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Le prix Nobel de la paix a récompensé, vendredi 8 octobre, deux journalistes d'investigation : la Philippine Maria Ressa et le Russe Dmitri Mouratov. Une consécration pour la liberté de la presse, menacée par la répression, la censure, la propagande et la désinformation.
Les deux lauréats "sont les représentants de tous les journalistes qui défendent cet idéal dans un monde où la démocratie et la liberté de la presse sont confrontées à des conditions de plus en plus défavorables", a déclaré la présidente du comité Nobel norvégien, Berit Reiss-Andersen, à Oslo.
Agée de 58 ans, Maria Ressa a cofondé la plateforme numérique de journalisme d'investigation Rappler en 2012. Le média a braqué les projecteurs sur "la campagne antidrogue controversée et meurtrière du régime (du président philippin Rodrigo) Duterte", a fait valoir le comité Nobel.
"Rien n'est possible sans les faits", a réagi, depuis Manille, l'ancienne journaliste de CNN.
Egalement de nationalité américaine, Mme Ressa a été condamnée en juin pour diffamation mais laissée en liberté sous caution dans une affaire où elle risque jusqu'à six ans de prison.
BREAKING NEWS:
— The Nobel Prize (@NobelPrize) October 8, 2021
The Norwegian Nobel Committee has decided to award the 2021 Nobel Peace Prize to Maria Ressa and Dmitry Muratov for their efforts to safeguard freedom of expression, which is a precondition for democracy and lasting peace.#NobelPrize #NobelPeacePrize pic.twitter.com/KHeGG9YOTT
D'un an son aîné, Dmitri Mouratov a, lui, été un des cofondateurs en 1993 et est le rédacteur en chef du quotidien Novaïa Gazeta, une des rares voix encore indépendantes en Russie.
Le journal d'opposition a notamment mis en lumière "la corruption, les violences policières, les arrestations illégales, la fraude électorale et les « fermes de trolls »" et l'a payé au prix fort, a souligné le comité: six de ses journalistes ont perdu la vie, dont Anna Politkovskaïa, tuée il y a 15 ans quasiment jour pour jour.
Dmitri Mouratov leur a dédié son prix: "Ce n'est pas mon mérite personnel. C'est celui de Novaïa Gazeta. C'est celui de ceux qui sont morts en défendant le droit des gens à la liberté d'expression".
Le Kremlin a de son côté salué le "courage" et le "talent" du journaliste.
"Bien sûr nous condamnons la situation dans ces deux pays en particulier mais je tiens à souligner que nous condamnons aussi la situation dans tous les pays où l'activité des journalistes est restreinte et où la liberté d'expression est sous pression", a déclaré Mme Reiss-Andersen.
Dans un monde où, comme le veut l'adage, "la première victime de la guerre, c'est la vérité", il s'agit du premier Nobel de la paix, en 120 ans d'histoire, à récompenser la liberté d'information en tant que telle.
"Le comité Nobel norvégien est convaincu que la liberté d'expression et la liberté d'information aident à maintenir un public informé. Ces droits sont des préconditions essentielles pour la démocratie et pour se prémunir contre la guerre et les conflits, a expliqué Mme Reiss-Andersen. Le journalisme libre, indépendant et factuel sert à protéger contre les abus de pouvoir, les mensonges et la propagande de guerre."
Selon le dernier classement annuel de Reporters sans frontières (RSF) - donné par avance comme un des favoris pour le Nobel -, la situation de la liberté de la presse est problématique, difficile, voire très grave dans près de trois-quarts (73%) des 180 pays évalués. Elle est jugée bonne ou satisfaisante dans seulement 27% de ces Etats.
Un funeste compteur tenu par RSF montre que 24 journalistes professionnels ont été tués depuis le début de l'année et 350 autres sont encore emprisonnés.
Ce prix est "un appel à l'action", a réagi le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire.
Du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, tué dans le consulat de son pays à Istanbul en 2018, au journal pro-démocratie Apple Daily, cible de critiques récurrentes de Pékin et contraint de fermer cette année à Hong Kong, les tentatives de musèlement foisonnent.
(Re)voir : Chine : Hong Kong assiste à la dernière édition de l'Apple Daily
Si l'information est systématiquement prise pour cible dans les régimes autoritaires et sur les champs de bataille, le débat public dans les pays en paix est aussi parasité par les "infox".
A l'occasion de la pandémie de Covid, l'Organisation mondiale de la santé s'est inquiétée dès le début 2020 de l'"infodémie".
Un virus qui peut prendre différentes formes et servir différentes finalités.
Avec ses armées de "trolls" sur les réseaux sociaux, la Russie est régulièrement pointée du doigt pour ses tentatives d'interférence dans les élections aux États-Unis et ailleurs, ce qu'elle dément.
"Sans liberté d'expression ni liberté de la presse", a conclu Mme Reiss-Andersen, "il sera difficile de réussir à promouvoir la fraternité entre les nations, le désarmement et un monde meilleur".