Les tensions dans le pays sont encore montées d’un cran. L'opposition appelle à la grève nationale ce vendredi 28 octobre. L’Assemblée nationale, seul organe d’Etat contrôlé par l’opposition, a dernièrement voté l’ouverture d’un procès en destitution contre le président Nicolas Maduro. C’est sa réponse à la suspension par le Conseil national électoral du processus en vue d’un référendum révocatoire.
En janvier 2016, l’opposition a pris possession de l’Assemblée nationale
après avoir remporté les législatives. Mais le Tribunal suprême de justice - la plus haute juridiction- a systématiquement bloqué toute initiative des députés de cette opposition qui domine le Parlement. Celui-ci l'a déclaré en infraction pour compter dans ses rangs trois députés soupçonnés de fraude.
« Le gouvernement et les institutions qu’il contrôle ne reconnaissent pas le pouvoir de l’Assemblée alors que les citoyens ont voté pour ces députés», explique la directrice de recherche au CNRS et spécialiste du Venezuela,
Paula Vasquez.
Après quatre mois de blocage, la coalition d’opposition de centre droit – la MUD- a décidé de lancer, au mois d’avril, la procédure en vue d’un référendum révocatoire visant le président Nicolas Maduro. Pour ce faire, cette dernière devait récolter un certain nombre de signatures. Au mois d’août, c’était chose faite.
Le CNE, le nerf de la guerre
Le Conseil national électoral (CNE) devant veiller sur le bon déroulement de la procédure et valider les différentes étapes avait donné son feu vert. L’opposition a donc entrepris de compléter la deuxième étape : elle a eu trois jours pour recueillir 20% des signatures des électeurs en faveur d’un référendum révocatoire. Le mécontentement de la majorité de la population est tel que ces signatures ont été réunies en un clin d’œil et le 20% requis a été vite dépassé.
Si la procédure avait suivi son cours, la population aurait pu être consultée avant janvier 2017. Si les Vénézuéliens avaient dit oui, Maduro, élu en 2013 et dont le mandat expire en 2019, aurait dû quitter le pouvoir à l'issue de nouvelles élections. Mais le CNE, accusé par l’opposition d’être aux ordres du pouvoir en place, n’a pas validé la deuxième étape en dénonçant des irrégularités et des fraudes dans la collecte des signatures.
Une nouvelle collecte décisive de 4 millions de signatures devait donc se dérouler entre le 26 et le 28 octobre. L'enjeu pour l'opposition, aujourd'hui, est d'organiser ce référendum avant janvier et d’écourter le mandat de Nicolas Maduro. Le jeudi 20 octobre,
le CNE a annoncé qu’elle reportait sine die cette nouvelle collecte. La raison : les tribunaux de plusieurs États ont invoqué des soupçons de fraude lors de la première collecte de signatures.
C’est l’Etat même qui ne respecte pas les règles qu’il avait établies
Paula Vasquez, spécialiste du Venezuela
« Ces États du pays, dirigés par le pouvoir en place, ont décidé qu’il était illégal d’obtenir ces signatures. Le pouvoir juridique a été mis au service des intérêts de l’exécutif. Ce sont des manoeuvres politiciennes et anticonstitutionnelles alors que, jusqu’ici, la procédure en vue d'un référendum révocatoire suivait son cours. C’est un tournant. C’est l’Etat même qui ne respecte pas les règles qu’il avait établies [le calendrier et la logistique de cette procédure avaient été dictés par le CNE ]
. L’opposition et les autorités électorales étaient d’accord», précise Paula Vasquez.
Une décision qui est venue enflammer une situation déjà explosive car la MUD - la coalition d'opposition- était sûre d’atteindre le nombre de signatures demandé sans efforts. Selon une enquête de Datanálisis, 76,5% des Vénézuéliens sont contre la gestion du successeur de Chávez et 62,3% voterait pour le voir quitter la présidence.
Examiner la responsabilité pénale de Nicolas Maduro
Ce mardi 25 octobre, les députés de l’opposition ont adopté l’ouverture d’une procédure contre Nicolás Maduro afin d’examiner
« sa responsabilité pénale, politique et les manquements au devoir de sa charge ».
« La portée de ce vote n’est pas claire », précise l’AFP.
« C’est un geste symbolique. Nous savons tous que monsieur Maduro ne va pas démissionner, souligne la chercheuse.
