Le dimanche 16 octobre, lors du deuxième tour de la primaire socialiste, les sympathisants de la gauche choisiront entre Martine Aubry et François Hollande, celui ou celle qui les représentera à la présidentielle de 2012. Un scrutin sans précédent en France. A droite, certains dans les rangs de l'UMP commencent à poser la question d'une primaire, mais à l'horizon 2017. Le mode de désignation par primaire est inspiré des Etats-Unis, mais aussi de l'expérience de la gauche italienne. Le journaliste américain Axel Krause et son confrère italien Alberto Toscano comparent les situations.
Axel Krause : “Les débats ressemblaient à des séminaires de Sciences-Po ! “
Journaliste américain
"Je crois tout d'abord que le système électoral présidentiel américain n'est pas comparable au système français - il y a beaucoup de choses à critiquer dans notre système d'ailleurs. Mais nous pouvons tout de même trouver de grands points de comparaison. Aux Etats-Unis, ce sont les militants qui votent dans chaque parti. En France cette année, n'importe qui peut voter pour élire le candidat socialiste (les précédentes primaires socialistes de 1995 et 2007 étaient «fermées», c'est-à-dire réservée aux seuls militants, NDLR). Je trouve ça difficile à comprendre et un peu curieux. Cela peut être risqué : si des gens qui ne sont pas socialistes, voire qui appartiennent au centre ou à la droite votent, cela peut biaiser le résultat. Imaginez que ce ne soit aucun des trois favoris - Aubry, Hollande et Royal - qui remportent l'investiture ! Autre différence entre les primaires américaines et françaises, c'est le nombre de candidats. En France, 6 hommes et femmes politiques sont candidats à l'investiture socialiste. De l'autre côté de l'Atlantique, alors que la bataille des primaires ne démarre officiellement que l'été prochain, côté républicain, il y a déjà 13 candidats déclarés, et trois personnalités politiques pourraient encore faire acte de candidature. Les débats sont aussi très différents. En France, les deux premiers débats de la primaire socialiste (le troisième se tiendra le 5 octobre à 20h30, NDLR) ont montré des candidats très consensuels. Il y avait quelques points de désaccords mais ils sont assez d'accord entre eux. Il n'y a pas non plus encore eu de «clash» entre les six candidats, alors qu'aux Etats-Unis, les attaques personnelles sont nombreuses. On aurait dit un séminaire à Sciences-Po ou à l'ENA (Ecole Nationale d'Administration, NDLR) ! Je ne suis pas sûr que ça ait passionné les Français. Un débat chez nous peut se comparer à un match d'escrime, où on essaie d'attaquer, de faire des synthèses et de mettre en avant les différences de chacun. Les Français ne sont pas des débatteurs, sauf peut-être lors du débat présidentiel. C'est en partie dû à une certaine réserve des journalistes. Enfin aux Etats-Unis, les primiaires se font dans chaque camp, démocrate et républicain. En France, est-ce que l'UMP va organiser une primaire (L'UMP avait organisé une primaire «fermée» en 2007, avec un candidat unique : Nicolas Sarkozy, NDLR) ? Je pense que ça peut se faire mais uniquement si Nicolas Sarkozy ne se présente pas."
Alberto Toscano : “Une primaire, c'est l'opportunité de mobiliser la population“
Journaliste italien
"En Italie, les primaires à gauche ont eu lieu à deux niveaux : élection nationale - pour choisir le chef de la coalition en vue de l'élection de président du Conseil - et élection locale - pour choisir le candidat aux municipales. Au niveau national, en 1996 et 2005, Romano Prodi était gagnant d'avance. La primaire n'a servi qu'à le légitimer. Le grand vainqueur a été la participation : plus de 4 millions d'Italiens ont voté. Au niveau local, les situations ont parfois été chamboulées : par exemple à Milan le candidat du Partito democratico (le principal parti italien de gauche, NDLR) n'a pas été celui choisi par les électeurs. Mais toute la gauche s'est ralliée à ce candidat et il est devenu maire de la ville. La primaire locale est un véritable instrument démocratique mais la lutte entre candidats est parfois très dure. Une élection primaire, c'est l'opportunité de mobiliser la population, et cela a vraiment bien fonctionné en Italie. Personne ne peut dire combien de personnes participeront à la primaire socialiste en France, mais je pense qu'il y aura au moins un million de votants. Au-delà du million, ce serait un succès. En-deçà, ça pourrait les desservir. Mais, comparé à l'Italie, il y a tellement peu d'inscrits dans les partis politiques en France, qu'il y a un risque de fracture entre la société réelle et le microcosme de la politique. Le mode de la primaire ouverte (une primaire «fermée» est réservée aux seuls militants, NDLR) est donc vraiment un pas en avant pour la démocratie. Durant les deux premiers débats français (le troisième se tiend le 5 octobre à 20h30, NDLR), j'ai trouvé que le seul véritable affrontement a eu lieu entre Manuel Valls et Arnaud Montebourg. N'ayant aucune chance d'arriver au second tour et donc rien à perdre, ils ont tout parié sur la clarté de leurs lignes politiques - le pragmatisme social-démocrate pour le premier et le populisme de la gauche radicale pour le second. Vu le niveau de machisme des Français, je pense que François Hollande, étant le seul homme parmi les trois favoris, va remporter cette primaire. A droite, je suis sûr que Nicolas Sarkozy sera candidat. Et je suis très prudent par rapport aux chances de la gauche. Je vous rappelle qu'il y a cinq ans tout le monde pariait sur la victoire de Ségolène Royal."
Biographies
> Axel Krause est un journaliste américain, installé en France depuis plus de vingt ans. Il est secrétaire général de l'association de la presse anglo-américaine à Paris. Il participe régulièrement à l'émission Kiosque sur TV5MONDE. > Alberto Toscano travaille pour l'agence de presse italienne AGA. Il est le président du Club de la presse européenne à Paris. Son dernier livre a été publié chez Fayard : Ces gaffeurs qui nous gouvernent. Il participe régulièrement à l'émission Kiosque.