Prisons en France : "Rien n'est réuni pour que les gens en sortent meilleurs. Ils en sortiront pires."

Entretien. À Marseille, dans le sud de la France, la destruction de la mythique prison des Baumettes a débuté aujourd'hui. Mythique, la prison l'était plus par son insalubrité et sa surpopulation carcérale que par ses célèbres détenus. Une page de l'histoire carcérale française se tourne-t-elle d'ailleurs vraiment ? En France, les prisons continuent d'être surpeuplées. Vendredi 17 septembre dernier, le conseil de l'Europe rappelait la France à l'ordre. Dominique Simonnot est Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. 
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Une cellule suroccupée dans la maison d'arrêt de Toulouse-Seysses, en 2021. La prison abrite deux fois plus de détenus que de places prévues. 200 détenus masculins dorment sur des matelas au sol plutôt que dans des lits. Ils se plaignent de la présence de cafards et de punaises. Les prisons françaises connaissent depuis des années une surpopuation carcérale. Le pays est régulièrement épinglé par les institutions pour son non respect de la dignité humaine.
 T. Chantegret pour le CGLPL
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Tv5monde : Quel est le principale problème rencontré dans les prisons françaises ? 

Dominique Simonnot : La surpopulation est un énorme sujet de préoccupation. Elle vicie tout dans les prisons en France. Je l’ai vu de mes yeux pour la première fois à la maison d'arrêt de Toulouse-Seysses. La porte s’est ouverte sur 3 hommes enfermés

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Dominique Simonnot a été nommée le 14 octobre 2020 au poste de Contrôleure générale des lieux de privation de liberté.
CGLPL

dans 4,28 m2, dans lesquels se trouvaient le coin toilettes, un lit superposé, une table et un matelas au sol le long du mur. Ces hommes là sont enfermés 22/24h.

Tv5monde : Le Conseil de l’Europe et l’Observatoire International des Prisons (OIP) parlent d’un problème « structurel » concernant la surpopulation carcérale en France. Que cela signifie-t-il exactement ? 

Dominique Simonnot : La surpopulation en milieu carcéral est quelque chose de pérenne, auquel on ne remédie pas. Ce n’est pas un incident de parcours, c’est un état de fait. En 1875, un sénateur nommé d’Haussonville a établi un rapport sur l’état lamentable de nos prisons. En 2000, il y a eu un rapport des sénateurs et des députés intitulé « Prison, une humiliation pour la République ». Vingt années plus tard, c’est toujours une humiliation pour la République. En France, nous nous sommes tous progressivement habitués à quelque chose d’inacceptable. Nous enfermons les gens dans des conditions innommables. La surpopulation, ce n’est pas juste être enfermé en cellule 22/24h. C’est aussi les rats, les cafards, les punaises de lit et les violences. 
 

Nous nous sommes tous progressivement habitué à quelque chose d’inacceptable.
Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté

Seysses
Une cellule suroccupée dans la maison d'arrêt de Toulouse-Seysses, en 2021. 
La prison abrite deux fois plus de détenus que de places prévues. 200 détenus masculins dorment sur des matelas au sol plutôt que dans des lits. Ils se plaignent de la présence de cafards et de punaises.
T. Chantegret pour le CGLPL

Tv5monde : Vous avez récemment visité 17 commissariats. Vous avez qualifié les conditions de détention dans ces locaux d’ « indignité totale ». Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur français, a répondu en disant que votre observation était « trop catégorique et générale ». Que vous évoque une telle réponse ? 

Dominique Simonnot : Nous avons ressorti tous les rapports faits sur les locaux de gardes à vue depuis 2016, ainsi que toutes les observations faites depuis 2008 par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Toujours, pour dire qu’il s’agissait de locaux indignes de la République. Depuis la visite de ces 17 locaux, nous en avons visité d’autres. Et d’autres encore avant ceux-là. Nous arrivons toujours aux mêmes conclusions.

Ce que je trouve infernal, c’est qu’en temps de pandémie, les gardés à vue se voient octroyer des couvertures sales, non lavées depuis un mois et des matelas dégoutants et non désinfectés. Je me demande si le ministre de l’Intérieur n’y voit pas un léger paradoxe avec les injonctions gouvernementales sur les gestes barrières et les mesures sanitaires contre le Covid-19. 

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Photo d'une cellule en surpopulation à la maison d'arrêt de Toulouse-Seysses, en 2021.
AP Photo/Christophe Ena

Tv5monde : La France a été rappelée plusieurs fois à l’ordre par la Cour Européenne des Droits de l’Homme en 2020 pour la surpopulation carcérale et des traitements indignes… Les choses ont-elles changé depuis ? 

Dominique Simonnot : Les plus hautes institutions d’Etat ont pris le relai, avec le conseil d’État, le conseil constitutionnel, la cour de cassation et le conseil de l’Europe, qui vient tout juste de nous rappeler à l’ordre. 

Dans les maisons d’arrêts, il y a chaque mois 1.000 entrées supplémentaires. Tout est en hausse. En tout 69.000 individus sont incarcérés. Nous rattrapons gaillardement le chiffre de 72.000 de janvier 2020 (ndlr : en 2020, le nombre de personnes incarcérées a baissé à cause de la pandémie de Covid-19 et du système judiciaire à l’arrêt). Les magistrats devraient beaucoup plus se rendre en prison. Ils verraient de leurs yeux ce que donnent leurs décisions. 


Les détenus s’enroulent dans les draps et se mettent du papier toilettes dans les oreilles pour ne pas que les cafards entrent dedans.
Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté

Tv5monde : Quels sont les recours pour les détenus maltraités ? 

