommes d'affaires : le président suédois Sigfrid Edström, de 1942 à 1952 dirige une compagnie électrique, ainsi qu'une compagnie d'ascenseurs, il représente aussi la chambre de commerce de Suède à New York. Son successeur, Avery Brundage, un Américain, a fait fortune à Chicago dans le bâtiment à l'époque d'Al CApone. Effectivement, y a une remontée des représentants du business dans le CIO. D'ailleurs, dans les candidats à cette dernière élection, il n'y avait que le Suisse qui n'était pas millionnaire.

Patrick Clastres

Patrick Clastres
Patrick Clastres est historien, chercheur associé au centre d'histoire de Sciences-Po, spécialiste de l’histoire du sport et de l’olympisme envisagés sous l’angle du politique et du culturel. Ses thèmes actuels de recherche concernent les passions sportives, les systèmes de valeurs affectés au sport, la neutralité politique prêtée au sport. Ses réflexions portent en outre sur l’épistémologie de l’histoire du sport, plus précisément sur les enjeux de la global history et de l’écriture biographique appliqués au sport.

Pascal Boniface

Pascal Boniface
Pascal Boniface est un géopolitologue français, fondateur et directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques. Il a notamment traité de l'arme nucléaire et du conflit israélo-palestinien avant de développer un intérêt croissant pour la géopolitique du sport, notamment du football.