Pour la première fois depuis janvier, l’Assemblée nationale, qui a été élue par les citoyens, s’est mise dans une position de force ».Et de poursuivre :
« Pour justifier cette procédure, les députés ont de nombreux arguments, à commencer par le fait que Maduro s’est rendu la semaine dernière au Moyen-Orient sans demander l’accord du Parlement, qui doit valider tout déplacement à l’étranger du chef de l’Etat. Il ne l’a pas fait. Encore une fois, il considère cette Assemblée illégitime ».
Le procès en destitution n'existe pas en tant que tel, soulignent les experts
« Si le procès en destitution n’existe pas en tant que tel dans la Constitution vénézuélienne, la procédure pour manquements au devoir de sa charge – lorsque le chef de l’Etat ne remplit plus ses fonctions- y figure bien », soulignent les juristes interrogés par l’AFP.
L’opposition rend responsable le chef de l’Etat de la profonde crise économique qui se traduit par une pénurie de 80% des aliments, sans compter les médicaments et une inflation record (475% en 2016) alors que le Venezuela est assis sur la plus importante réserve pétrolière au monde.
En réponse à cette « tentative de coup d’Etat », selon les mots de Nicolas Maduro, il a convoqué ce mercredi un conseil de défense national. Objectif : évaluer le putsch parlementaire. C’est le président du Parlement, Henry Ramos Alup, qui a été convoqué. Le président vénézuélien, pour sa part, a été convoqué le 1er novembre par les Parlementaires.
Le "chavisme" s'est mobilisé ce mardi pour afficher son soutien au président Maduro.Ce bras de fer se prolonge dans la rue. Ce mardi, les soutiens du gouvernement ont défilé à Caracas pour dénoncer
« le coup d’Etat parlementaire ». Ce mercredi 26 octobre, c’est au tour de l’opposition soutenue par des citoyens exaspérés de battre le pavé.
Avec le mot dièse #LatomadeVenezuela (la prise du Venezuela), l'opposition et ses soutiens manifestent ce mercredi 26 octobre. « L’opposition et le ‘chavisme’ s’accusent mutuellement de tenter un coup d’Etat. C’est extrêmement trompeur de tomber dans cette dichotomie, prévient Paula Vasquez.
C’est une manière très simpliste. Depuis janvier, l’exécutif refuse de reconnaître le rôle de l’Assemblée et a tout fait pour que les lois qui y sont votées ne soient pas appliquées. L’’Etat ne reconnaît pas la séparation des pouvoirs »
Des médiateurs internationaux pour rétablir le dialogue
Pour tenter d’apaiser les esprits ,
l’Organisation des Etats américains (OEA) a mis en place un groupe de médiateurs formé d’anciens présidents, dont l’ex chef du gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero. Mais les tentatives de ce groupe ont été jusqu’ici infructueuses, notamment parce que l’institution n’a pas manqué de signaler les violations aux droits de l’homme dans le pays.
Coup de poker, le président Maduro a fait un arrêt exprès, ce lundi 24 octobre, au Vatican où il s’est entretenu avec le pape François. Ce dernier a proposé d’envoyer un médiateur qui devrait se réunir avec l’opposition et le gouvernement ce dimanche.
Une intervention divine qui est d'ores et déjà mise à mal. Premièrement : la coalition de l'oposition a montré des signes de division, certains de ses membres ont dit clairement qu'ils ne se rendraient pas au rendez-vous. Deuxièmement : ce nouvel épisode de la crise politique ne semble pas laisser de place au dialogue.
« Même si le pape venait déguisé en Superman, on n'arriverait pas à rétablir le dialogue dans le pays», assure le politologue Nicmer Evans interviewé par l'AFP.
Paula Vasquez est également pessimiste :
« L’armée [très puissante dans le pays]
a apporté son soutien au président via le ministre de la Défense, Vladimir Padrino Lopez. Ce qui est extrêmement grave car l’armée n’est pas censée prendre position. Si on échappe aujourd’hui à une guerre civile, c’est parce que l’opposition n’est pas armée. »Mise à jour 28/10 Effectivement, le rôle de l'armée pose question. L'opposition à appelé à une grève nationale ce vendredi. Le président Maduro a déjà averti que les militaires prendront le contrôle des entreprises qui y participeraient.
Par ailleurs, il a tenté d'apaiser les tensions en proposant, par décret, une hausse de 40% du salaire minimum. Un geste purement symbolique puisque l'inflation galopante ne permet pas vraiment aux citoyens de profiter de cette hausse.