Dominique Simonnot : Un recours contre les conditions indignes de détention existe. Ce décret, cette loi, je les juge nettement insuffisants car ils donnent la prime aux transferts. Si un détenu n’est pas content dans sa prison, s’il la juge répugnante, alors il est transféré de prison. Le problème reste donc entier dans la cellule que le détenu a quitté. J’ai l’espoir d’une jurisprudence qui se construise et qui se bâtisse. Je discutais juste avant avec une journaliste allemande. Il n’y a plus de surpopulation carcérale en Allemagne. Le pays a multiplié les alternatives à l’incarcération, avec les peines d’amendes, etc.

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Une cellule de la prison de Nouméa, où les détenus sont en surnombre, en Nouvelle-Calédonie, en 2019. Les cellules comportent un minuscule lavabo sans bonde, inutilisable pour laver du linge, pas de rangements ni de toilettes cloisonnées. Les cellules ne disposent pas de réfrigérateur. Aucune denrée périssable ne peut être conservée. À  Nouméa, le 1er janvier 2010, la surpopulation s'élevait à 122,4% au quartier maison d’arrêt et 135,8% au centre de détention. 
T. Chantegret pour le CGLPL


Tv5monde : La destruction de la prison historique des Baumettes à Marseille a commencé aujourd’hui. C’est une prison emblématique, par son insalubrité et sa surpopulation. Est-ce toutefois la seule du genre en France à avoir atteint ces sommets ?

Dominique Simonnot : Ce n’est pas la seule. Des détenus nous ont écrit depuis la prison de Fresnes. Là-bas, les cafards sortent des plaques chauffantes. À la maison d'arrêt de Toulouse-Seysses, on nous a rapporté que les détenus s’enroulent dans les draps et se mettent du papier toilettes dans les oreilles pour ne pas que les cafards entrent dedans. 

Tv5monde : Qui vous alerte lorsque les conditions d’incarcération sont mauvaises dans une prison ? 

Dominique Simonnot : Nous sommes contactés par différents biais, par les avocats, les surveillants et beaucoup par les détenus. Il ne s’agit pas de prendre la parole de ces derniers pour argent comptant, mais quand nous voyons affluer un certain nombre d’histoires sur un même endroit, nous savons qu’il s’y passe quelque chose d’anormal.


Actuellement, à la prison de Seysses, il y a un surveillant pour 156 détenus.
Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté

Tv5monde : Les détenus sont-ils les seuls à souffrir de la surpopulation et de traitement indignes dans les prisons ? 

Dominique Simonnot : Les traitements inhumains concernent aussi les surveillants. La prison est brutale du fait qu’il s’y trouve beaucoup de monde. Quand les activités sont réduites, quand il n’y a pas ou peu de promenades, moins de douches, moins de travail, moins de tout, et que tout est à partager, cela rejaillit sur le personnel et les détenus. Je parlerai même de mauvais traitements sur les surveillants. À l’ouverture de la maison d'arrêt de Toulouse-Seysses, un surveillant était prévu pour cinquante détenus. Actuellement, il y a un surveillant pour 156 détenus. Qui d’entre nous accepterait qu’on lui triple sa charge de travail comme cela ? 

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Une cellule surpeuplée à la prison de Fresnes, en 2019. En janvier 2021, la densité carcérale de la maison d'arrêt pour les femmes et les hommes s'élevait à respectivement 115% et 124%. 
JC Hanché pour le CGLPL

Tv5monde : Quelles sont les solutions ? 

Dominique Simonnot : Une volonté politique du gouvernement et des élus de la République. Ils font des lois de plus en plus répressives, qui permettent de punir de plus en plus de monde. Je crois que la France a la punition chevillée au corps. Elle délaisse la règle pénitentiaire voulant que les gens sortent meilleurs qu’ils ne sont entrés. Évidemment, actuellement, rien n’est réuni pour que les gens sortent meilleurs de prison. Ils en sortiront pires.

Ce que l’on voudrait, c’est qu’à partir du moment où une prison accueille 100% d’occupation, si un détenu rentre, un détenu sort. Le détenu sortant sera celui s’approchant le plus de sa date de sortie, après examen de son dossier par le juge d’application des peines et par le SPIP (ndlr : Service Pénitentiaire d’Insertion & de Probation). C’est ce qu’il s’est passé pendant le Covid avec les « ordonnances Covid-19». Les détenus sortaient un mois avant la fin de leur peine. 

À Grenoble, ils déclenchent ce processus quand ils arrivent à 130% d’occupation des locaux. C’est un début, mais pourquoi ne pas le déclencher à 100% d’occupation ? Cela permettrait des sorties accompagnées par le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation. Ces sorties accompagnées ont fait leurs preuves et ont montré qu’il y avait moins de risque de récidives et plus de chances de réinsertion dans la société, par rapport à une « sortie sèche ».  

La France a la punition chevillée au corps.Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté

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Une cellule suroccupée dans une maison d'arrêt en France. 
JC Hanché pour le CGLPL

Tv5monde : Le gouvernement a annoncé 7.000 places pénitentiaires supplémentaires pour 2022, 8.000 pour 2027. Est-ce suffisant ?

Dominique Simonnot : Les 7.000 places seront pleines aussitôt. Si nous ne sommes pas capables de tenir des établissements dans un état normal, c’est-à-dire sans y entasser du monde, sans rats, sans punaises de lit, sans maladies, n'en construisons pas d’autres. Je pense que l’on devrait commencer par tenir en état ce que l’on a à disposition.