Prix Nobel : économie, physique, paix... à quoi peut ressembler le cru 2022 ?

Célébrer la paix et les bienfaiteurs de l'humanité avec des combats qui font rage en Europe: les prix Nobel sont décernés à partir de lundi sous l'oppressante chape de la guerre en Ukraine.

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Médaille prix nobel AP
La médaille remise aux prix Nobel. Ici, celle remise à l'auteur colombien Gabriel Garcia Marquez en 1982. Chaque année, la première semaine d'octobre est ponctuée par l'annonces des cinq Nobel annuels, auxquels s'est récemment ajouté un prix en économie.
© AP Photo/Fernando Vergara, file
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Jamais depuis la Seconde Guerre mondiale un conflit entre Etats n'avait fait rage si près de Stockholm et Oslo, les deux paisibles capitales où sont attribuées les célèbres récompenses philanthropiques (médecine, physique, chimie, littérature, paix) depuis plus de 120 ans, ainsi que le plus récent prix d'économie.

Habituel sommet de la semaine d'annonce, le Nobel de la paix, attribué le 7 octobre, aura un écho particulier cette année, s'accordent les experts du prix. "Le plus probable est un prix qui aille en soutien aux institutions qui collectent de l'information sur les crimes de guerre", pronostique pour l'AFP le professeur suédois Peter Wallensteen, spécialiste des questions internationales. Un pronostic de bon augure pour la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye? Ou pour les fins limiers du site d'investigation Bellingcat?

La clôture des nominations - 343 cette année - a lieu le 31 janvier, soit avant le début de l'invasion de l'Ukraine, mais les cinq membres du comité Nobel sont aussi autorisés à mettre des noms sur la table lors de leur première réunion, laquelle s'est tenue fin février.

Un prix anti-Poutine?

"Certains pensent que ne pas attribuer le prix du tout serait le message le plus fort sur la situation des affaires internationales", relève M. Wallensteen.

Le comité Nobel norvégien, le jury du prix de la paix, peut en effet laisser la case vierge s'il juge que personne n'en est digne comme il l'avait fait pour la dernière fois il y a tout juste 50 ans.

Incarcéré brutalement après son retour en Russie, l'opposant russe Alexeï Navalny ferait lui aussi un Nobel anti-Poutine, de même que l'opposante bélarusse Svetlana Tikhanovskaïa.

L'an passé, la récompense avait été attribuée à une des bêtes noires du président russe, le journaliste Dmitri Mouratov, conjointement avec sa consoeur philippine Maria Ressa, pour un prix sacrant la liberté de la presse.

Autres Nobélisables cette année selon les pronostiqueurs: l'organisation anticorruption Transparency International, la militante suédoise pour le climat Greta Thunberg ou d'autres figures environnementales comme la Soudanaise Nisreen Elsaim et le Ghanéen Chibeze Ezekiel ou encore le naturaliste britannique David Attenborough.

S'il y a la "crise de la sécurité mondiale", avec l'Ukraine mais aussi Taiwan, "il serait peut-être temps pour le comité de se tourner vers la crise environnementale", suggère Dan Smith, le directeur de l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm.

Prix - a priori - moins politique, la littérature pourrait-elle aussi se parer d'un message anti-Kremlin? La Russe Ludmila Oulitskaïa, souvent citée ces dernières années, pourrait bénéficier du contexte, selon des critiques interrogés par l'AFP.

Longtemps sur la liste des favoris, l'Américaine Joan Didion, la Britannique Hilary Mantel et l'Espagnol Javier Marias sont morts cette année et ne pourront donc succéder au Britannique d'origine tanzanienne Abdulrazak Gurnah, primé l'an dernier.

Un Nobel de 1903 pionnier... sur le réchauffement climatique

Talentueux dans nombre de domaines, le physicien et chimiste suédois Svante Arrhenius est récompensé du prix de Chimie en 1903 pour sa "théorie électrolytique sur la dissociation". Mais ce sont d'autres travaux précurseurs qui lui valent aujourd'hui un statut de pionnier: à la fin du XIXe siècle, il est le premier à théoriser que la combustion des énergies fossiles - à l'époque, surtout du charbon - entraîne via l'envoi de CO2 dans l'atmosphère un réchauffement climatique. Selon ses calculs, un doublement de la concentration du gaz carbonique réchaufferait la planète de cinq degrés - les modèles modernes donnent aujourd'hui une fourchette de 2,6 à 3,9°C. Loin de se douter des quantités de plus en plus énormes d'énergies fossiles que l'humanité consumerait, Arrhenius sous-estime la rapidité à laquelle ce niveau sera atteint, et pronostique que ce réchauffement se produira sous l'effet de l'activité humaine... en 3000 ans.

Après deux auteurs très peu connus du grand public - Louise Glück avait été récompensée en 2020 -, l'Académie suédoise poursuivra-t-elle sur cette piste ou sacrera-t-elle des noms déjà célèbres? 

L'Américaine Joyce Carol Oates, le Japonais Haruki Murakami, les Français Michel Houellebecq et Annie Ernaux sont régulièrement évoqués.

"C'est plus difficile que jamais de deviner, quand on pense que l'an dernier, personne à part les membres de l'Académie n'avait pensé à Gurnah", s'amuse Jonas Thente, critique au quotidien suédois de référence, Dagens Nyheter.

Lui - comme d'autres - évoque le Hongrois Laszlo Krasnahorkai, les Américains Thomas Pynchon et Don de Lillo ou encore le dramaturge norvégien Jon Fosse.

Chimie 'bioorthogonale'

Comme chaque année, les prix scientifiques ouvrent le bal (médecine lundi, physique mardi et chimie mercredi). 

Après la littérature jeudi et la paix vendredi, le plus récent prix d'économie, seul à ne pas avoir été créé par le célèbre inventeur suédois Alfred Nobel (1833-1896), boucle la saison le 10 octobre.

Traitements du cancer du sein, progrès en biopsies prénatale ou encore vaccins à ARN messager sont évoqués par les Nobélologues pour le prix de médecine. 

Des usages révolutionnaires de la lumière pour la physique ou les pionniers de la chimie "bioorthogonale" sont considérés comme bien placés pour les autres prix de sciences.

► Les Nobel sont remis lors de cérémonies à Stockholm et Oslo le 10 décembre.